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dimanche 22 décembre 2019

Affaire Halimi : L'abolition du discernement de la Chambre de l'instruction

La chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris a rendu, le 19 décembre 2019, une décision très controversée. Elle considère que Kobili Traoré, qui a tué Sarah Halimi le 3 avril 2017 en la défenestrant du balcon de son appartement, après lui avoir fait subir diverses tortures, est pénalement irresponsable. Aux yeux des juges, sont réunies les conditions de mise en oeuvre de l'article 122-1 du code pénal, aux termes duquel "N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes". Un collège d'experts s'était prononcé en ce sens, à l'issue d'une procédure complexe, un premier expert s'étant prononcé en faveur de la responsabilité pénale de Traoré.


Les Assises et l'abolition du discernement



Ces querelles d'experts auraient pu conduire Traoré devant la Cour d'assises, compétente pour apprécier l'abolition du discernement. Depuis la loi du 25 février 2008, l'irresponsabilité peut en effet être constatée à deux stades bien distincts de la procédure. A l'issue de l'instruction, et une déclaration d'irresponsabilité pénale peut être prononcée, soit par le juge d'instruction, soit, à sa demande ou à celle du procureur ou des parties civiles, par la chambre de l'instruction de la Cour d'appel. Mais l'irresponsabilité peut aussi être déclarée par la Cour d'assises elle-même, lors d'une audience publique, procédure qui, en 2008, avait été vivement souhaitée par les associations de victimes.

Les juges des juridictions pénales ne montrent cependant pas le même intérêt pour cette procédure, peut-être parce qu'ils préfèrent que la décision soit prise par un magistrat professionnel que par un jury populaire. La présente décision est-elle l'expression de cette réticence ? On ne saurait l'affirmer, mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il aurait été préférable d'offrir aux parties civiles le procès qu'elles attendaient.


Drogue et discernement



Sur le fond, on doit reconnaître que le droit positif manque singulièrement de clarté. La notion de "trouble psychique ou neuropsychique" est l'objet de controverses entre les experts, et c'est finalement l'absence de discernement qui constitue le critère essentiel de sa définition. Mais qu'en est-il du trouble d'origine toxicologique lié à la consommation d'alcool ou de drogue ? Dans ce cas en effet, la cause du trouble se trouve dans la volonté du consommateur qui a lui-même altéré son discernement. 

A la lecture de l'article 122-1 du code pénal, il ne fait guère de doute que l'alcool ou la drogue peuvent abolir le discernement, et l'imputabilité disparaît donc. C'est ce qu'a jugé la chambre de l'instruction le 19 décembre, à propos de Kobili Traoré. Mais la doctrine, quant à elle, propose une distinction plus subtile. Lorsque la personne a ingéré une substance à son insu, l'exonération de responsabilité est une évidence. En revanche, quand elle l'a ingérée pour se donner le courage de commettre l'infraction, sa responsabilité ne saurait être écartée, principe qui semble évident si l'on considère que le code pénal fait souvent de l'emprise alcoolique ou de stupéfiants une circonstance aggravante.

Enfin, il reste une troisième hypothèse, celle précisément qui concerne Kobili Traoré, consommateur régulier de cannabis depuis très longtemps, tant et si bien que cette consommation l'a placé dans une situation délirante durant laquelle il a tué Sarah Halimi. La doctrine propose de distinguer dans ce cas entre infraction intentionnelle et non intentionnelle. La consommation de substances ne serait une cause d'irresponsabilité que dans l'hypothèse d'une infraction intentionnelle puisque, dans le cas des infractions non intentionnelles, l'auteur de l'infraction ne voulait pas causer un dommage mais s'est seulement montré imprudent. Avouons que la distinction n'est pas facile à comprendre, car elle conduit à exonérer la responsabilité des auteurs des crimes les plus graves pour condamner ceux qui n'ont commis qu'une imprudence fautive.

Le Chat. Philippe Gelück



Evolution jurisprudentielle



Certes, mais la jurisprudence n'a pas repris cette analyse. Heureusement, car on pourrait en conclure que Kobili Traoré pourrait être condamné s'il avait écrasé Sarah Halimi en conduisant sous l'emprise de cannabis (avec circonstance aggravante), alors qu'il ne pourrait être condamné pour l'avoir torturée et défenestrée. La Cour de cassation, depuis une ancienne jurisprudence du 5 février 1957 considérait que, dans ce type de cas, la responsabilité pénale est une question de fait qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Cette position a souvent été réaffirmée, par exemple dans un arrêt du 2 septembre 2014.

Mais cette jurisprudence a aujourd'hui évolué, sans doute liée à la sévérité accrue à l'encontre des auteurs d'infractions commises sous l'emprise de substances toxiques. Un arrêt du 22 juin 2016, à propos d'un accident causé par un conducteur sous la double emprise de l'alcool et du cannabis, la Cour de cassation  ensanctionne les juges du fond qui avaient écarté sa responsabilité pour l'infraction de violences volontaires. La Chambre criminelle fait observer que "le prévenu a bu et a consommé volontairement des stupéfiants avant de prendre le volant pour conduire à vitesse excessive au volant d'un véhicule devenu une arme par destination ; qu'un tel comportement est un acte intentionnel (...) et n'a pu être adopté qu'avec la conscience du caractère prévisible du dommage".

On sait que les parties civiles vont déposer un pourvoi en cassation contre la décision de Chambre de l'instruction de la Cour d'appel. Sans doute vont-elles s'appuyer sur cet arrêt pour montrer que Kobili Traoré avait consommé volontairement de la drogue et qu'il ne pouvait en ignorer les effets dévastateurs ? Si Traoré n'avait pas son libre arbitre au moment de la mort de Sarah Halimi, il l'avait lorsqu'il a pris la drogue qui est à l'origine du drame. On peut espérer que la Cour de cassation entendra cette analyse.

Reste que le législateur devrait certainement intervenir sur cette question, car la situation juridique est réellement trop instable. Imaginons un instant, rien qu'un instant, que la Cour de cassation confirme la décision de la Cour d'appel. Dans ce cas, il est probable que Kobili Traoré fera l'objet d'un arrêté d'internement psychiatrique sans son consentement. Sans doute, mais le problème est qu'il n'est atteint d'aucune affection psychiatrique, ce qu'ont d'ailleurs déjà affirmé les experts. Il sera donc impossible de le maintenir en internement psychiatrique et les médecins ne pourront faire autre chose que le libérer... Veut-on vraiment que Kobili Traoré soit libre et puisse se lancer dans une belle carrière de porte-parole d'une association militant en faveur de la légalisation de l'usage du cannabis à des "récréatives" ?



3 commentaires:

  1. Qu'ajouter de plus à votre excellent commentaire qui se passe de commentaire ! "L'ensauvagement des mots précède l'ensauvagement des actes" comme l'écrit justement Mona Ozouf.

    Très joyeuses fêtes de fin d'année à vous et à ceux qui vous sont chers. Continuez à nous éclairer de vos analyses pertinentes dont nous apprécions également les vignettes !

    Vous faites honneur au corps des professeurs agrégés de droit public et répondez pleinement à l'exigence de serviteurs de l'Etat, esprits libres et indépendants (de moins en moins) capables de dénoncer les atteintes grossières de certains magistrats au principe d'indépendance et d'impartialité et leur perte du bon sens commun.

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  2. Lorsqu'une nation ne sait plus protéger ses ouailles de la sauvagerie de certains, il ne faut pas s'étonner qu'elles se transforment elles aussi en anges exterminateurs assoiffés de vengeance. Demain si tous les TRAORE trouvent une voie d'exonération de leurs exactions "magnifiquement" pensée par des zélotes égarés, la justice, pilier de toute nation qui veut garantir les libertés de chacun, n'existera plus.

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