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dimanche 17 mars 2019

La nomination des juges en Islande, et en France

L'arrêt Guomundur Andr Astradsson c. Islande, rendu le 12 mars 2019 par la Cour européenne des droits de l'homme, sanctionne la procédure de désignation des membres d'une cour d'appel récemment créée dans ce pays. La décision pourrait passer inaperçue, car l'Islande est un petit pays, et l'organisation de ses juridictions n'intéresse sans doute pas beaucoup les commentateurs. Elle devrait au contraire susciter leur intérêt, et même l'inquiétude des autorités françaises.

M. Astradsson a été condamné à dix-sept mois de prison et au retrait définitif de son permis de conduire pour avoir conduit sous l'empire de produits stupéfiants avec un permis suspendu. Cette condamnation a été confirmée par la nouvelle cour d'appel, dont les membres venaient d'être désignés. Pour contester la sanction qui le frappe, le requérant invoque l'irrégularité de la  composition de cette juridiction et l'atteinte à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui garantit le droit à un tribunal indépendant et impartial. La CEDH lui donne satisfaction, car l'un des juges n'avait pas été désigné selon une procédure conforme à la loi islandaise et au principe d'indépendance et d'impartialité des juges protégé par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme.


Les profondeurs du classement




Conformément à la loi créant la nouvelle cour d'appel, les candidats aux 15 postes de juge ouverts pour constituer la juridiction ont été évalués par un comité d'experts, qui a ensuite transmis un classement à la ministre islandaise de la justice. Le juge A.E. , celui qui a ensuite statué sur l'affaire Astradsson, se trouve classé 18è, et son nom ne figure donc pas dans la liste des 15 candidats retenus. La ministre va toutefois proposer au parlement la nomination des 11 premiers candidats, puis celle des candidats respectivement classés 17è, 18è, 23è et 30è dans cette évaluation. En juin 2017, le parlement approuve la proposition du ministre.  La Cour Suprême islandaise, saisie fin 2017 par deux candidats classés entre la 12è et la 15è place et donc finalement évincés, a reconnu l'irrégularité de la procédure. En revanche, en mai 2018, saisie cette fois de la procédure appliquée à M. Astradsson, elle estime que cette irrégularité n'est pas suffisamment substantielle pour justifier son annulation. C'est précisément cette décision que la CEDH considère comme une violation de l'article 6 § 1.

Délibération des experts chargée de désigner les juges de la cour d'appel islandaise
Danse folklorique islandaise 

Le principe de séparation des pouvoirs




La CEDH, et c'est tout l'intérêt de la décision, s'appuie directement sur le principe de séparation des pouvoirs. Le texte organisant le recrutement des juges avait en effet pour finalité de soustraire ce processus de désignation à toute influence de l'Exécutif, la ministre de la justice devant transmettre au parlement la liste établie par la commission d'experts, afin que ces nominations soient ensuite confirmées. Or la ministre s'est arrogée le pouvoir discrétionnaire de modifier le classement. Le parlement, quant à lui, a confirmé les nominations, et donc admis l'atteinte à la séparation des pouvoirs.

Dès 1978, la Commission des droits de l'homme affirmait déjà, dans une décision Zand c. Autriche, que "l'organisation judiciaire dans une société démocratique ne doit pas dépendre du pouvoir discrétionnaire de l'Exécutif mais être définie par une loi votée par le parlement". Par la suite, la CEDH a réaffirmé ce principe à plusieurs reprises (par exemple dans l'arrêt Morice c. France du 23 avril 2015) rappelant que le fait qu'un tribunal soit composé selon une procédure organisée par la loi est entièrement lié aux principes d'indépendance et d'impartialité garantis par l'article 6 § 1.

La Cour rappelle, dans sa décision de Grande Chambre Ramos Nunes de Carvalho E SA c. Portugal du 8 novembre 2018, "le rôle croissant de la notion de séparation du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire dans sa jurisprudence". De la même manière, elle affirme la nécessité de "protéger l'indépendance du pouvoir judiciaire" (CEDH, 23 juin 2016 Baka c. Hongrie). 


Indépendance et impartialité



En l'espèce, la CEDH observe que la Cour Suprême islandaise a reconnu l'irrégularité de la procédure de désignation des juges, sans pour autant considérer que cette irrégularité pouvait être suffisamment substantielle pour vicier l'ensemble d'une affaire pénale. Dès lors que cette irrégularité s'analyse comme une remise en cause de la séparation des pouvoirs, la CEDH considère au contraire qu'elle est nécessairement substantielle. A ses yeux, les poursuites pénales ont été exercées contre M. Astradsson par une juridiction qui n'est ni indépendante, ni impartiale. 

Elle n'est pas indépendante, car les quatre juges ajoutés par la ministre peuvent être soupçonnés d'avoir et de conserver des liens avec elle. La Cour observe que leurs compétences ont certes été examinées par la commission d'experts, mais qu'elle a été conduite à écarter leur candidature. Autrement dit, aucune autorité indépendante n'a jugé que leurs mérites les appelaient aux fonctions auxquelles ils ont été appelés.
Surtout, la CEDH constate un manquement à l'impartialité objective. La CEDH affirme, dans une jurisprudence constante et notamment dans l'arrêt Morice c. France de 2015 : "En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure". La Cour d'appel islandaise, composée de juges qui n'avaient pas tous les mêmes garanties de compétences, ne pouvait pas inspirer une confiance totale au justiciable et il convient donc de sanctionner cette situation.

La décision Astradsson conduit évidemment à s'interroger sur la situation française. D'une certaine manière, la situation du parquet a été résolue à l'insatisfaction générale, puisque, depuis son célèbre arrêt Moulin c. France de 2010, la CEDH refuse de considérer ses membres comme des magistrats au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'ils demeurent hiérarchiquement soumis au pouvoir exécutif. Certes, on aurait pu espérer que les autorités françaises allaient tenir compte de cette jurisprudence en supprimant ce lien entre le parquet et l'Exécutif, mais elles ont préféré maintenir les choses en l'état et assumer le fait que la Cour européenne considère le procureur comme un fonctionnaire ordinaire.

Reste à poser la question du Conseil constitutionnel. Celui-ci s'est qualifié lui-même de "haute juridiction" et il a, sur cette auto-qualification, obtenu de pouvoir saisir la Cour européenne pour avis sur le fondement du Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits. de l'homme. Or ses membres sont nommés sans que leurs compétences soient évaluées par qui que ce soit, et surtout pas par une commission d'experts indépendants. Au contraire, ils sont nommés en fonction de leur proximité amicale ou politique avec l'autorité de nomination, en tout cas à partir de critères qui n'ont rien à voir avec leurs compétences juridiques. Certains ont même reconnu leur parfaite ignorance dans ce domaine. Dans de telles conditions, on attend avec impatience que la composition du Conseil constitutionnel soit contestée devant la CEDH. Et c'est très possible, car, depuis un arrêt Soto Sanchez c. Espagne du 25 novembre 2003, la CEDH affirme que les dispositions de l'article 6 § 1 s'imposent aux juridictions suprêmes. Tout cela laisse augurer d'amusants contentieux.


Sur l'indépendance et l'impartialité des juges : Chapitre 4 section 1 § 1 B du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.



1 commentaire:

  1. Quand on sait que le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à redire à ce que le Conseil d'Etat juge les actes administratifs de son Vice-Président (Décision n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017) … en toute impartialité, on mesure le chemin qui reste à parcourir. https://lnkd.in/dVvAWvE.

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