La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), dans un arrêt du 7 mars 2019 Salluti c. Italie, sanctionne un système juridique qui permet qu'une condamnation pour diffamation soit assortie d'une peine de prison, même légère, lorsque les propos tenus n'avaient pas de contenu discriminatoire.
En 2007, Alessandro Salluti est rédacteur en chef du journal italien Libero, un quotidien plutôt conservateur créé par le groupe Berlusconi. Le 17 février, la Stampa publie un article relatant l'histoire d'une jeune fille de treize ans qui aurait été contrainte d'interrompre sa grossesse, sous les pressions conjuguées de ses parents et du juge des tutelles (giudice tutelare) qui est compétent pour autoriser l'intervention. Plus tard dans cette même journée, un démenti est diffusé, mentionnant qu'il n'y avait eu aucune pression sur cette jeune fille qui avait décidé seule de subir une IVG. Le lendemain, deux articles sont pourtant publiés dans Libero, l'un sous pseudonyme l'autre signé d'un journaliste, reprenant cette fausse information et accablant particulièrement le juge des tutelles. On constate ainsi que les "Fake News" ne sont pas un phénomène nouveau, qu'elles ne sont pas nécessairement liées à l'usage d'internet, et pas davantage limitées à la période électorale comme semble le penser le législateur français.
Quoi qu'il en soit, le juge italien porte plainte devant les tribunaux milanais et obtient la condamnation du journaliste pour diffamation en 2011. Quant au rédacteur en chef, seul requérant devant la CEDH, il est déclaré coupable de diffamation pour l'article publié sous pseudonyme, et de diffamation "aggravée" puisqu'il n'a pas contrôlé ce qui était publié dans Libero (Omesso controllo). Condamné à une amende en première instance, il a ensuite vu sa peine considérablement alourdie en appel, l'amende se transformant en un emprisonnement de quatorze mois, sanction à laquelle il faut ajouter des dommages et intérêts passés de 10 000 € à 30 000 €. Après la confirmation de cette peine par la Cour de cassation italienne en novembre 2012, il a saisi la CEDH.
M. Salutti n'a finalement fait que vingt et un jours de prison, son emprisonnement ayant été transformé en assignation à résidence après une grâce présidentielle. Il estime tout de même qu'une telle sentence privative de liberté porte atteinte à la liberté de presse garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Et la CEDH lui donne raison.
Trompettes de la renommée. Georges Brassens. 1962
Les conditions de l'ingérence dans la liberté de presse
Selon les principes posés par l'article 10, une ingérence du système juridique dans la liberté d'expression peut être licite si elle est prévue par la loi, si elle poursuit un but légitime et enfin si elle "nécessaire dans une société démocratique". En l'espèce, les deux premières conditions sont à l'évidence remplies : les infractions figurent dans le code pénal italien, et elles ont un but légitime qui est de protéger la réputation et les droits des tiers, en l'espèce la jeune fille, ses parents et le juge des tutelles qui a autorisé l'IVG.
Reste la question de la "nécessité dans une société démocratique". Dans l'arrêt Morice c. France du 23 avril 2015, la CEDH énonce que l'ingérence est nécessaire si elle répond à un "besoin social impérieux" et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ».
En l'espèce, la nécessité d'une condamnation ne fait guère de doute. La CEDH rappelle que la réputation du juge des tutelles a été gravement mise en cause par les deux articles publiés par Libero. Le rédacteur en chef a par ailleurs violé les principes déontologiques de la presse en omettant de vérifier les informations publiées. Il est donc responsable de leur contenu erroné, et l'infraction liée à cette absence de contrôle est également jugée nécessaire. Sur ce point, la Cour reprend sa jurisprudence Belpietro c. Italie du 24 septembre 2013 qui affirmait déjà l'obligation pour le directeur d'un journal de refuser la publication d'assertions diffamatoires.
Mais le point qui pose problème est la lourdeur de la peine infligée, que la Cour sanctionne comme disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi. En soi, l'existence d'une peine de prison, surtout assortie du sursis, n'est pas entièrement impossible en matière de délit de presse. Dans l'arrêt du 17 décembre 2004 Cumpana et Mazare c. Roumanie, la CEDH en jugeait déjà ainsi dans le cas des "discours de haine" et d'incitation à la violence. A ses yeux, l'emprisonnement pour diffamation ne saurait donc être qu'exceptionnel, lorsque l'atteinte aux droits des tiers est particulièrement grave. Ce n'est pas le cas quand un rédacteur en chef a simplement fait preuve de négligence dans ce domaine, principe déjà affirmé dans l'affaire Belpietro. La CEDH considère donc qu'une telle sanction est disproportionnée, en l'absence de circonstances d'une exceptionnelle gravité. Elle condamne l'Etat italien à verser 12 000 € au rédacteur en chef de Libero, en réparation du préjudice moral qu'il a subi.
Les autorités italiennes avaient anticipé cette issue et abrogé les dispositions législatives permettant d'assortir une condamnation pour diffamation d'une peine de prison. Cette évolution témoigne d'une tendance lourde au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, visant à exclure les peines de prison en matière de délits de presse, sauf cas exceptionnels.
Reste à s'interroger sur ces cas exceptionnels. Pour la Cour européenne, il s'agit des discours de haine et de l'incitation à la violence, formules employées par l'arrêt Cumpana et Mazare c. Roumanie. En droit français, la diffamation est sanctionnée par une amende, sauf dans l'hypothèse où elle intervient dans un but discriminatoire. Dans ce cas, l'article 32 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit une peine qui peut aller jusqu'à un an de prison et 45 000 € d'amende. L'emprisonnement n'est possible que dans cette hypothèse, qui rejoint le "discours de haine" de l'arrêt Cumpana et Mazare c. Roumanie.
Cette analyse des "cas exceptionnels" justifiant l'emprisonnement permet de constater l'existence d'un critère moins ouvertement affiché, mais néanmoins bien présent. Ce caractère exceptionnel s'apprécie en effet implicitement au regard de l'ordre public. Une diffamation discriminatoire ne porte pas atteinte à une seule personne mais à l'ensemble de celles et ceux qui sont dans la même situation. En diffamant une seule personne, c'est l'ensemble de la communauté nationale que l'on diffame, que l'on atteint dans son unité et dans sa cohésion. Pourquoi ne pas l'affirmer clare et intente ?.
En l'espèce, la nécessité d'une condamnation ne fait guère de doute. La CEDH rappelle que la réputation du juge des tutelles a été gravement mise en cause par les deux articles publiés par Libero. Le rédacteur en chef a par ailleurs violé les principes déontologiques de la presse en omettant de vérifier les informations publiées. Il est donc responsable de leur contenu erroné, et l'infraction liée à cette absence de contrôle est également jugée nécessaire. Sur ce point, la Cour reprend sa jurisprudence Belpietro c. Italie du 24 septembre 2013 qui affirmait déjà l'obligation pour le directeur d'un journal de refuser la publication d'assertions diffamatoires.
Contrôle de proportionnalité
Mais le point qui pose problème est la lourdeur de la peine infligée, que la Cour sanctionne comme disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi. En soi, l'existence d'une peine de prison, surtout assortie du sursis, n'est pas entièrement impossible en matière de délit de presse. Dans l'arrêt du 17 décembre 2004 Cumpana et Mazare c. Roumanie, la CEDH en jugeait déjà ainsi dans le cas des "discours de haine" et d'incitation à la violence. A ses yeux, l'emprisonnement pour diffamation ne saurait donc être qu'exceptionnel, lorsque l'atteinte aux droits des tiers est particulièrement grave. Ce n'est pas le cas quand un rédacteur en chef a simplement fait preuve de négligence dans ce domaine, principe déjà affirmé dans l'affaire Belpietro. La CEDH considère donc qu'une telle sanction est disproportionnée, en l'absence de circonstances d'une exceptionnelle gravité. Elle condamne l'Etat italien à verser 12 000 € au rédacteur en chef de Libero, en réparation du préjudice moral qu'il a subi.
Les autorités italiennes avaient anticipé cette issue et abrogé les dispositions législatives permettant d'assortir une condamnation pour diffamation d'une peine de prison. Cette évolution témoigne d'une tendance lourde au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, visant à exclure les peines de prison en matière de délits de presse, sauf cas exceptionnels.
Reste à s'interroger sur ces cas exceptionnels. Pour la Cour européenne, il s'agit des discours de haine et de l'incitation à la violence, formules employées par l'arrêt Cumpana et Mazare c. Roumanie. En droit français, la diffamation est sanctionnée par une amende, sauf dans l'hypothèse où elle intervient dans un but discriminatoire. Dans ce cas, l'article 32 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit une peine qui peut aller jusqu'à un an de prison et 45 000 € d'amende. L'emprisonnement n'est possible que dans cette hypothèse, qui rejoint le "discours de haine" de l'arrêt Cumpana et Mazare c. Roumanie.
Cette analyse des "cas exceptionnels" justifiant l'emprisonnement permet de constater l'existence d'un critère moins ouvertement affiché, mais néanmoins bien présent. Ce caractère exceptionnel s'apprécie en effet implicitement au regard de l'ordre public. Une diffamation discriminatoire ne porte pas atteinte à une seule personne mais à l'ensemble de celles et ceux qui sont dans la même situation. En diffamant une seule personne, c'est l'ensemble de la communauté nationale que l'on diffame, que l'on atteint dans son unité et dans sa cohésion. Pourquoi ne pas l'affirmer clare et intente ?.
Sur la diffamation : Chapitre 9 section 2 § 1 A du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
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