Le tribunal administratif de Lyon, dans un jugement du 22 novembre 2018, a déclaré légale la crèche de Noël installée, à la fin de l'année 2017, dans l'hôtel de la région Auvergne - Rhône - Alpes, à Lyon. On pourrait ne voir dans cette décision qu'une victoire de Laurent Wauquiez qui avait subi un échec dans un jugement précédent du 6 octobre 2017, rendu à propos de la crèche de l'année précédente, à la fin 2016. On pourrait aussi considérer que ce jugement de novembre 2018 n'est que le plus récent d'une longue série de jugements intervenus sur cette question. Dans un tableau extrêmement instructif, Pierrick Gardien, avocat au barreau de Lyon, recense ainsi une quinzaine de décisions sur les crèches entre novembre 2014 et novembre 2018.
Les arrêts du 9 novembre 2016
La question posée, toujours la même, est de savoir si la crèche est un symbole religieux, au sens où l'entend l'article 28 de la loi de séparation des églises et de l'Etat du 9 décembre 1905. Il interdit en effet "d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux
sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit,
à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture
dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou
expositions".
Le Conseil d'Etat a répondu à la question dans deux arrêts du 9 novembre 2016, l'un sur l'installation d'une crèche dans l'hôtel de
ville de Melun, l'autre dans l'hôtel du département de Vendée. Mais il faut reconnaître que sa réponse n'est pas vraiment simple. Elle repose sur un système de présomption différent
selon le lieu de l'installation. Lorsque la crèche prend place dans un emplacement public,
jardin public ou place publique, elle est présumée licite, sauf si elle
révèle des éléments de prosélytisme. On imagine, par exemple, une
crèche érigée place de l'église, mentionnant ostensiblement les horaires
des messes et invitant les parents à inscrire leurs enfants au
catéchisme. En revanche, lorsque la crèche est installée à l'intérieur
d'un bâtiment public, mairie ou hôtel de région, elle est
présumée illicite. Mais, là encore, la présomption peut être renversée
si l'installation présente un caractère "culturel artistique ou festif" et n'exprime, en aucun cas, la reconnaissance d'un culte.
Dans la crèche les santons. Chorale de Legé
Les santons salvateurs
Laurent Wauquiez a mis un peu de temps à
comprendre la jurisprudence du Conseil d'Etat, situation surprenante si
l'on considère qu'il en est membre. Son échec antérieur d'octobre 2017
s'explique largement par la motivation qu'il avait employée en 2016, au
moment de l'installation de la crèche. Il la considérait alors comme un "symbole de nos racines chrétiennes",
formule qui, à l'évidence, la rattachait l'iconographie
chrétienne, et révélait une démarche bien proche du prosélytisme. L'installation ne
s'accompagnait d'ailleurs d'aucun élément culturel, festif ou artistique. Pour la
crèche de 2017, Laurent Wauquiez a su tirer les leçons de l'échec
précédent. Il s'est inspiré de la pratique du maire de Sorgues qui avait, le premier, appelé à l'aide des santons de Provence dès Noël, et qui avait obtenu que sa crèche soit déclarée légale par le TA de Nîmes, le 16 mars 2018. Reprenant l'idée, Laurent Wauquier a donc pris une décision formelle de création d'une crèche entourée de santons protecteurs, décision accompagnée d'un
communiqué sur le site officiel de la région, mentionnant "une exposition vitrine du savoir-faire régional des métiers d'art et de traditions populaires".
Le TA de Lyon statuant le 22 novembre 2018, appliquant toujours la jurisprudence du Conseil d'État, a pu cette fois donner une solution radicalement opposée. Il a commencé par rappeler qu'une telle installation peut "revêtir une pluralité de significations". Certes, une crèche de Noël fait partie de l'iconographie chrétienne et présente toujours un caractère religieux. Mais elle fait aussi partie des "décorations et illustrations" qui accompagnent traditionnellement les fêtes de fin d'année. Le TA examine alors le contexte dans lequel s'inscrit l'installation. Il évoque " deux grands décors de crèche présentant les métiers d'art et les traditions santonnières régionales dans des scènes pittoresques de la vie quotidienne, réalisés par un ornemaniste et un maître-santonnier drômois". Il en déduit que la crèche a pour finalité de mettre en lumière le talent des artisans de la région, et qu'elle présente donc un caractère culturel, ajoutant d'ailleurs qu'elle s'inscrit dans un usage constant, l'exposition des crèches de Noël étant une tradition ancienne en Auvergne-Rhône-Alpes.
L'art du camouflage
Le jugement du 22 novembre 2018 applique ainsi la jurisprudence du Conseil d'État mais, révèle aussi, au moins dans une certaine mesure, son échec. Les élus disposent désormais d'un mode d'emploi qui leur permet d'installer une crèche de Noël à peu près librement. Laurent Wauquiez a ainsi invité les santons pour la transformer en manifestation culturelle. D'autres inviteront quelques musiciens pour la rendre artistique, d'autres enfin feront venir un marchand de barbe à papa pour assurer le caractère festif. En tout état de cause, l'art le plus pratiqué sera l'art du camouflage, et il le juge n'aura plus pour mission que de sanctionner les élus qui n'ont pas su se montrer suffisamment hypocrites
Hypocrisie du juge ou hypocrisie de la juridiction administrative ? N'était-ce pas finalement le but à atteindre ? En 2016, le Conseil d'État aurait pu prendre une position claire, soit déclarer que la crèche était un symbole religieux au sens de la loi de 1905, soit considérer qu'il s'agissait d'un symbole passif dépourvu de tout prosélytisme, au sens de l'arrêt Lautsi c. Italie rendu en 2011 par la Cour européenne des droits de l'homme. Dans un cas, il l'interdisait, dans l'autre il l'autorisait. Mais en tout cas, il définissait une règle simple. Il n'en a rien fait et a préféré adopter une jurisprudence complexe et difficilement lisible, comme il le fait souvent en matière de laïcité. Mais finalement cette jurisprudence présente l'avantage, ou l'inconvénient, de laisser les élus faire ce qu'ils veulent.
Hypocrisie du juge ou hypocrisie de la juridiction administrative ? N'était-ce pas finalement le but à atteindre ? En 2016, le Conseil d'État aurait pu prendre une position claire, soit déclarer que la crèche était un symbole religieux au sens de la loi de 1905, soit considérer qu'il s'agissait d'un symbole passif dépourvu de tout prosélytisme, au sens de l'arrêt Lautsi c. Italie rendu en 2011 par la Cour européenne des droits de l'homme. Dans un cas, il l'interdisait, dans l'autre il l'autorisait. Mais en tout cas, il définissait une règle simple. Il n'en a rien fait et a préféré adopter une jurisprudence complexe et difficilement lisible, comme il le fait souvent en matière de laïcité. Mais finalement cette jurisprudence présente l'avantage, ou l'inconvénient, de laisser les élus faire ce qu'ils veulent.
Sur les crèches de Noël : Chapitre 10 section 1 § 2 B du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.