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lundi 12 novembre 2018

Les Invités de LLC : Serge Sur : La victoire en pleurant


Il convient sans nul doute de saluer la réunion du Forum de Paris sur la paix. Excellente initiative que de créer un événement international appelé à se renouveler et qui permet de rassembler régulièrement responsables politiques, organisations internationales, think tanks, ONG, experts et autres personnes ou entités actives sur le plan mondial. Instance de contact, de dialogue et d’échanges, ce Forum peut devenir un laboratoire d’idées, mais aussi un creuset dont sortiront des projets concrets donnant vie à des actions multilatérales. Son agenda se moulera sur les questions qui relèvent d’intérêts communs et qui ne peuvent être traitées ni de façon unilatérale, ni même par les seuls États. Il pourra contribuer à définir les priorités de l’action internationale et aux décisions qu’elles appellent. Les concepteurs du Forum doivent en être remerciés par tous.

On n’en dira pas autant, hélas, de la « commémoration » de l’armistice de 1918, qui n’a que trop été confondue avec le Forum, comme si on devait lire la victoire des Alliés à la lumière du Forum, réécrire le passé au nom du présent, voire d’un avenir projeté. D’abord, célébrer serait plus juste que commémorer, même si l’on ne retient que la dimension doloriste du souvenir, les souffrances des soldats et des peuples impliqués dans le conflit : en effet, l’arrêt du conflit est un jour heureux, et c’est bien comme cela que les acteurs et témoins du moment l’ont vécu. Tous les documents disponibles en témoignent. Ensuite, cette fin des combats sur le front français et belge correspondait à la victoire, et là encore témoins et acteurs l’ont vécue comme telle, dans l’enthousiasme et la fierté.

Or la présentation faite par les autorités officielles comme par les commentateurs ou par des historiens qui sont plutôt des idéologues a en quelque sorte gommé la victoire. En mettant un signe d’égalité entre les belligérants, confondus dans la souffrance, on a oublié qu’il y avait deux camps, qui ne combattaient pas au nom des mêmes valeurs. On a privé nombre de Poilus de leur vie, de leur intégrité physique ou morale, voilà maintenant qu’on leur vole leur victoire. Se seraient-ils accrochés à leur sol avec tant d’héroïsme et de sacrifices s’ils n’avaient pas défendu, car ils se défendaient contre un envahisseur, leur sol et leur mode de vie, leurs principes et leurs libertés ? On critique beaucoup le président Trump : il a au moins eu le mérite de souligner, au cimetière de Suresnes, que soldats américains et français s’étaient battus pour des valeurs communes, la démocratie et la liberté. La liberté, que nous n’aurions pas conservée si l’Allemagne avait gagné, comme la suite l’a montré. Au passage, on oublie aussi que la France a combattu pour reprendre l’intégrité de son territoire national avec l’Alsace Moselle, curieusement passés à l’as dans cette « commémoration ». N’y aurait-il pas lieu de s’en féliciter ?

Alors il paraît qu’il faut distinguer l’histoire et la mémoire. La mémoire, c’est ce qui reste aux générations actuelles, l’histoire serait le domaine du passé, des bibliothèques et des spécialistes. La mémoire serait sélective, elle imposerait une réécriture permanente au nom des perceptions souhaitables des événements. Ce qu’il conviendrait de garder de la Grande guerre, ce sont les boucheries, massacres, destructions, ainsi que l’échec de la reconstruction de la paix. Grand malheur, la guerre serait une catastrophe dont tous seraient responsables, c’est-à-dire personne, et l’on pleurerait sur les victimes. Et tous, ou presque, de s’incliner devant les Somnambules, de Christopher Clark, livre qui soutient cette thèse, qui repose sur une idée fausse. Idée fausse qui est en même temps une mauvaise action, visant à exonérer l’Allemagne d’une responsabilité qu’elle a elle-même reconnue.


Gloire immortelle de nos aïeux. Choeur des soldats. Faust. Gounod


Sans doute la réconciliation franco-allemande est une immense réussite en même temps qu’une condition de la paix en Europe et il faut veiller sur elle comme sur la prunelle de nos yeux. Elle ne justifie pas pour autant que l’on travestisse la réalité. Ce n’est pas être cocardier que de constater que l’Allemagne en 1914 a pris l’initiative d’envahir la Belgique, Etat neutre, sans déclaration de guerre, puis la France et que le conflit s’est déroulé sur leur sol avec d’immenses destructions. Ce n’est pas être nationaliste que d’admirer la génération des Français de 1914 qui n’ont pas cédé, qui sont des héros autant que des victimes, et que l’on doit célébrer comme tels. Pour ne pas déplaire à l’Allemagne, on occulte tout cela au profit de commémorations tronquées.

Comment ne pas éprouver un malaise lorsque l’on constate que, ce 11 novembre 2018, une chancelière allemande est accueillie en majesté alors que les Britanniques, qui ont combattu vaillamment aux côtés des Français, sont pratiquement absents et comme passés sous silence ? Ils ont quant à eux un autre respect de leur victoire, qui est aussi la nôtre. On a raison de bien traiter Madame Merkel, mais où est le Royaume-Uni, belligérant à nos côtés ? A-t-on honte de la victoire que l’on insiste à ce point sur sa fragilité et sur une quasi-victoire allemande ? On ne sait plus qui a déclenché la guerre, on ne dit plus qui l’a gagnée. Dans une commémoration digne de George Orwell, on gomme le passé, ou plutôt on le réécrit. Certains ont voulu une loi contre les fake news : excellente occasion de l’appliquer !

La journée réservait, hélas, une autre incongruité. Dans un tweet, le ministre de l’Intérieur et des cultes, M. Castaner, notait que « 7 000 Juifs de France » avaient péri dans les tranchées, et qu’il honorait leur mémoire avec M. Netanyahu, premier ministre israélien. Voilà qui attriste d’abord, qui indigne ensuite. Ces « Juifs de France » n’étaient-ils des Français comme les autres, parmi d’autres, fondus dans la masse des Poilus ? Ne se vivaient-ils pas comme tels ? Le fichage des convictions religieuses n’est-il pas interdit ? Et M. Netanyahu, représentant d’un Etat qui n’existait pas alors, quel titre aurait-il à annexer ces citoyens français, morts pour la France ? L’affaire Dreyfus n’a-t-elle pas amplement démontré que la République ne distinguait pas entre ses enfants ? Pourquoi singulariser ainsi une communauté, la détachant en quelque sorte de la nation, rejoignant curieusement l’antisémitisme ordinaire ? Sans doute y a-t-il là un petit calcul politique, voire électoral, mais vouloir faire voter les morts au nom de réalités anachroniques relève au mieux de la sottise, au pire de la bassesse.

Décidément, on a vécu ce centenaire comme une victoire en pleurant.

Serge Sur
Professeur émérite de droit public à l'Université Panthéon-Assas

1 commentaire:

  1. Que ce texte est agréable à lire mais il peut aussi être mis en rapport avec la prochaine décision de l'ONU qui nous plongera dans un monde digne de George Orwell ou de Jean Raspail avec "Le Camp des Saints".
    Je veux parler de l'accord instituant un "Pacte Mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières".
    https://www.un.org/pga/72/wp-content/uploads/sites/51/2018/07/migration.pdf

    Ce texte qui devrait être signé en décembre prochain dans le cadre d'une cérémonie officielle au Maroc ne m'inspire guère. Où est la liberté des peuples à disposer d'eux mêmes quand un machin se prévaut de leur imposer de telles prérogatives, bâillonnant la presse au passage avec un chantage aux aides et subventions, imposant aux peuples l'arrivée de migrants qu'il devra nourrir, loger, soigner et autre.
    A cela s'ajoute le fait que la culture du migrant devra être respectée. EN sera-t-il ainsi pour l'excision qui est culturelle dans certains pays ?

    Sous forme de vouloir bien faire, je vois ce texte comme une incitation à la haine, au replis des peuples et à l'ouverture d'affrontements qui ne seront pas que verbaux. Triste de "flinguer" une telle institution mais personne ne l'a obligée à se saborder comme une grande.

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