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samedi 22 juillet 2017

VIncent Lambert : la loi face à l'intimidation

"Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire faire le surledemain par quelqu’un d’autre". Le médecin responsable du service en charge de Vincent Lambert aurait-il lu Pierre Dac lorsqu'il a décidé, en juillet 2015, de suspendre sine die la procédure de consultation préalable à l'arrêt des traitements de ce jeune homme tétraplégique, "en état de conscience minimum" depuis de nombreuses années ? Dans un arrêt du 19 juillet 2017, le Conseil d'Etat annule cette décision de suspension et impose ainsi au médecin de se prononcer formellement sur l'engagement d'une nouvelle procédure d'interruption des traitements.

La loi Léonetti du 22 avril 2005  énonce que "les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnables. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris". Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté sur l'éventuel arrêt des soins, la décision peut être prise sur le fondement de "directives anticipées" qu'il a pris la précaution de rédiger ou sur l'avis d'une "personne de confiance"qu'il a désignée, deux possibilités offertes par la loi Léonetti. Lorsque, comme c'est le cas de Vincent Lambert, aucune de ces procédures n'a été mise en oeuvre, la loi prévoit que la décision est prise par l'équipe médicale qui se prononce après avis de la famille du patient (art L. 111-4 csp).

En l'espèce, la consultation avait eu lieu, auprès de onze proches de Vincent Lambert, suivie d'une décision d'arrêt des traitements prise par le médecin responsable du service au CHU de Reims. On se souvient que, dans un arrêt du 24 juin 2014, le Conseil d'Etat avait admis la légalité de la décision prise par l'équipe médicale de l'époque de mettre fin à l'alimentation et à l'hydratation artificielles de Vincent Lambert. Le 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l'homme avait affirmé que la mise en oeuvre d'une telle décision n'emportait pas de violation de la Convention européenne des droits de l'homme. 

Nouvelle équipe, nouvelle décision


Hélas, la famille de Vincent Lambert demeure divisée, et sa mère en particulier refuse toute idée d'interruption des traitements. Après cet échec contentieux, d'autres techniques ont été explorées, avec un certain succès. Eric Kariger, médecin chef du service de l'hôpital de Reims où était hospitalisé Vincent Lambert a fini par quitter ses fonctions, admettant publiquement qu'il avait fait l'objet de pressions et de menaces s'il mettait en oeuvre la décision du Conseil d'Etat. 

La première question posée au Conseil d'Etat est donc de savoir si la seconde équipe médicale est liée par la décision prise par la première. Comme la Cour administrative d'appel de Nancy, le Conseil d'Etat se fonde sur l'article R. 4127-5 du code de la santé publique qui énonce que "le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit". Les décisions prises dans l'exercice de son art médical ne peuvent lui être dictées par qui que ce soit et il doit se prononcer personnellement. Cela signifie concrètement qu'une nouvelle procédure doit être engagée.

C'est ce qu'a fait le médecin qui a succédé au professeur Kariger le 7 juillet 2015, nouvelle procédure presque aussitôt interrompue le 23 juillet suivant. A l'appui de cette décision d'interruption, le CHU invoque des conditions de sécurité et de sérénité non remplies, c'est-à-dire probablement de nouvelles menaces formulées à l'encontre de l'équipe soignante. Cette fois, il faut reconnaître qu'elle a rapidement cédé.

William Bouguereau. Une âme au ciel. 1878

Illégalité des motifs


La question des motifs de cette interruption est essentielle non seulement pour la résolution de l'affaire Lambert mais aussi et surtout au regard de l'effectivité de la loi Léonetti. Celle-ci prévoit en effet que l'équipe médicale compétente pour décider de l'interruption du traitement,  peut se fonder sur deux séries d'éléments. Des éléments médicaux tout d'abord comme l'état du patient,  son évolution depuis l'accident ou le début de sa maladie, son éventuelle souffrance et le pronostic clinique. Des éléments non médicaux ensuite, reposant essentiellement sur la volonté du patient ou, si elle n'est pas exprimée, sur l'avis de sa famille. 

C'est ainsi que dans une ordonnance du 8 mars 2017, le juge des référés du Conseil d'Etat a ordonné de continuer les soins dispensés à une enfant de dix mois atteinte de lésions cérébrales définitives à la suite d'une infection virale. Les données médicales ne permettaient pas d'être certain que l'état de l'enfant ne pouvait connaître aucune évolution. Quant aux données non médicales, elles tenaient tout entières dans un refus pur et simple des parents d'envisager l'arrêt des traitements. Le juge des référés a alors sagement décidé de laisser du temps au temps. 

Dans le cas de Vincent Lambert, les causes invoquées pour suspendre la procédure d'interruption résident dans l'absence de sécurité et de sérénité de son déroulement. Pour le Conseil d'Etat, cette cause n'est pas prévue par la loi, et elle ne peut donc être utilement invoquée devant le juge. Le médecin nouvellement en charge de Vincent Lambert ne pouvait suspendre la procédure pour ces motifs et il doit engager une nouvelle consultation. 

Cet arrêt, qui ne porte que sur la procédure d'interruption des traitements, pourrait sembler relativement secondaire dans une affaire marquée déjà par une bonne dizaine de décisions de justice. Il risque pourtant de rendre plus difficile la situation de la mère de Vincent Lambert et de ceux qui s'opposent énergiquement à l'interruption des traitements. En effet, la seconde loi Léonetti du 2 février 2016 précise les conditions de mise en oeuvre du droit de mourir dans la dignité. Elle affirme en particulier que la notion d'interruption des traitements englobe celle de la nutrition et de l'hydratation. Cet ajout est, à l'évidence, le produit de l'affaire Lambert et le législateur affirme ainsi clairement que son cas entre dans le champ d'application du droit de mourir dans la dignité. Par ailleurs, plus le temps passe, et plus l'argument reposant sur l'amélioration de l'état de Vincent Lambert perd sa crédibilité.

Surtout, la décision du 19 juillet 2017 envoie un message clair : une procédure prévue par le législateur ne peut pas être indéfiniment tenue en échec par des pressions et des mesures d'intimidation. Une ou plusieurs personnes, aussi déterminées soient-elles, ne peuvent faire obstacle à l'application de la loi et doivent faire valoir leur point de vue en utilisant les procédures légales. Il est parfois bon de rappeler des évidences.


Sur le droit de mourir dans la dignité  : Chapitre 7 section 2 § 2 du manuel de libertés publiques sur internet

2 commentaires:

  1. Un grand merci pour le rappel de toutes les décisions des différentes juridictions (nationales judiciaires et administratives ainsi qu'européennes) ayant jalonné cette douloureuse affaire Lambert. Décidément, le nom de Lambert - que l'on se prénomme Vincent ou Jean-Michel - ne porte pas chance à celui qui le porte !

    Le moins que l'on puisse dire est que la justice sait faire preuve tantôt de sévérité tantôt de mansuétude sans que l'on sache vraiment les critères objectifs qui la guident pour parvenir à de tels résultats. De la même façon, la justice sait autant se comporter en justice de concertation qu'en justice de coercition. Quand, dans l'affaire Vincent Lambert, saura-t-elle ou voudra-t-elle passer du premier au second stade en se tenant à l'écart des pressions qui s'exercent sur elles ? Quand saura-t-elle punir les auteurs de ces pressions ? Pensons à Bernard Tapie qui demande des délais de 20 ans pour acquitter sa dette de 400 millions d'euros prélevés dans la poche du contribuable français... en dépit de l'épuisement des toutes les voies de recours interne.

    Pour conclure sur la même note que celle qui constitue votre introduction, nous pourrions dire avec Pierre Dac : "Si la justice est parfois lente à être rendue, c'est que bien souvent les magistrats, ne sachant pas qu'en faire, hésitent entre la rendre ou la garder pour eux".

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  2. Pour ma part je trouve terriblement inquiétant que "des pressions et mesures d'intimidation" puissent battre en brèche la procédure sanctionnée par le législateur.

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