Le général Pierre de Villiers a présenté sa démission de Chef d'état major des armées (CEMA) le 19 juillet 2017, exactement une semaine après son audition par la commission de la défense de l'Assemblée nationale, le 12 juillet, audition durant laquelle il n'aurait pas mâché ses mots. Selon la presse, car on ne dispose d'aucun verbatim ni d'aucune vidéo, il aurait dénoncé, dans un style quelque peu rugueux, les coupes budgétaires annoncées dans le budget de la défense : « Je ne me laisserai pas baiser comme cela » (...) Le grand écart entre les objectifs assignés à nos forces et les moyens alloués n'est plus tenable". Dès le lendemain, 13 juillet, le Président Emmanuel Macron a pris la parole durant la traditionnelle garden party qui précède le défilé des troupes. Il a affirmé qu'il n’était «pas digne d’étaler certains débats sur la place publique». Il a ensuite rappelé aux militaires leur «sens du devoir et de la réserve», pour finir sur un ton de commandement : "Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant
nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n’ai à
cet égard besoin de nulle pression et de nul commentaire".
Le Président de la République est le chef des armées, prérogative que nul ne lui conteste, surtout pas les militaires, et qui figure formellement dans l'article 15 de la Constitution. A ce titre, il "préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale". Comme chef des armées, il a donc le droit, s'il le souhaite, de "recadrer" le CEMAA. Certes, il existe une règle traditionnellement respectée dans les forces armées qui veut qu'une telle explication de texte n'ait jamais lieu devant les subordonnés de l'intéressé. En tout état de cause, le Président a le droit de l'écarter puisqu'elle est dépourvue de fondement juridique et résulte seulement d'une tradition de management fondée sur le principe hiérarchique. Il appartiendra ensuite au Président, et à lui seul, de juger de l'opportunité de cette dramatisation, face à un général sans doute très conscient des conséquences de ses propos.
La question n'est pas de savoir si le Président est compétent pour tancer un grand subordonné mais s'il avait raison sur le fond. Autrement dit, le général de Villiers avait-il commis un manquement à l'obligation de réserve ?
L'article 5bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires énonce qu'"une commission spéciale ou permanente peut convoquer toute personne dont elle estime l’audition nécessaire, réserve faite, d’une part, des sujets de caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat, d’autre part, du respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs". En l'occurrence, pour préserver la confidentialité des échanges, l'audition du général de Villiers a été réalisée à huis-clos. Cette confidentialité est censée à la fois protéger le secret de la défense nationale et garantir la complète liberté des échanges. Bien que n'ayant donné lieu à aucun compte-rendu, il est évident que l'audition du général a suscité des fuites, mais il était probablement le premier à s'y attendre.
Quoi qu'il en soit, la personne convoquée devant une assemblée parlementaire ne peut s'y soustraire. Un refus est passible d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 7500 €.
Le problème est que le CEMA, comme n'importe quel fonctionnaire, est soumis à l'obligation de réserve. Alors que celle-ci est d'origine jurisprudentielle pour le reste de la fonction publique, elle a un fondement législatif dans le cas des militaires. L'article L 4121-2 du code de la défense énonce certes que "les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres". Toutefois, elles ne peuvent être exprimées " qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire". Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression, et le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 12 janvier 2011, admet que le chef d'escadron de Gendarmerie Jean-Hugues Matelly a violé l'obligation de réserve en publiant différents articles contestant le passage de l'Arme sous l'autorité du ministre de l'intérieur. En l'espèce, la Haute Juridiction estime disproportionnée par rapport aux faits qui l'ont motivée la sanction de radiation des cadres prononcée à son encontre. Par ailleurs, la jurisprudence considère que la réserve s'impose avec une intensité plus importante aux agents publics investis de fonctions particulièrement importantes. Dans un arrêt du 24 septembre 2010, le Conseil d'Etat confirme ainsi la légalité d'une sanction infligée à un préfet qui avait publiquement critiqué le ministre de l'intérieur.
Certes, mais dans les deux cas, les sanctions portaient sur des manquements à l'obligation de réserve commis soit par des publications, soit par des propos tenus à des journalistes. Elles ne concernaient pas un échange intervenu dans une commission parlementaire, à huis-clos. Dans l'état actuel du droit, aucune loi n'affirme que l'obligation de réserve doit être écartée au profit du parlement. Il appartient donc au malheureux militaire auditionné de gérer ce double-binding. Soit il est parfaitement sincère et il risque à tout instant de violer le devoir de réserve. Soit il respecte parfaitement la réserve et inflige aux parlementaires l'un de ces Power-Point de langue de bois que les militaires savent très bien fabriquer, précisément quand ils ne veulent rien dire. Dans un cas, le militaire risque la sanction, dans l'autre le Parlement n'est pas informé de manière satisfaisante.
En l'absence de texte, on peut se référer au précédent bien connu du général Soubelet. Devant une commission parlementaire, il avait déclaré : "Pour le seul mois de novembre 2013 dans les Bouches-du-Rhône, 65 % des cambrioleurs interpellés sont à nouveau dans la nature". Et il ajoute : «Vous pouvez mettre des effectifs supplémentaires sur le terrain mais, dans ces conditions, cela ne servira à rien». Il s'exprimait alors, en décembre 2013, devant la commission d'enquête parlementaire sur la lutte contre l'insécurité. Devant une commission d'enquête, l'intéressé est auditionné sous serment et le mensonge est susceptible de poursuites pour faux témoignage, dans les conditions du code pénal. Il avait donc choisi de respecter son serment et de dire ce qu'il pensait être la vérité. Mais cette affaire n'a pas eu pour effet de clarifier l'étendue de l'obligation de réserve et la question de son opposabilité au parlement. En effet, dans son cas, il était inutile d'engager une procédure disciplinaire. Le général a simplement été muté à la direction de la gendarmerie d'outre-mer, avant qu'il soit mis fin à ses fonctions dans l'armée d'active.
Reste la question du parlement. Le 5 juillet 2017, un médecin qui avait témoigné devant une commission d'enquête sénatoriale a été sévèrement condamné pour parjure par le tribunal correctionnel. Interrogé sur le coût de la pollution de l'air, il avait caché ses liens avec le groupe pétrolier Total. Or, si les personnes auditionnées peuvent être poursuivies en cas en parjure, peut-être devraient-elles être protégées lorsqu'elles expriment leur opinion avec sincérité ? Si l'on considère le cas du général de Villiers, on comprend que le Chef de l'Exécutif, certes chef des armées, entend imposer une stricte obligation de réserve à ceux qui sont auditionnés par la représentation nationale. Au célèbre "Je ne veux voir qu'une seule tête" succédera donc un "Je ne veux entendre qu'un seul discours". Si le Parlement l'accepte, il aura, somme toute, l'information qu'il mérite.
Le Président de la République est le chef des armées, prérogative que nul ne lui conteste, surtout pas les militaires, et qui figure formellement dans l'article 15 de la Constitution. A ce titre, il "préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale". Comme chef des armées, il a donc le droit, s'il le souhaite, de "recadrer" le CEMAA. Certes, il existe une règle traditionnellement respectée dans les forces armées qui veut qu'une telle explication de texte n'ait jamais lieu devant les subordonnés de l'intéressé. En tout état de cause, le Président a le droit de l'écarter puisqu'elle est dépourvue de fondement juridique et résulte seulement d'une tradition de management fondée sur le principe hiérarchique. Il appartiendra ensuite au Président, et à lui seul, de juger de l'opportunité de cette dramatisation, face à un général sans doute très conscient des conséquences de ses propos.
La question n'est pas de savoir si le Président est compétent pour tancer un grand subordonné mais s'il avait raison sur le fond. Autrement dit, le général de Villiers avait-il commis un manquement à l'obligation de réserve ?
Le devoir de parler
L'article 5bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires énonce qu'"une commission spéciale ou permanente peut convoquer toute personne dont elle estime l’audition nécessaire, réserve faite, d’une part, des sujets de caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat, d’autre part, du respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs". En l'occurrence, pour préserver la confidentialité des échanges, l'audition du général de Villiers a été réalisée à huis-clos. Cette confidentialité est censée à la fois protéger le secret de la défense nationale et garantir la complète liberté des échanges. Bien que n'ayant donné lieu à aucun compte-rendu, il est évident que l'audition du général a suscité des fuites, mais il était probablement le premier à s'y attendre.
Quoi qu'il en soit, la personne convoquée devant une assemblée parlementaire ne peut s'y soustraire. Un refus est passible d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 7500 €.
"Je suis votre Chef". Abraracourcix. René Goscinny et Albert Uderzo. |
L'obligation de réserve
Le problème est que le CEMA, comme n'importe quel fonctionnaire, est soumis à l'obligation de réserve. Alors que celle-ci est d'origine jurisprudentielle pour le reste de la fonction publique, elle a un fondement législatif dans le cas des militaires. L'article L 4121-2 du code de la défense énonce certes que "les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres". Toutefois, elles ne peuvent être exprimées " qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire". Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression, et le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 12 janvier 2011, admet que le chef d'escadron de Gendarmerie Jean-Hugues Matelly a violé l'obligation de réserve en publiant différents articles contestant le passage de l'Arme sous l'autorité du ministre de l'intérieur. En l'espèce, la Haute Juridiction estime disproportionnée par rapport aux faits qui l'ont motivée la sanction de radiation des cadres prononcée à son encontre. Par ailleurs, la jurisprudence considère que la réserve s'impose avec une intensité plus importante aux agents publics investis de fonctions particulièrement importantes. Dans un arrêt du 24 septembre 2010, le Conseil d'Etat confirme ainsi la légalité d'une sanction infligée à un préfet qui avait publiquement critiqué le ministre de l'intérieur.
Certes, mais dans les deux cas, les sanctions portaient sur des manquements à l'obligation de réserve commis soit par des publications, soit par des propos tenus à des journalistes. Elles ne concernaient pas un échange intervenu dans une commission parlementaire, à huis-clos. Dans l'état actuel du droit, aucune loi n'affirme que l'obligation de réserve doit être écartée au profit du parlement. Il appartient donc au malheureux militaire auditionné de gérer ce double-binding. Soit il est parfaitement sincère et il risque à tout instant de violer le devoir de réserve. Soit il respecte parfaitement la réserve et inflige aux parlementaires l'un de ces Power-Point de langue de bois que les militaires savent très bien fabriquer, précisément quand ils ne veulent rien dire. Dans un cas, le militaire risque la sanction, dans l'autre le Parlement n'est pas informé de manière satisfaisante.
En l'absence de texte, on peut se référer au précédent bien connu du général Soubelet. Devant une commission parlementaire, il avait déclaré : "Pour le seul mois de novembre 2013 dans les Bouches-du-Rhône, 65 % des cambrioleurs interpellés sont à nouveau dans la nature". Et il ajoute : «Vous pouvez mettre des effectifs supplémentaires sur le terrain mais, dans ces conditions, cela ne servira à rien». Il s'exprimait alors, en décembre 2013, devant la commission d'enquête parlementaire sur la lutte contre l'insécurité. Devant une commission d'enquête, l'intéressé est auditionné sous serment et le mensonge est susceptible de poursuites pour faux témoignage, dans les conditions du code pénal. Il avait donc choisi de respecter son serment et de dire ce qu'il pensait être la vérité. Mais cette affaire n'a pas eu pour effet de clarifier l'étendue de l'obligation de réserve et la question de son opposabilité au parlement. En effet, dans son cas, il était inutile d'engager une procédure disciplinaire. Le général a simplement été muté à la direction de la gendarmerie d'outre-mer, avant qu'il soit mis fin à ses fonctions dans l'armée d'active.
Et le parlement ?
Reste la question du parlement. Le 5 juillet 2017, un médecin qui avait témoigné devant une commission d'enquête sénatoriale a été sévèrement condamné pour parjure par le tribunal correctionnel. Interrogé sur le coût de la pollution de l'air, il avait caché ses liens avec le groupe pétrolier Total. Or, si les personnes auditionnées peuvent être poursuivies en cas en parjure, peut-être devraient-elles être protégées lorsqu'elles expriment leur opinion avec sincérité ? Si l'on considère le cas du général de Villiers, on comprend que le Chef de l'Exécutif, certes chef des armées, entend imposer une stricte obligation de réserve à ceux qui sont auditionnés par la représentation nationale. Au célèbre "Je ne veux voir qu'une seule tête" succédera donc un "Je ne veux entendre qu'un seul discours". Si le Parlement l'accepte, il aura, somme toute, l'information qu'il mérite.
=== "LA FIN DE L'ILLUSION COMMUNICANTE ===
RépondreSupprimerAnalyse précise et claire de l'état du droit positif en matière d'obligations des fonctionnaire et, plus spécifiquement, de celles des militaires de haut rang. Pour nécessaire qu'elle soit l'analyse strictement juridique ne rend qu'imparfaitement compte de la réalité du problème du droit d'expression des fonctionnaires. Pour la compléter, et sans faire de mauvais jeux de mots, il importe d'aller du général au particulier.
1. Du général...
Force est de constater que le droit de la fonction publique est un droit dérogatoire du droit commun qui pénalise les (hauts) fonctionnaires confrontés à des difficultés avec leur administration d'origine et, pire encore, lorsqu'il s'agit de difficultés avec le pouvoir politique. A cela s'ajoute le fait que l'analyse précise de la jurisprudence du Conseil d'Etat est très protectrice du fait du prince et fait souvent peu cas des droits élémentaires du citoyen (Cf. ceux contenus dans la convention européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe ratifiée par la France en 1974). Le Palais-Royal n'a jamais brillé par son courage et par son indépendance. La question qui est posée est celle de la définition de la loyauté pour un haut fonctionnaire ainsi que de ses limites. Préfère-t-on un fonctionnaire obéissant qui accepte toutes les compromissions (Cf. dessin de Plantu du Monde du 21 juillet 2017 en première page) à un fonctionnaire direct qui s'attache à la "vérité des faits" ? Le général de Gaulle a été condamné à mort en 1940 par le régime de Vichy pour manque de loyauté. L'Histoire a tranché... mais plus tard !
2. ... au particulier
Dans le cas du général de Villiers, nous avons assisté à la conjonction de plusieurs éléments qui ont conduit à l'issue que l'on sait : personnalité entière ; violation de la confidentialité des débats par les membres de la commission de la défense de l'Assemblée nationale (où sont les sanctions ?); crise "d'autoritarisme juvénile" (général Vincent Desportes) de notre jeune président de la République (humiliation publique et devant ses pairs du CEMA, reniement de ses promesses de campagne, contradiction entre les ambitions militaires de la France et ses moyens...). Et tout cela pour annoncer hier sur la base d'Istres que le budget de la défense serait le seul à ne pas baisser en 2018. Tout ceci n'est pas très sérieux. Ce genre de problèmes se règlent par la procédure classique de l'arbitrage et non sur les chaînes de télévision en continu. Il va falloir plus qu'une communication réglée comme un spectacle de ballet pour résoudre le malaise latent de l'armée dans une période où les questions de sécurité - au sens large du terme - sont prioritaires dans notre pays.
"L"obéissance est un métier bien rude" (Pierre Corneille, Nicomède).