Les deux principaux protagonistes, Julien Coupat et Yildune Lévy, ont donc été poursuivis pour association de malfaiteurs et dégradations en réunion, les autres membres du groupe pour falsification de documents administratifs, recel de faux documents, ou encore pour avoir refusé de se prêter à un prélèvement d'ADN. L'ordonnance de renvoi a été confirmée par la Chambre de l'instruction de la cour d'appel de paris le 28 juin 2016. La Chambre criminelle se prononce donc, le 10 janvier 2017, sur un pourvoi du procureur général et de la SNCF, partie civile. Le pourvoi est rejeté, ce qui n'est pas, en soi, une surprise.
L'absence de charges suffisantes
La Chambre criminelle affirme qu'"Il n’existe pas de charges suffisantes permettant de retenir que les infractions […] auraient été commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur».
Cette affirmation repose sur les éléments du dossier. On se souvient que les avocats des prévenus avaient habilement contesté les éléments de preuve apportés par des balises de géolocalisation placées sous leur véhicule. Elles avaient révélé un premier arrêt à côté de la voie du TGV, puis un second près d'une rivière dans le lit de laquelle on retrouva ensuite plusieurs objets susceptibles d'être utilisés pour saboter une caténaire. Mais à l'époque, la police utilisait ces balises sans aucun fondement juridique, cette technique n'ayant été autorisée en matière judiciaire qu'avec la loi du 28 mars 2014. La preuve était donc fragilisée par l'illégalité de la manière dont elle a été recueillie.
On se souvient aussi qu'à l'époque, Alain Bauer, aussi bien en cour sous Nicolas Sarkozy que sous Manuel Valls, avait distribué aux plus hauts responsables de la sécurité quarante exemplaires du livre "L'insurrection qui vient", ouvrage rédigé par un mystérieux "comité secret" dont Julien Coupat était peut être membre. Aux yeux du Grand Criminologue, le contenu de l'ouvrage suffisait à démontrer le caractère terroriste de l'infraction. A l'époque, il n'était pas question de contester les dires du Grand Augure, qui distribuait le livre avec autant de générosité que les guides Champerard à Aéroport de Paris.
Une substitution de motifs
Ces errements ont été écartés par les juges, du juge d'instruction à la décision de la Chambre criminelle du 10 janvier 2017. Cette décision ne se borne pas cependant à confirmer la décision de la Chambre de l'instruction. Elle opère une véritable substitution de motifs à partir de l'interprétation de l'article 421-1 du code pénal. Pour celui-ci, une infraction pénale peut constituer un acte de terrorisme "lorsqu'elle est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur". Ces dispositions issues de la loi du 9 septembre 1986, ont été déclarées conformes à la constitution par le Conseil constitutionnel qui a estimé qu'elles étaient d'une "précision suffisante" et ne méconnaissaient pas le principe de légalité des délits et des peines.
Pour la Chambre de l'instruction, les actes commis par le groupe de Tarnac n'avaient pas de caractère terroriste. A ses yeux, le livre "L'insurrection qui vient" ne permettait pas de prouver l'"intention" terroriste de ses membres. De même, l'intimidation ou la terreur ne pouvait être provoquée par des sabotages, certes très désagréables dans la mesure où ils provoquaient des graves dysfonctionnements dans le trafic ferroviaire, mais qui ne risquaient en aucun de provoquer des déraillements ou, d'une manière générale, des dommages très graves.
Lucky Luke contre Joss Jamon. Morris. 1958 |
Tout cela est peut-être juste, mais la Cour de cassation observe que la Chambre d'accusation raisonne à l'envers. Pour la chambre criminelle, l'absence d'intention terroriste ne saurait être exclusivement déduite des faits. L'article 421-1 du code pénal définit en effet le terrorisme par deux éléments cumulatifs.
D'une part, l'existence d'une finalité de "trouble grave de l'ordre par l'intimidation ou la terreur". C'est donc l'intention des auteurs qui doit être appréciée, leur stratégie d'origine, quel que soit le résultat de leur entreprise. En termes simples, un attentat raté demeure un acte terroriste, et doit être sanctionné comme tel. Surtout, l'objectif d'intimidation est totalement indépendant du danger pour la population. Peut ainsi être qualifiée de terroriste une action qui aurait pour conséquence de désorganiser complètement un service public, qu'il s'agisse d'une cyber-attaque ou d'une destruction systématique des caténaires du réseau ferré. Dans le cas du groupe de Tarnac, l'intention était loin d'être aussi claire. Il n'est pas établi qu'ils avaient pour intention de semer la terreur, dans la mesure où ils savaient que les conséquences de leur acte ne pouvaient être réellement dangereuses pour la sécurité des personnes. La finalité d'intimidation n'était pas plus évidente, dès lors que rien ne montre qu'ils avaient pour projet de multiplier ce type de sabotage, au point de désorganiser durablement le réseau.
D'autre part, la qualification de terrorisme n'est acquise que si une infraction figurant dans la liste de l'article 421-1 c. pén. en est le support. Ces infractions ne sont pas nécessairement d'une extrême gravité et il suffit, pour qu'elles soient qualifiées de terroristes, qu'elles aient été commises en lien avec un acte terroriste. Dans un arrêt du 4 juin 2014, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi admis la qualification de terrorisme pour un recel d'armes destinées à être utilisées par des tiers pour attaquer une gendarmerie en Corse. L'aide logistique au terrorisme relève donc de l'article 421-1 du code pénal. Dans le cas de Tarnac, cette seconde est remplie, et les infractions commises auraient pu être qualifiées de terroriste, si l'élément intentionnel n'avait pas fait défaut.
La décision du 10 janvier 2017 rappelle donc que l'intention terroriste se déduit de l'intention des auteurs de l'acte, de leur stratégie d'origine, quel que soit le résultat de leur entreprise. Certains ont déduit de cette décision que la Cour de cassation avait, en quelque sorte, raté le coche, et aurait pu profiter de l'occasion pour donner une définition plus précise du terrorisme. Ce n'est pourtant pas son rôle, et le législateur s'est montré plein de sagesse en faisant de l'article 421-1 c. pén. une sorte de boîte à outils permettant de poursuivre tous les actes liés au terrorisme, y compris ceux qui visent seulement à lui assurer un soutien logistique. Ce n'est donc pas le terrorisme qui doit être défini avec une grande précision mais les infractions pénales qui s'inscrivent dans son cadre. C'est exactement ce que fait la Cour de cassation.
Félicitations pour votre post percutant qui éclaire notre lanterne juridique particulièrement embrumée par les commentaires impressionnistes de nos folliculaires préférés. Toute médaille a son revers. Ce qui est théoriquement censé protéger peut pratiquement opprimer le citoyen. A l'issue d'une longue bataille judiciaire qui trouve son épilogue devant la Cour de cassation, cette affaire de Tarnac traduit l'arbitraire auquel tout citoyen "normal" peut être confronté, malgré lui, un jour ou l'autre, surtout en matière de lutte contre le terrorisme. Il est la résultante d'une triple subjectivité.
RépondreSupprimer=== Subjectivité législative ===
Le citoyen doit se méfier comme de la peste de toutes les normes (souvent prises sous le coup de l'émotion dans l'urgence) qui font la part belle à la dimension subjective (charges suffisantes, intentionnalité, indices graves et concordants, motivations...) au détriment de la dimension objective d'une infraction (faits précis, documentés, preuves avérées après examen contradictoire, présomption d'innocence, égalité des armes...). La clarté et la précision d'une norme constituent le meilleur garde-fou, la meilleure garantie du citoyen dans un état de droit respectueux du droit à un procès équitable contre les normes impressionnistes.
=== Subjectivité judiciaire ===
Souvenons-nous que la justice est rendue par des êtres humains ! Pour parvenir ç une justice juste, leur marge d'appréciation doit être réduite au maximum pour prévenir les dérives bien connues que sont l'emballement, la conviction, le parti pris, l'idéologie... qui sont les principaux ressorts de leurs décisions. Qu'est-ce qu'une intention ? La volonté consciente de commettre un fait prohiber par la loi, nous dit le petit Robert. Comment apporter le preuve irréfragable d'une telle motivation ? Ceci relève de la psychologie qui est loin d'être une science exacte. Notons que le sens de la psychologie élémentaire fait défaut à une majorité de nos magistrats. Telle est la réalité quotidienne des prétoires !
=== Subjectivité exécutive ===
Si l'on ajoute à ce qui précède le rôle "farfelu" du parquet - moitié juge, moitié bras armé de l'exécutif -, le citoyen a du souci à se faire s'il a la malchance d'être pris dans l'engrenage fatal de la machine judiciaire peu prompte à admettre ses erreurs. Pour preuve, le statut du parquet (les rampants de la magistrature) n'a toujours pas été réformé en dépit de sa violation de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme.
Le meilleur rempart contre la subjectivité (l'arbitraire) est l'objectivité (le motivé). Nous en sommes encore loin dans la patrie des droits de l'homme tant dans la pratique des juridictions administratives que judiciaires. La pratique fourmille d'exemples concrets.
Comme souvent un proverbe latin en dit mieux qu'un long discours : "Apices juris non sunt jura" (les subtilités du droit ne sont pas le droit).