La déontologie est l'un des termes les plus employés dans le droit actuel des libertés. Si la notion désigne, d'une manière générale, une éthique de comportement, voire simplement les règles qui gouvernent l'exercice d'une profession, son rapport au droit se caractérise d'abord par une certaine confusion.
La déontologie contre le droit
Dans certains cas, la déontologie s'oppose au droit. Certaines professions mettent ainsi en place des codes de conduite destinés certes à assurer une une discipline interne, mais dont la sanction demeure aussi purement interne. La déontologie permet ainsi de se soumettre à un droit mou élaboré par la profession elle-même pour échapper à la rigueur du droit positif. C'est ainsi que la déontologie des journalistes s'exprime dans des textes tels que la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, appelée aussi Charte de Münich, texte dépourvu de puissance contraignante et susceptible d'interprétations multiples.
La déontologie dans le droit
La période récente est cependant marquée par une intégration de la déontologie dans le droit. Certes, le mouvement était engagé depuis longtemps et l'on sait que le code de déontologie médicale a valeur réglementaire et qu'il figure dans les articles R 4127-1 à R 4127-112 du code de la santé publique. Mais ce mouvement s'amplifie aujourd'hui, en particulier dans le but de prévenir les conflits d'intérêts. Il s'agit alors d'imposer des comportements considérés comme vertueux et d'en garantir le respect au moyen d'un certain nombre de procédures contraignantes.
Le premier texte législatif mentionnant le mot "déontologie" est la loi du 6 juin 2000 créant une Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), aujourd'hui disparue et dont les compétences ont été transférées au Défenseur des droits en 2011. Limitée au secteur de la sécurité publique et privée, la CNDS est rapidement apparue comme une institution cosmétique. Elle ne pouvait être saisie que par l'intermédiaire d'un parlementaire et, en cas de manquement à la déontologie, son pouvoir se limitait à saisir le supérieur hiérarchique de son auteur. Autant dire que la disparition de la CNDS n'a ému personne.
La réforme de la Commission de déontologie de la fonction publique
La loi du 20 avril 2016 , qui
entrera en vigueur le 1er février 2017, est, quant à elle, relative à la déontologie et aux
droits et obligations des fonctionnaires. Elle concerne donc tous les fonctionnaires en intégrant les préoccupations de déontologie dans le statut. Elles sont fort nombreuses, et la loi rappelle ainsi les obligations de neutralité, d'impartialité et de probité qui pèsent sur les agents. Surtout, la loi de 2016 donne, pour la première fois, une définition du conflit d'intérêts détachée de l'approche purement pénale. Est donc considérée comme un conflit d'intérêts "toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts
publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer
l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions".
La Commission de déontologie de la fonction publique est chargée d'assurer la prévention de ces conflits. Elle a été créée par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption mais ce n'est que depuis la loi du 2 février 2007 qu'elle donne des avis sur la situation des agents qui quittent la fonction publique pour exercer une activité privée lucrative. Elle doit alors apprécier si les fonctions qu'ils envisagent d'occuper sont compatibles avec celles qu'ils ont exercées dans la fonction publique. En général, l'incompatibilité est prononcée pour une durée de trois années après la fin de l'activité du fonctionnaire.
Le texte de 2016 est donc le point d'aboutissement d'un processus. dont les principes essentiels ne sont pas modifiés Désormais, les fonctionnaires dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient doivent faire une "déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts" à l'autorité de nomination. De même, la saisine de la Commission est désormais obligatoire pour tous les agents qui rejoignent le secteur privé, principe de bon sens dont on s'étonnera qu'il n'intervienne qu'aujourd'hui.
Quoi qu'il en soit, on constate une incontestable amélioration du contrôle. Un article récent vante d'ailleurs, sans doute à juste titre, la rigueur de la Commission qui refuse à un chercheur l'autorisation d'aller pantoufler dans une entreprise avec laquelle son laboratoire avait passé des marchés, ou à ingénieur de l'Etat, détaché auprès d'une région d'outre-mer qui voulait rejoindre une entreprise d'un groupe avec lequel il avait conclu différents contrats.. Formidable, si ce n'est que cette rigueur s'applique essentiellement à des agents publics lambda qui se voient refuser, au moins provisoirement, le droit de rejoindre une entreprise. En même temps, d'autres personnes ayant exercé des fonctions d'autorité, des fonctions d'un niveau beaucoup plus élevé, baignent dans le conflit d'intérêts.
Coluche. Misère. 1978
La profession d'avocat
Beaucoup choisissent la profession d'avocat, qui n'est soumise à aucune incompatibilité et n'entre pas dans la compétence de la Commission de déontologie. On se souvient qu'au printemps 2012, il convenait, et assez rapidement, de trouver des points de chute aux équipes de Nicolas Sarkozy qui risquaient de se retrouver à Pôle Emploi après l'alternance. Un décret du 3 avril 2012 organise donc des "conditions particulières d'accès à la profession d'avocat". Toute personne qui justifie de huit années au moins
d'exercice de responsabilités publiques la faisant directement
participer à l'élaboration de la loi est dispensée de la formation
théorique et pratique du certificat d'aptitude à la profession d'avocat.
Il ne s'agit pas seulement d'offrir une retraite honorable aux anciens
parlementaires battus aux législatives, car cette possibilité de
s'inscrire au Barreau est également ouverte aux "collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique".
Deux poids, deux mesures
Que l'on ne s'y trompe pas. La plupart de ceux qui ont profité de ce texte n'ont aucune des compétences juridiques indispensables à l'exercice de la profession d'avocat. S'ils sont recrutés par de grands cabinets, c'est essentiellement pour leur carnet d'adresses, leur entregent, en bref pour pratiquer une sorte de trafic d'influence. Mais que l'on se rassure : les heureux élus doivent suivre une formation de vingt heures en
déontologie... Deux poids, deux mesures : le fonctionnaire ordinaire n'a pas le droit de pantoufler pendant trois ans mais les membres des cabinets ministériels peuvent immédiatement s'inscrire au barreau et faire profiter le secteur privé des connaissances et des relations qu'ils ont acquises au service de l'Etat.
Même s'ils ne souhaitent pas être avocats, mais désirent tout simplement entrer dans une entreprise privée, les très hauts fonctionnaires ou les membres des cabinets ministériels semblent épargnés par la rigueur de la Commission de déontologie. Celle-ci est pourtant compétente pour se prononcer sur leur situation, au même titre que les fonctionnaires d'un rang moins élevé.
On a pourtant vu récemment un directeur du trésor partir diriger un fonds d'investissement chinois, un conseiller du ministre des transports devenir directeur de la communication chez Uber, et enfin le directeur de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) entrer chez Google comme directeur des affaires publiques. Certes, les Français ne sont pas les seuls à se livrer à de telles pratiques. La situation est sans doute pire au plan européen, et l'on a même vu Jose Manuel Barroso, Président de la Commission, trouver refuge chez Goldman Sachs. Tout cela ne dérange personne, et surtout pas les instances chargées de la déontologie.
Cette absence de contrôle est tellement visible que le législateur s'en est préoccupé. La loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 attribuait à la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP) la compétence de contrôler le départ des hauts fonctionnaires vers le secteur privé. Celle-ci, déjà compétente pour recevoir les déclarations de patrimoine, apparaissait plus rigoureuse que la Commission de déontologie de la fonction publique. Hélas, dans sa décision du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a considéré cette disposition inconstitutionnelle, non pas pour des motifs de fond, mais pour une atteinte au principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Elle était si mal écrite, en effet, que l'on pouvait en déduire que les personnes occupant des postes à la discrétion du gouvernement relevaient à la foi de la Commission de déontologie de la fonction publique et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique.
Pour la moment, la situation demeure en l'état et il y a de bonnes chances que la Commission de déontologie continue d'exercer un contrôle à deux vitesses, sévères pour les petits, indulgente pour les puissants. "Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir".
On a pourtant vu récemment un directeur du trésor partir diriger un fonds d'investissement chinois, un conseiller du ministre des transports devenir directeur de la communication chez Uber, et enfin le directeur de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) entrer chez Google comme directeur des affaires publiques. Certes, les Français ne sont pas les seuls à se livrer à de telles pratiques. La situation est sans doute pire au plan européen, et l'on a même vu Jose Manuel Barroso, Président de la Commission, trouver refuge chez Goldman Sachs. Tout cela ne dérange personne, et surtout pas les instances chargées de la déontologie.
Cette absence de contrôle est tellement visible que le législateur s'en est préoccupé. La loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 attribuait à la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP) la compétence de contrôler le départ des hauts fonctionnaires vers le secteur privé. Celle-ci, déjà compétente pour recevoir les déclarations de patrimoine, apparaissait plus rigoureuse que la Commission de déontologie de la fonction publique. Hélas, dans sa décision du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a considéré cette disposition inconstitutionnelle, non pas pour des motifs de fond, mais pour une atteinte au principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Elle était si mal écrite, en effet, que l'on pouvait en déduire que les personnes occupant des postes à la discrétion du gouvernement relevaient à la foi de la Commission de déontologie de la fonction publique et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique.
Pour la moment, la situation demeure en l'état et il y a de bonnes chances que la Commission de déontologie continue d'exercer un contrôle à deux vitesses, sévères pour les petits, indulgente pour les puissants. "Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir".
Votre post est, une fois de plus, le bienvenu pour nous aider à nous retrouver dans ce maquis de règles qui régissent la déontologie des fonctionnaires. Une règle n’est acceptable par tous que si elle ne souffre pas de trop nombreuses exceptions. Souvenons-nous de la célèbre réplique de Talleyrand « Appuyez-vous sur les principes, ils finiront bien par céder ». Par ailleurs, où commence et ou s'arrête le comportement autorisé ? Nous nous en tiendrons à deux exemples.
RépondreSupprimer- Le ministère des Affaires étrangères
Un journaliste a effectué un recensement des ambassadeurs de France dignitaires (en nombre réduit, ils peuvent être comparés aux maréchaux du ministère de la Défense) ayant rejoint le secteur privé ou ayant créé leur société de conseil dès le lendemain de leur retraite dans des conditions limites en termes de déontologie . Hésitent-ils un seul instant à contacter leurs anciens collaborateurs pour se tenir informé de l’actualité internationale ? Que dire de ces diplomates qui n’hésitent pas à communiquer des télégrammes diplomatiques à des journalistes ? Que dire enfin de ces nombreux diplomates ne souhaitant pas insulter l’avenir qui passent leurs journées à rédiger des « fiches » pour leur candidat préféré ? Outre qu’ils ne sont pas rétribués par le contribuable pour être des fonctionnaires partiaux, ils violent allégrement leur devoir de réserve en utilisant des informations qu’ils ont à connaître dans le cadre de leurs fonctions et pourraient être redevables de poursuites pour violation du secret de la défense nationale. Combien de fonctionnaires ont-ils été poursuivis, à plus forte raison sanctionnés ? La réponse est dans la question. A minima, ne s'agit-il pas d'une faute déontologique ?
- La présidence de la République
François Hollande, qui devrait être irréprochable en la matière, en donnant le bon exemple en matière de protection du secret de la Défense, n’a-t-il pas communiqué à deux journalistes du quotidien Le Monde (Gérard Davet et Fabrice Lhomme) des informations classifiées sur le projet d’intervention de nos forces armées en Syrie en 2013 (projet avorté après la défection américaine) sans prendre pour le moins conscience de sa légèreté ? On croit rêver tant le réel frise le grotesque. Même si une enquête a été lancée, elle se limite à une lettre adressée par le procureur de la République de Paris pour savoir si le document concerné relève effectivement d’un secret protégé par les intérêts de la défense nationale . Nous attendons la suite avec intérêt. Sommes-nous toujours dans la déontologie ?
En définitive, il apparait clairement que le concept de déontologie est un concept à géométrie variable en France. Ne serions-nous pas les témoins aveuglés et hagards de « l’obsolescence de l’éthique » (Bertrand Galichon) ?
« Selon ce que je connais de l'histoire, je vois que l'humanité ne saurait se passer de boucs émissaires. Je crois qu'ils ont été de tout temps une institution indispensable ». Malheureusement, ce jugement d’Arthur Koestler dans « Le zéro et l'infini » se vérifie si ce n’est quotidiennement, du moins régulièrement dans notre patrie des droits de l’Homme !