Le contentieux sur le visa accordé au film La vie d'Adèle s'est achevé le 28 septembre 2016 devant le Conseil d'Etat. En juillet 2013, le ministre de la culture de l'époque avait accordé au film d'Abdellatif Kechiche un visa d'exploitation, interdisant cependant le film aux mineurs de moins de douze ans, et imposant l'obligation d'informer préalablement les spectateurs en ces termes : " Plusieurs scènes de sexe réalistes sont de nature à choquer un jeune public ".
L'association Promouvoir qui se donne pour objet, selon les termes figurant sur son site, "la promotion des valeurs judéo-chrétiennes, dans tous les domaines de la vie sociale", a pour spécialité la contestation des autorisations d'exploitation données aux films qui vont à l'encontre de ces valeurs. Leurs recours sont fort nombreux et La vie d'Adèle, qui raconte une histoire d'amour entre deux femmes, n'a pas échappé à l'ire de Promouvoir. Le tribunal administratif de Paris a d'abord rejeté son recours, mais la Cour administrative d'appel de Paris (CAA), le 8 décembre 2015, lui a donné satisfaction, enjoignant au ministre de la culture de procéder au réexamen du visa d'exploitation.
Mais le ministre de la culture a préféré faire un recours en cassation. Sa persévérance a été récompensée, car le Conseil d'Etat annule la décision de la CAA, imposant un retour à l'interdiction aux moins de douze ans accompagnée de l'avertissement. La décision n'aura, bien entendu, aucune conséquence concrète, la carrière du film étant terminée depuis longtemps.
Une police administrative
Rappelons que le cinéma constitue une police spéciale, le visa d'exploitation s'analysant comme une autorisation de mise sur le marché. Le cinéma ne relève donc pas du droit commun de la liberté d'expression,
qui permet à chacun de s'exprimer librement, sauf à rendre compte de
différents excès devant le juge pénal. L'expression cinématographique,
au contraire, est soumise à un régime d'autorisation, dont la Cour
européenne admet la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme, depuis une décision Wingrove c. Royaume Uni du 25 novembre 1996.
Aux termes de l'ordonnance du 1er juillet 1945, codifiée dans le code du cinéma et de l'image animée (art. L 211-1), le visa est attribué après avis d'une Commission de
classification, qui a le choix entre plusieurs propositions possibles :
autorisation du film pour "tous publics", interdiction aux
mineurs de moins de 12, de 16, ou de 18 ans, avec ou sans inscription sur la liste
des oeuvres pornographiques. La Commission peut également proposer d'assortir chacune de ces mesures d'un
avertissement, destiné à l'information du spectateur, sur le contenu de
l'oeuvre ou certaines de ses particularité. C'est ce qui a été fait en l'espèce, puisque l'interdiction aux moins de douze ans s'accompagne d'un avertissement destiné aux enfants, et surtout à leurs parents.
Le sexe simulé, ou pas
Intervenant comme juge de cassation, le Conseil d'Etat vérifie l'interprétation donnée par la CAA de l'article R 211-12 du code du cinéma et de l'image animée (ccia) qui énonce que l'interdiction aux moins de dix-huit ans s'impose lorsque l'oeuvre comporte des images "d'une très grande violence" ou "des scènes de sexe non simulées". Pour l'association Promouvoir, les scènes de sexe filmées dans La vie d'Adèle ne sont pas simulées et, dès lors, la Commission comme le ministre de la culture avaient une compétence liée : ils étaient tenus de prononcer une interdiction aux moins de dix-huit ans.
Le moyen se fonde sur la jurisprudence du Conseil d'Etat. Par une décision du 30 septembre 2015, le juge des référés confirme en effet la suspension du visa d'exploitation du film Love de Gaspar Noé, visa accompagné d'une interdiction aux mineurs de moins
de seize ans. Lui est substituée une interdiction aux moins
de dix-huit ans, en raison des scènes de sexe non simulées figurant dans le film Certes, nul n'ignore (sauf peut-être quelques commentateurs des décisions sur le burkini...) qu'une mesure de référé n'a pas l'autorité de chose jugée et ne saurait faire jurisprudence. Dans le cas présent cependant, le Conseil d'Etat était intervenu au fond, à propos du film Fantasmes dans un arrêt du 4 octobre 2000, estimant alors qu'une interdiction aux mineurs de moins de seize ans était suffisante lorsque les scènes de sexe étaient simulées.
Cette jurisprudence repose sur l'idée que la présence de sexe non simulé fait basculer un film du domaine érotique au domaine pornographique, justifiant des restrictions plus grandes. Elle a certes le mérite de la simplicité, mais force est de constater qu'elle est largement relativisée par les dispositions du code du cinéma et par la jurisprudence.
Moi, j'attends Adèle. Pierre Perret. 1967
Le sexe réaliste, ou pas
Dans le cas de La vie d'Adèle, la CAA de Paris a préféré utiliser un autre critère, celui du caractère "réaliste" des scènes de sexe, formule d'ailleurs employée dans l'avertissement joint au visa. Elle s'appuie sur l'article R
211-12 du code du cinéma, qui autorise des scènes simulées mais réalistes, si elles sont justifiées par "la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité".
La CAA fait observer que "durant la première heure et demie" (la projection dure trois heures), le film comporte "plusieurs scènes de sexe présentées
de façon réaliste, en gros plan, dont l'une en particulier, d'une durée
de près de sept minutes, dévoile l'intimité des deux actrices". Les conditions de la mise en scène, sa lenteur ainsi que l'absence de musique, ne font qu'accroître le réalisme et excluent toute possibilité, notamment pour les spectateurs les plus jeunes, de prendre de la distance par rapport aux images qu'ils voient. Pour la CAA, l'interdiction aux moins de douze ans n'est donc pas suffisante.
Le Conseil d'Etat, intervenant en cassation, va substituer son appréciation à celle de la CAA, appréciation reposant sur les termes mêmes de l'article R 211-12 du code du cinéma. Examinant d'abord "la manière dont les scènes sont filmées" , il considère qu'"elles sont exemptes de toutes violence et filmées sans intention dégradante". On se souvient que, dans l'arrêt du 30 juin 2000 portant sur le film Baise-moi de Virginie Despentes, le Conseil d'Etat avait au contraire noté que l'oeuvre était "composée pour l'essentiel d'une succession de scènes de grande violence et de scènes de sexe non simulées". De l'importance quantitative de ces scènes, il déduisait que le film comporte un "message pornographique et d'incitation à la violence". Tel n'est pas le cas dans La vie d'Adèle.
Examinant ensuite la "nature du thème traité", au sens de l'article R 211-12 du code du cinéma, le Conseil d'Etat mentionne que "l'ambition" d'Abdellatif Kechiche "est de dépeindre le caractère passionné d'une relation amoureuse entre deux jeunes femmes". A cet égard, les scènes de sexe "s'insèrent de façon cohérente dans la trame narrative globale de l'oeuvre". Sur ce point, l'analyse était déjà celle du tribunal administratif, appréciant Nymphomania, volume 1 de Lars von Trier. Dans un jugement du 28 janvier 2014, il observait que le
fait que les scènes de sexe aient été doublées par des acteurs de films
pornographiques ne saurait, en soi, leur retirer leur caractère non
simulé. En revanche, il notait que ces scènes étaient brèves et
s'intégraient dans un véritable scénario. Elles étaient donc, en quelque
sorte, acceptables, d'autant qu'elles ne s'accompagnaient pas d'une
violence particulière.
La décision sur La vie d'Adèle illustre une jurisprudence de plus en plus impressionniste. Il est vrai que le juge administratif se trouve confronté à des techniques cinématographiques aujourd'hui très sophistiquées, qui, parfois, ne permettent pas de savoir si une scène de sexe est simulée, ou non. On sait qu'une polémique a eu lieu sur ce point, lors de la projection du film au Festival de Cannes. Le Conseil d'Etat préfère donc utiliser le critère du réalisme, et apprécier l'intégration de ces scènes dans le récit, au prix d'une certaine subjectivité.
Derrière ces hésitations apparaît sans doute le caractère quelque peu anachronique d'un mode de classification qui n'a finalement que très peu évolué depuis 1945. Ces incertitudes constituent le fond de commerce de l'association Promouvoir qui utilise la voie contentieuse pour militer en faveur d'un contrôle de la liberté d'expression cinématographique, au nom d'une vision très traditionaliste de la protection de l'enfance. On peut d'ailleurs s'étonner que ces parents demandent à l'Etat d'interdire à leurs enfants d'aller voir un film. Ne sont-ils pas les premiers responsables de l'éducation de leurs enfants ? A moins que les valeurs chrétiennes ne soient pas un argument suffisant pour empêcher un adolescent de faire le mur pour aller au cinéma ?
J’aimerai avoir votre avis Madame : Lors du grand O cette année j'ai eu comme question Savez vous pq l'organe de censure de films à été supprimé et comment? Je n'ai pas trouvé la réponse malheureusement ni lors de mon grand O ni sur internet .
RépondreSupprimerCet organe aurait été privé de tous ses salaries et autres moyens les privant de toute protestation . Pouvez vous m'indiquer de qui il s'agit, s'agit il de la commission de classification ? Je vous en remercie par avance, fidèle lecteur de vos articles toujours pertinents et qui sont d'un grand secours pour nous étudiants en Droit .