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dimanche 24 juillet 2016

Durcissement de l'état d'urgence

La loi du 21 juillet 2016 prorogeant l'état d'urgence a été votée à une écrasante majorité. De toute évidence, les plus frondeurs des parlementaires, ceux-là même qui dénonçaient l'état d'urgence comme une intolérable atteinte aux libertés, ne se sont pas déplacés pour voter. Peut-être étaient-ils déjà partis en vacances ? A moins que leur opposition soit plus délicate à assumer, au lendemain de l'attentat de Nice ? Il ne fait pourtant aucun doute que le texte se caractérise par un durcissement de l'état d'urgence.

Une durée plus longue


Une première lecture du texte peut laisser penser qu'il s'agit d'une simple prorogation de l'état d'urgence, cette fois pour une durée de six mois. Observons que c'est la première fois qu'est prévue une durée aussi longue, les deux premières prorogations ayant été prévues pour trois mois, et la troisième pour seulement deux mois. Cet allongement n'était pas prévu dans le projet initial. Il a été ajouté par amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Pascal Popelin. Officiellement, il s'agit "d'éviter de débattre de la même question dans trois mois". En réalité, il s'agit d'un amendement de repli, Les Républicains souhaitant une durée d'un an, mais acceptant finalement de voter la durée de six mois. 

Le législateur rappelle, comme il l'avait fait dans les textes précédents, qu'il peut être mis fin à tout moment à l'état d'urgence, par décret en conseil des ministres (art. 1 § III). Le contrôle parlementaire approfondi n'est pas modifié, si ce n'est que le mécanisme mis en place par la Commission des lois figure désormais dans la loi qui prévoit que les autorités administratives transmettent aux assemblées parlementaires "sans délai copie de tous les actes qu'elles prennent" sur le fondement de l'état d'urgence. L'idée est de donner au parlement les instruments indispensables à un contrôle qui a toujours voulu être effectué "en temps réel" mais qui a parfois souffert des lenteurs administratives.

Contrairement aux prorogations précédentes qui s'appliquaient à l'issue de la mise en oeuvre de la loi précédente, le texte du 21 juillet 2016 est d'application immédiate, dès sa publication au Journal Officiel. L'objet est de faire profiter les autorités de mesures nouvelles qui, pour être peu nombreuses, apportent néanmoins un certain nombre de précisions utiles.

Le retour des perquisitions administratives


La loi du 21 juillet 2016 rétablit les perquisitions administratives qui avaient été supprimées dans la prorogation de mai 2016. Cela n'a rien de surprenant si l'on considère que la loi de 1955 met en place un système "à la carte", dans lequel les autorités compétentes peuvent choisir les dispositions qu'elles entendent appliquer, et écarter les autres. 

Dans le cas présent, le législateur étend même le champ de ces perquisitions en prévoyant un "droit de suite". Il permet aux forces de police et de gendarmerie, lors d'une perquisitions, de se transporter dans un second lieu si elles ont des raisons de penser qu'il est également fréquenté par les personnes "dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public" et qui sont l'objet de la première perquisition. Ce droit de suite avait été demandé par de nombreux responsables lors des auditions effectuées par la Commission des lois.

Rappelons que 3594 perquisitions ont été effectuées de novembre 2015 à mai 2016, dont sensiblement la moitié durant les douze premiers jours de l'état d'urgence. Durant cette période, des contentieux ont été engagés, et la loi du 21 juillet 2016 permet d'en tirer les conséquences, afin d'éviter tout risque juridique.

Sianna. Urgence. 2016

La copie de données informatiques


Le risque essentiel est celui de l'inconstitutionnalité. Dans une décision QPC du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel avait déclaré inconstitutionnel l'article 11 al. 3 de la loi de 1955 qui permet à l'autorité administrative de copier les données conservées sur les systèmes informatiques présents sur les lieux de la perquisition. Sur ce point, la loi s'inspirait de l'article 57-1 du code de procédure pénale qui autorise la collecte de preuves électroniques par les officiers de police judiciaire chargés de la perquisition. Pour le Conseil constitutionnel, cette "copie" ne se distinguait pas d'une "saisie", le problème étant qu'une saisie opérée durant une perquisition administrative a pour effet de la transformer immédiatement en perquisition judiciaire. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'un officier de police judiciaire doit être présent. Aux yeux du Conseil constitutionnel, cette saisie ne peut donc exister que si elle s'accompagne de garanties appropriées, en particulier en ce qui concerne la restitution des données saisies, le lien entre les données et la menace, ou encore l'éventuelle destruction ou stockage de ces données.

Sur ce point le Conseil constitutionnel se montrait plus attentif aux procédures que le Conseil d'Etat. Agissant comme conseil du gouvernement dans un avis donné lors de l'élaboration de la loi du 20 novembre 2015, celui-ci avait tout simplement considéré que le législateur devrait prévoir des saisies administratives, afin que la perquisition conserve son caractère d'opération administrative.

Quoi qu'il en soit, la décision du Conseil constitutionnel a eu des conséquences fâcheuses pour l'Exécutif. Privant de base légale la copie de données, elle a interdit leur captation dans des perquisitions administratives et empêché l'exploitation de celles déjà collectées qui ont été détruites. Pour remédier à cette situation, le législateur de juillet 2016 met en place une procédure applicable aux "données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal" ainsi qu'à tout support matériel de ces données, du téléphone cellulaire aux jeux vidéo, dès lors qu'ils permettent d'échanger des message. Sont visés tous les équipements trouvés sur les lieux de la perquisition, qu'ils appartiennent ou non à la personne visée par celle-ci. La loi précise enfin que ces données peuvent être "copiées sur tout support", ce qui confère un fondement juridique à la notion de copie, sans pour autant suivre le Conseil d'Etat dans sa proposition de saisie administrative. 

Que l'on se rassure. Le Conseil d'Etat ne sort pas perdant de l'affaire. Dès lors que la copie demeure administrative, il se voit confier le contrôle de cette procédure. La procédure est à la fois originale et assez protectrice des droits des propriétaires des données, puisque le préfet est tenu de saisir le juge des référés du tribunal administratif pour demander l'autorisation d'exploiter les données copiées. Il n'en demeure pas moins que la copie de données informatiques n'a pas pour effet de transformer la perquisition administrative en perquisition judiciaire, la compétence du juge judiciaire en ce domaine étant donc complètement exclue.

Ordre public


Dans sa rédaction ancienne, l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 permet aux autorités compétentes, préfet ou ministre de l'intérieur, d'ordonner "la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature". La Commission des lois du Sénat a tenu à ajouter à cette phrase : "en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes". Cet ajout n'a qu'un intérêt politique aux yeux des auteurs de l'amendement, car il ne modifie en rien le droit positif.  Depuis novembre 2015, une dizaine de mosquées et de salles de prières ont été fermées en s'appuyant sur la référence aux "lieux de réunion de toute nature". Accepter l'amendement sénatorial était donc dépourvu de toute portée juridique.

Enfin, le projet de loi s'efforce de faciliter la tâche des forces de police. D'une part, les contrôles des bagages et les fouilles de véhicules sont désormais effectués sans instruction du procureur, sur décision administrative. D'autre part, sur proposition du Sénat, il est désormais précisé dans la loi que les cortèges, défilés et rassemblements sur la voie publique peuvent être interdits, dès lors que l'autorité administrative justifie ne pas être en mesure d'en assurer la sécurité avec les moyens dont elle dispose. A dire vrai, cette disposition reprend tout simplement la jurisprudence Benjamin de 1933. Dans le cas présent, on comprend qu'il s'agit de tenir compte de l'épuisement de forces de police qui ont bien des difficultés à assumer leur rôle de lutte contre le terrorisme en protégeant, en même temps, l'ordre public lors de manifestations de la Cop 21 ou de la Nuit Debout. Il n'en demeure pas moins que ce sera au juge administratif de garantir l'équilibre entre la liberté de manifester et les contraintes liées à ces multiples tâches dévolues aux forces de police.

Ce texte opère à l'évidence un durcissement de l'état d'urgence mais il se veut aussi une nouvelle loi antiterroriste. C'est ainsi que la loi prévoit l'automaticité de la peine complémentaire d'interdiction du territoire ainsi que l'interdiction de la semi-liberté pour toute personne condamnée pour terrorisme. Elle offre enfin le fondement législatif indispensable à la surveillance vidéo permanente des personnes détenues pour des faits de terrorisme. Une précision utile si l'on songe que la mesure visant Salah Abdeslam risquait une annulation par le juge administratif. 

Reste évidemment à se poser la question de l'efficacité de ce nouveau texte en matière de lutte contre le terrorisme. Le matin même de l'attentat de Nice, le Président de la République affirmait que l'état d'urgence "serait bien levé" le 26 juillet, estimant que la loi du 3 juin 2016 offrait des instruments juridiques permanents aussi efficaces que l'état d'urgence. Certes, nul ne pouvait prévoir, pas même le Président de la République, ce qui allait se passer le soir même sur la Promenade des Anglais. Il n'empêche que ce fait nouveau l'a placé dans une situation délicate. L'attentat rendait impossible l'abandon de l'état d'urgence qu'une grande partie de la population n'aurait pas compris. En même temps, la nouvelle loi reprend des dispositions dont on affirmait qu'elles étaient devenues inutiles. Le débat ne fait que commencer, et le nouvel état d'urgence devra être jugé sur ses résultats et sur son contrôle.




1 commentaire:

  1. Pour nécessaire qu'il soit, le durcissement de l'état d'urgence (que vous décrivez si bien), est malheureusement insuffisant pour combattre efficacement le terrorisme alors que l'ennemi est à l'intérieur et à l'extérieur. Il est le reflet d'une double limite.

    - Limite d'une triple inflation : normative (un attentat, une loi), compassionnelle (un attentat, un hashtag) et sécuritaire (un attentat, une restriction des libertés). Tout ceci n'est pas à la hauteur du défi auquel nous sommes confrontés ("guerre de Trente ans", Olivier Roy).

    - Limite d'une triple posture : le verbe haut (inflation de superlatifs), la répétition des coups de menton (inflation de mises en garde) et diplomatie coercitive (inflation de bombes contre l'EIIL). Tout ceci n'est pas à la hauteur du mal gangrénant notre société qui nécessite un remède de longue durée et en profondeur.

    "Ne pas se tromper de diagnostic, ni de réaction, ni de calendrier" (Hubert Védrine).

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