Dans deux ordonnances du 26 juillet 2016, le juge des référés du Conseil d'Etat refuse de suspendre le décret du 6 mai 2016, prononçant la dissolution de l'Association des musulmans de Lagny-sur-Marne et de Retour aux sources musulmanes", groupements accusés de répandre l'idéologie salafiste.
Une dissolution de droit commun
Observons d'emblée que ce décret ne trouve pas son fondement juridique dans l'état d'urgence mais dans le droit commun. La dissolution administrative d'un groupement trouve son origine dans la loi du 10 janvier 1936 relative aux
groupes de combat et aux milices privées. A l'époque, le texte avait été
voté pour pour permettre la dissolution des ligues et groupes armés qui étaient à l'origine
des émeutes du 6 février 1934. Dans sa rédaction actuelle, codifiée à
l'article L 212-1 du code de la sécurité intérieure (csi), les motifs d'une telle décision sont énoncés sous forme d'une liste. Sont ainsi concernés les groupements "/ 6° (…) qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine
ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison
de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à
une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit
propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette
discrimination, cette haine ou cette violence ; / 7° Ou qui se livrent,
sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des
agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à
l’étranger (…) ». En l'espèce, la décision est motivée par les "activités d’endoctrinement, de recrutement et d’acheminement de
candidats vers le jihad armé" auxquels se livraient des groupements qui entretenaient donc "des liens avec des personnes
mises en cause dans des opérations de terrorisme".
Ce fondement juridique de droit commun n'est pas sans conséquences. Le juge des référés rappelle en effet, au détour de sa décision, qu'il n'est pas lié par le fait que des perquisitions administratives ont été effectuées chez le président de l'association des musulmans de Lagny sur le fondement de l'état d'urgence, et n'ont pas conduit à la constatation d'infractions liées au terrorisme. La question posée est bien celle du danger que représente le groupement pour l'ordre public et pas celle des éventuels actes illicites commis par ses responsables.
Observons aussi que, pour ce qui concerne l'Association des musulmans de Lagny-sur-Marne, le décret du 6 mai 2016 est le second texte prononçant la dissolution. Un premier, daté du 14 janvier 2016, avait été suspendu par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat, le 30 mars 2016. Les requérants s'appuyaient alors sur l'article L 521-1 du code de justice administrative qui permet au juge de suspendre un texte lorsqu'il a un "doute sérieux sur sa légalité". Mais le juge ne sanctionnait alors qu'un vice de procédure. En effet, la procédure contradictoire n'avait pas été régulièrement menée à son terme, le décret ayant été pris avant que la lettre mentionnant les observations des responsables de l'association soit parvenue aux services compétents. C'est la raison pour laquelle, un second décret a été pris le 6 mai 2016, respectueux désormais du principe contradictoire.
Ce fondement juridique de droit commun n'est pas sans conséquences. Le juge des référés rappelle en effet, au détour de sa décision, qu'il n'est pas lié par le fait que des perquisitions administratives ont été effectuées chez le président de l'association des musulmans de Lagny sur le fondement de l'état d'urgence, et n'ont pas conduit à la constatation d'infractions liées au terrorisme. La question posée est bien celle du danger que représente le groupement pour l'ordre public et pas celle des éventuels actes illicites commis par ses responsables.
Un second décret de dissolution
Observons aussi que, pour ce qui concerne l'Association des musulmans de Lagny-sur-Marne, le décret du 6 mai 2016 est le second texte prononçant la dissolution. Un premier, daté du 14 janvier 2016, avait été suspendu par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat, le 30 mars 2016. Les requérants s'appuyaient alors sur l'article L 521-1 du code de justice administrative qui permet au juge de suspendre un texte lorsqu'il a un "doute sérieux sur sa légalité". Mais le juge ne sanctionnait alors qu'un vice de procédure. En effet, la procédure contradictoire n'avait pas été régulièrement menée à son terme, le décret ayant été pris avant que la lettre mentionnant les observations des responsables de l'association soit parvenue aux services compétents. C'est la raison pour laquelle, un second décret a été pris le 6 mai 2016, respectueux désormais du principe contradictoire.
Cette fois, les responsables de ces groupements s'appuient sur la procédure de référé de l'article art. L 521-2 code de la justice administrative et demandent la suspension en urgence du décret qui, à leurs yeux, porte une atteinte "grave et manifestement illégale" à une liberté fondamentale (art. L 521-2 code de la justice administrative).
En l'espèce, plusieurs libertés fondamentales sont susceptibles d'être invoquées, notamment celles de conscience, de religion et d'association. Toutes ont valeur constitutionnelle. Les deux premières ont pour fondement l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. La troisième trouve son origine dans la loi fondatrice du 1er juillet 1901, dont l'article 2 énonce que "les associations de personnes peuvent se former librement sans autorisation ni déclaration préalable". Ce principe a ensuite été érigé par le Conseil constitutionnel en Principe fondamental reconnu par les lois de la République, avec sa décision du 16 juillet 1971.
Il appartient donc au juge des référés d'apprécier le "caractère grave et manifestement illégal" de l'atteinte portée à ces libertés. Il ne dissocie pas les libertés en cause et se livre à un contrôle global, appréciant la proportionnalité entre cette atteinte et les nécessités d'ordre public poursuivies par le décret de dissolution. Son contrôle est particulièrement étendu, car il ne se limite pas aux motifs invoqués dans le décret mais examine l'ensemble du dossier.
Ce contrôle approfondi ne joue pas en faveur des groupements en cause, loin de là. Au contraire, le juge des référés dresse un catalogue accablant de leurs agissements. Il rappelle que ces associations visaient à "propager l’idéologie de l’ancien imam de la mosquée de Lagny, lui-même parti en Egypte à la fin de 2014, qui prônait un islamisme radical, appelant au rejet des valeurs de la République et faisant l’apologie du djihad armé ainsi que de la mort en martyr". Il ajoute que les perquisitions réalisées durant l'état d'urgence ont révélé l'existence d'une "école coranique clandestine qui diffusait des messages appelant au jihad". Cette dernière précision témoigne peut-être d'un certain agacement vis-à-vis d'une défense qui invoque le fait que la perquisition administrative n'a pas eu de suites judiciaires, alors qu'elle a démontré l'appartenance de l'association à la mouvance salafiste.
Dans son analyse, le juge n'hésite pas à s'appuyer sur les notes blanches établies par les services de renseignement. A dire vrai, la jurisprudence considérait depuis longtemps qu'un dossier de ce type pouvait justifier une décision d'expulsion. Par exemple, dans un arrêt du 7 mai 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat avait admis l'expulsion d'un Algérien, des "notes blanches" faisant état de sa radicalisation et de sa présence injustifiée auprès de différentes synagogues. Dans une ordonnance du 11 décembre 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat, intervenant cette fois à propos d'une assignation à résidence intervenue sur le fondement de l'état d'urgence, a ensuite posé un principe général, selon lequel "aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par les " notes blanches " produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif". Elles peuvent donc être utilisées par le juge comme élément d'appréciation, y compris, nous disent les ordonnances du 26 juillet 2015, en matière de dissolution d'un groupement.
La note blanche n'est tout de même pas un blanc seing. Dans sa décision du 6 janvier 2016, rendue cette fois à propos de la fermeture d'un restaurant, le juge des référés du Conseil d'Etat affirme que les informations qui y figurent doivent être précises et convenablement vérifiées. C'est bien le cas en l'espèce, et le juge observe que les notes blanches utilisées pour prononcer la dissolution des groupements sont "précises et circonstanciées", et qu'elles ont été versées au débat contradictoire.
De toute cette analyse, le juge déduit donc qu'aucune "atteinte grave et manifestement illégale" n'a été portée à une liberté fondamentale, justifiant en référé. Dès lors, il n'a plus besoin de se prononcer sur l'urgence de son intervention, seconde condition du référé-liberté. La solution est donc logique et n'apporte aucune surprise sur le fond.
Les libertés en cause
André Sureda (1872-1930). L'école coranique |
Le contrôle de proportionnalité
Il appartient donc au juge des référés d'apprécier le "caractère grave et manifestement illégal" de l'atteinte portée à ces libertés. Il ne dissocie pas les libertés en cause et se livre à un contrôle global, appréciant la proportionnalité entre cette atteinte et les nécessités d'ordre public poursuivies par le décret de dissolution. Son contrôle est particulièrement étendu, car il ne se limite pas aux motifs invoqués dans le décret mais examine l'ensemble du dossier.
Ce contrôle approfondi ne joue pas en faveur des groupements en cause, loin de là. Au contraire, le juge des référés dresse un catalogue accablant de leurs agissements. Il rappelle que ces associations visaient à "propager l’idéologie de l’ancien imam de la mosquée de Lagny, lui-même parti en Egypte à la fin de 2014, qui prônait un islamisme radical, appelant au rejet des valeurs de la République et faisant l’apologie du djihad armé ainsi que de la mort en martyr". Il ajoute que les perquisitions réalisées durant l'état d'urgence ont révélé l'existence d'une "école coranique clandestine qui diffusait des messages appelant au jihad". Cette dernière précision témoigne peut-être d'un certain agacement vis-à-vis d'une défense qui invoque le fait que la perquisition administrative n'a pas eu de suites judiciaires, alors qu'elle a démontré l'appartenance de l'association à la mouvance salafiste.
Les notes blanches
Dans son analyse, le juge n'hésite pas à s'appuyer sur les notes blanches établies par les services de renseignement. A dire vrai, la jurisprudence considérait depuis longtemps qu'un dossier de ce type pouvait justifier une décision d'expulsion. Par exemple, dans un arrêt du 7 mai 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat avait admis l'expulsion d'un Algérien, des "notes blanches" faisant état de sa radicalisation et de sa présence injustifiée auprès de différentes synagogues. Dans une ordonnance du 11 décembre 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat, intervenant cette fois à propos d'une assignation à résidence intervenue sur le fondement de l'état d'urgence, a ensuite posé un principe général, selon lequel "aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par les " notes blanches " produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif". Elles peuvent donc être utilisées par le juge comme élément d'appréciation, y compris, nous disent les ordonnances du 26 juillet 2015, en matière de dissolution d'un groupement.
La note blanche n'est tout de même pas un blanc seing. Dans sa décision du 6 janvier 2016, rendue cette fois à propos de la fermeture d'un restaurant, le juge des référés du Conseil d'Etat affirme que les informations qui y figurent doivent être précises et convenablement vérifiées. C'est bien le cas en l'espèce, et le juge observe que les notes blanches utilisées pour prononcer la dissolution des groupements sont "précises et circonstanciées", et qu'elles ont été versées au débat contradictoire.
De toute cette analyse, le juge déduit donc qu'aucune "atteinte grave et manifestement illégale" n'a été portée à une liberté fondamentale, justifiant en référé. Dès lors, il n'a plus besoin de se prononcer sur l'urgence de son intervention, seconde condition du référé-liberté. La solution est donc logique et n'apporte aucune surprise sur le fond.
L'élément le plus intéressant de la décision est sans doute l'extrême soin de sa motivation. De toute évidence, la juridiction administrative veut affirmer Urbi et Orbi toute l'étendue de son contrôle de l'état d'urgence, montrer qu'elle ne laisse aucun élément au hasard, et qu'elle se saisit de l'ensemble du dossier. Elle le fait dans une affaire presque caricaturale, l'une de ces affaires que même les plus farouches opposants à l'état d'urgence n'osent pas critiquer. On ne doute pas que la juridiction administrative aura désormais à coeur de rendre des décisions aussi soigneusement motivées, y compris dans les affaires complexes ou délicates.
Votre analyse méticuleuse de l'ordonnance de référé appelle deux types de remarques.
RépondreSupprimer1. Remarque spécifique
On peut aussi conclure que cette décision présente deux avantages indéniables pour les "membres" du Palais-Royal : (1) gagner du temps pour ne pas prêter le flanc à la critique (2) tout en donnant l'impression de prendre ses responsabilités. Ceci s'apparente à "Courage fuyons" !
2. Remarque générale
La prolongation de l'état d'urgence liée à la multiplication des attentats terroristes sur notre sol a et aura un double effet mécanique : (1) restreindre le champ d'application du droit protecteur des libertés (2) tout en encadrant la jurisprudence pour des raisons évidentes.
La sécurité à un coût en termes de libertés individuelles. Il est grand temps d'en finir avec l'hypocrisie, la politique de l'autruche, les Tartuffe. Qu'on le veuille ou non, nous tombons dans le piège que nous tend habilement l'état islamique.