"Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au Palais pour maudire ses juges ?". Cette question, posée par le Comte à Figaro dans Le Barbier de Séville, montre que l'insatisfaction des plaideurs n'est pas un phénomène récent. Elle était particulièrement aigüe à une époque où l'on n'avait guère de chance de gagner son procès "sans graisser le marteau". Encore s'agissait-il d'une insatisfaction émanant des seuls plaideurs, et il faudra attendre la période révolutionnaire et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 pour que s'imposent la séparation des pouvoirs (art. 16) et le principe d'égalité devant la loi (art. 6).
Les attaques à l'encontre des juges reviennent aujourd'hui, sous une forme quelque peu modernisée. Celles des plaideurs n'ont évidemment pas disparu, particulièrement en matière pénale, puisque la coercition y est omniprésente, tant au stade de la procédure qu'à celui du jugement et de l'application de la peine. L'affaire se complique lorsque le justiciable est un politique. Aux Etats-Unis, Donald Trump accuse un juge de partialité parce qu'il est d'origine mexicaine. Au Brésil, l'ancien Président Lula saisit le Comité des droits de l'homme des
Nations Unies pour dénoncer la justice de son pays qui a décidé de le poursuivre pour entrave à la justice. Il les accuse d'abus de pouvoir. Cette absence de respect à l'égard des juges n'existe pas qu'en Amérique Latine. Personne n'a oublié qu'en juin 2013 Nicolas Sarkozy a introduit une requête en suspicion légitime à l'encontre des juges chargés d'instruire l'affaire Bettencourt .
Ces aigreurs individuelles seraient sans conséquences si elles ne s'accompagnaient de démarches institutionnelles, dirigées non plus contre les juges mais contre l'institution qu'ils représentent.
Un mouvement de balancier touche actuellement la justice française : le déclin des juges d'instruction qui sont des magistrats indépendants s'accompagne d'un renforcement des procureurs qui demeurent soumis au pouvoir hiérarchique du ministre de la justice.
Déclin des juges d'instruction
Souvenons
nous qu'en janvier 2009 le Président de la République, s'appuyant sur
le désastre de l'affaire d'Outreau, proposait une révision du Code pénal
destinée à introduire dans notre pays un système judiciaire directement
inspirée du droit américain. A la procédure inquisitoire mise en oeuvre
par un juge d'instruction qui instruit à charge et à décharge aurait
succédé une procédure accusatoire opposant un procureur aux avocats de
la défense. C'était d'ailleurs le sens des préconisations du rapport Léger
remis au Président de la République le 1er septembre 2009. Cette
procédure, bien connue grâce aux séries américaines, avait évidemment la
faveur des avocats auxquels elle offrait un rôle accru dans le procès
pénal, avocats par ailleurs bien représentés au plus haut sommet de
l'Etat. La
réforme n'a cependant pas pu voir le jour, du fait de la résistance
opiniâtre des magistrats.
Il n'empêche que les compétences du juge d'instruction ont peu à peu été grignotées. Dans leur étendue d'abord, dès la loi du 15 juin 2000 qui crée un juge de la liberté et de la détention (JLD) chargé, entre autres fonctions, de statuer sur la détention provisoire des personnes mises en examen. Dans leur généralité ensuite, puisque l'intervention du juge d'instruction est désormais l'exception. S'il est toujours saisi en matière criminelle, il n'est plus que rarement en matière correctionnelle. Pour l'année 2014, sur 496 000 affaires relevant du tribunal correctionnel, seulement 17 000 ont donné lieu à une instruction. Ce déclin est dû à l'émergence des procédures simplifiées que sont l'ordonnance pénale (art. 495-1 du code de procédure pénale) et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Ce "plaider-coupable" permet à la personne qui a commis un délit d'échapper à un procès en reconnaissant les faits.
Dans les deux cas, ordonnance pénale et CRPC, l'acteur principal est le procureur. C'est lui qui choisit la procédure simplifiée dans l'ordonnance pénale en communiquant directement au président du tribunal le dossier et ses réquisitions. C'est lui qui gère l'ensemble de la CRPC, puisqu'il propose la peine à la personne qui a plaidé coupable. Le juge n' a plus alors qu'à homologuer la décision prise ou à la rejeter, imposant ainsi la saisine du tribunal correctionnel en vue d'un procès classique.
Le problème est que ce renforcement du procureur est parallèle à la remise en cause de sa place au sein de l'autorité judiciaire. Les arrêts Medvedyev du 29 mars 2010 et Moulin du 23 novembre 2010 rendus par la Cour européenne refusent de considérer les membres du parquet comme appartenant à l'autorité judiciaire, dès lors qu'ils sont hiérarchiquement soumis à l'Exécutif. Le système juridique français est donc dans l'attente d'une réforme désormais indispensable. Hélas, on sait que le Président de la République ne dispose pas de la majorité des 3/5è au Congrès pour faire voter une révision constitutionnelle relative à la place du parquet dans l'organisation judiciaire.
Il n'empêche que les compétences du juge d'instruction ont peu à peu été grignotées. Dans leur étendue d'abord, dès la loi du 15 juin 2000 qui crée un juge de la liberté et de la détention (JLD) chargé, entre autres fonctions, de statuer sur la détention provisoire des personnes mises en examen. Dans leur généralité ensuite, puisque l'intervention du juge d'instruction est désormais l'exception. S'il est toujours saisi en matière criminelle, il n'est plus que rarement en matière correctionnelle. Pour l'année 2014, sur 496 000 affaires relevant du tribunal correctionnel, seulement 17 000 ont donné lieu à une instruction. Ce déclin est dû à l'émergence des procédures simplifiées que sont l'ordonnance pénale (art. 495-1 du code de procédure pénale) et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Ce "plaider-coupable" permet à la personne qui a commis un délit d'échapper à un procès en reconnaissant les faits.
Renforcement du procureur
Dans les deux cas, ordonnance pénale et CRPC, l'acteur principal est le procureur. C'est lui qui choisit la procédure simplifiée dans l'ordonnance pénale en communiquant directement au président du tribunal le dossier et ses réquisitions. C'est lui qui gère l'ensemble de la CRPC, puisqu'il propose la peine à la personne qui a plaidé coupable. Le juge n' a plus alors qu'à homologuer la décision prise ou à la rejeter, imposant ainsi la saisine du tribunal correctionnel en vue d'un procès classique.
Le problème est que ce renforcement du procureur est parallèle à la remise en cause de sa place au sein de l'autorité judiciaire. Les arrêts Medvedyev du 29 mars 2010 et Moulin du 23 novembre 2010 rendus par la Cour européenne refusent de considérer les membres du parquet comme appartenant à l'autorité judiciaire, dès lors qu'ils sont hiérarchiquement soumis à l'Exécutif. Le système juridique français est donc dans l'attente d'une réforme désormais indispensable. Hélas, on sait que le Président de la République ne dispose pas de la majorité des 3/5è au Congrès pour faire voter une révision constitutionnelle relative à la place du parquet dans l'organisation judiciaire.
Raphaël. Allégorie de la Justice. 1510. Vatican. Voûte de la Chambre de la Signature. |
La justice descend de son piédestal
Il est vrai qu'une réforme institutionnelle n'est sans doute pas la panacée, tout simplement parce que les attaques contre les juges sont aussi de l'ordre de l'incivilité. S'ils n'inspirent plus la crainte, ce qui est sans doute une bonne chose, ils n'inspirent pas davantage le respect. Apparaît ainsi très symptomatique le fait que Christiane Taubira, alors Garde des Sceaux, ait demandé un rapport sur la protection des magistrats à un groupe de travail composé des directeurs des affaires judiciaires, des affaires civiles et du Sceau, des affaires criminelles et des grâces. Remis le 28 juin 2016, ce rapport se penche sur les incivilités, outrages ou violences commis contre des magistrats. Ils peuvent aller jusqu'à des menaces graves et, d'avril 2014 à janvier 2015, cinq procédures judiciaires ont été ouvertes des chefs d'association de malfaiteurs en vue de commettre un assassinat sur un magistrat.
Au-delà de ces faits extrêmement graves, le rapport dénonce des "tentatives de déstabilisation émanant de la défense" ainsi que le développement d'une "défense beaucoup plus agressive avec l'institution judiciaire, dans le but évident de perturber le cours normal de la justice. Ces stratégies de tension se diffusent désormais largement, y compris dans des barreaux qui n'étaient pas adeptes d'une défense de rupture, sous l'influence d'une part de quelques cabinets qui interviennent sur l'ensemble du territoire national, et d'autre part d'une nouvelle génération d'avocats qui n'hésitent plus à s'attaquer directement aux magistrats". On le voit, le rapport ne pratique pas l'understatement.. Il a d'ailleurs suscité une levée de bouclier des avocats exaspérés d'être considérés comme une menace.
Plus amusant, mais tout aussi révélateur, le rapport Garapon sur la symbolique du futur tribunal de Paris. La justice y est présentée comme reposant sur l'horizontalité et non plus la verticalité. Le rapport déclare préférer la couleur verte, couleur de l'arbitrage, à la couleur rouge, celle de la vengeance, distinction qui révèle d'ailleurs un grave contresens. En effet, le rouge est surtout le symbole de l'autorité de l'Etat, et illustre au contraire que la justice Dike ne saurait être assimilée à la vengeance Némésis. Enfin, nous dit le rapport, dans les salles d'audience, la "symbolique ne sert plus à magnifier la loi mais elle est tout entière dirigée vers l'intériorité". On se déclare donc en faveur du "maintien de la balance et de l'abandon du glaive", sans oublier de "prévoir une pendule". Derrière ce discours gentiment délirant, apparaît l'image d'une justice limitée à une relation bilatérale, un débat qui ne vise pas appliquer la loi mais à résoudre un problème qui concerne un ou plusieurs individus, mais pas l'ensemble de la société.
Repenser le pouvoir judiciaire
Les attaques contre les juges sont donc d'abord le produit d'une remise en cause de l'ensemble du système judiciaire. Il est vrai que celui-ci n'a pas trouvé sa place dans nos institutions. Certes, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme affirme que "toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni
la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution". Mais précisément, notre constitution n'évoque pas un "pouvoir" judiciaire mais seulement une "autorité" judiciaire, et le choix des mots est loin d'être neutre. Il évoque un système dont l'indépendance n'est pas entièrement garantie. Qu'il s'agisse de la place du parquet, de celle de la juridiction administrative, voire de celle du Conseil constitutionnel dont la composition n'a réellement rien à voir avec celle d'une juridiction impartiale, tous ces éléments doivent susciter une réflexion nouvelle. Ce serait alors l'occasion de créer un véritable "pouvoir" judiciaire, entièrement à l'écart de l'Exécutif comme du Législatif. Il n'est pas interdit de rêver.