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jeudi 5 novembre 2015

La rétention de sûreté, toujours critiquée et jamais abrogée

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, a publié, le 5 novembre 2015, un avis relatif à la rétention de sûreté. Cette procédure a pour objet de maintenir enfermés, à l'issue de leur peine, des criminels auteurs de crimes particulièrement graves et condamnés à une peine égale ou supérieure à quinze années d'emprisonnement. D'une part, sont concernés les criminels présentant un risque très élevé de récidive, en raison notamment de leur état psychiatrique. D'autre part, peuvent y être soumis ceux qui, astreints à une mesure de surveillance de sûreté après leur remise en liberté, ne l'ont pas respectée.

Ce n'est pas le premier avis du CGLPL sur le sujet. Le 6 février 2014, Jean-Claude Delarue, prédécesseur d'Adeline Hazan, avait déjà demandé des éclaircissements sur le régime juridique applicable à cette mesure et des améliorations de la prise en charge des personnes placées en Centre médico-judiciaire de sûreté (CSMJS), structure unique placée dans la prison de Fresnes. N'ayant pas obtenu de réponses satisfaisantes, le CGLPL demande aujourd'hui la suppression de la rétention de sûreté, suggestion qui va certainement susciter des réactions diverses.

La loi du 25 février 2008


La rétention de sûreté, en effet, est une des mesures phares de la politique pénale de Nicolas Sarkozy. Comme souvent à cette époque, une importante réforme  trouve son origine dans un fait divers. Le 15 août 2007, un enfant de cinq ans, Enis, est enlevé et violé à Roubaix. L'auteur du crime, Francis Evrard, venait de sortir de prison, où il avait purgé une peine de dix-huit de prison pour viol aggravé. Nicolas Sarkozy, récemment élu Président de la République, annonce immédiatement une loi pour empêcher les criminels sexuels "de recommencer de tels actes une fois purgée leur peine de prison". La loi Dati du 25 février 2008 adopte cette réforme, décidée dans la précipitation et sans aucune réflexion préalable sur son régime juridique et les conditions matérielles de sa mise en oeuvre. Cette double lacune est sans doute à l'origine de son échec.

Peine ou pas peine


Dans un arrêt O.H. c. Allemagne du 24 novembre 2011, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que le droit allemand pouvait adopter la rétention de sûreté, qui ne porte pas atteinte, en tant que telle, à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La Cour considère toutefois qu'il s'agit d'une peine pénale, appréciation liée au fait qu'elle consiste à enfermer une personne en fonction de sa dangerosité et non pas à la soigner.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 21 février 2008, admet également la rétention de sûreté. A ses yeux au contraire, elle ne peut être considérée comme une "peine" au sens pénal du terme. En effet, elle n'est pas prononcée par une juridiction de jugement, mais, à la fin de la peine, par une juridiction régionale de rétention de sûreté. De plus, l'appréciation repose non sur la culpabilité passée de la personne, mais sur le danger qu'elle représente dans l'avenir. 

The House of the Rising Sun. Animals. 1964

Le principe de non-rétroactivité


Toutefois, de manière un peu inattendue, le Conseil estime que le principe de non-rétroactivité doit tout de même s'appliquer à la rétention de sûreté, "eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction.  

Cette soumission de la réforme au principe de non-rétroactivité a considérablement réduit son impact. La première conséquence est que seules les personnes condamnées après l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2008 ont pu faire l'objet d'une telle mesure. Le rapport du CGLPL mentionne ainsi que seulement cinq personnes ont été placées en Centre médico-judiciaire de sûreté (CSMJS) depuis 2008. La seconde conséquence est qu'il appartient à la Cour d'assises, au moment de la condamnation, de déclarer que l'intéressé sera susceptible, à l'issue de sa peine, de faire l'objet d'une telle mesure. Or, depuis 2008, seulement sept décisions de Cours d'assises ont mentionné une telle possibilité, la dernière en date concernant Tony Meilhon, condamné à vingt-deux ans de prison incompressibles pour le meurtre de Laetitia Perrais. 

Le critère de la "dangerosité"


Le régime juridique gouvernant la rétention de sûreté repose sur l'appréciation de la "dangerosité" future de la personne. C'est du moins ce qu'affirme la circulaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice du 17 décembre 2008. Qu'il s'agisse d'assurer l'enfermement d'un condamné pour lutter contre la récidive ou de celui qui a enfreint une mesure de surveillance de sûreté, le choix de la rétention doit reposer sur sa "particulière dangerosité".

C'est évidemment l'élément de faiblesse essentiel du dispositif législatif. Le CGLPL fait d'ailleurs observer que les cinq personnes actuellement retenues au CSMJS de Fresnes ont toutes été placées dans cet établissement pour avoir violé une mesure de surveillance de sûreté. Autrement dit, la procédure est utilisée comme une sanction du non-respect des obligations imposées à un condamné, le critère de la "dangerosité" étant, en pratique, écarté, tout simplement parce que l'appréciation d'une dangerosité purement hypothétique est impossible. 

Les soins


Au-delà des difficultés juridiques, la rétention de sûreté rencontre aussi des difficultés pratiques, au point que le CGLPL estime que "le dispositif ne remplit pas l'ensemble des missions assignées par la loi".  L'article 706-53-13 du code de procédure pénale (cpp) prévoit en effet que la personne placée en rétention doit se voir proposer "de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure". Le problème est que le Centre de rétention est physiquement isolé de l'Etablissement public national de santé de Fresnes. Les personnes retenues ne font l'objet d'aucun projet médical, social ou psychologique et sont placées dans un isolement total. 

Une telle situation viole l'article 706-53-13 du code pénal, et le risque d'une sanction par la Cour européenne des droits de l'homme est particulièrement élevé. En effet, dans un arrêt James, Wells et Lee c. Royaume-Uni du 18 septembre 2012, la Cour a sanctionné le droit britannique qui prévoyait une rétention identique, au motif que les personnes retenues n'étaient pas mises en mesure de participer à des programmes de réinsertion appropriées. Or, il est clair que le traitement médical et psychiatrique constitue le premier pas, même s'il n'est pas nécessairement suffisant, vers la réinsertion.

Devant une telle situation, le CGLPL demande donc l'abrogation de la loi de 2008, ce qui évidemment n'exclut pas une réflexion sur un autre type de rétention, plus adaptée aux exigences posées par les jurisprudences conjointes du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme. 

L'improbable abrogation


On observe tout de même que le CGLPL a publié son avis un mois après son adoption, car les ministres de la justice et des affaires sociales disposaient d'un mois pour répondre. Or, les services du CGLPL n'ont reçu aucune réponse, tant il est vrai que personne ne veut être accusé de vouloir faire libérer de dangereux récidivistes. Imaginons un instant que la loi soit abrogée, et qu'un crime atroce soit ensuite commis par l'un de ceux qui auront ainsi été remis en liberté... Ce cauchemar doit certainement peser sur le silence des ministres compétents.

On peut comprendre qu'ils jugent préférable d'oublier l'avis du CGLPL plutôt que modifier une loi qui s'applique à cinq personnes et ne permet pas de lutter efficacement contre la récidive, mais dont l'intérêt unique est de satisfaire les préoccupations sécuritaires des citoyens. Il leur restera ensuite à gérer le risque juridique que représente le recours de l'une ou de l'autre des personnes placées en rétention. C'est tout de même moins stressant.

Sur la rétention de sûreté : Chapitre 4, section 2, C du manuel de libertés publiques sur internet.

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