Le juge d'instruction chargé de l'affaire dite "Air Cocaïne" a osé demander les fadettes des téléphones de Nicolas Sarkozy et leur géolocalisation durant deux mois, en mars et avril 2013, au moment où 700 kilos de cocaïne ont été découverts dans un avion, à Punta Cana. Rappelons que deux instructions sont étroitement imbriquées dans cette affaire, d'une part celle portant sur le trafic de drogue ouverte à Marseille, et celle ouverte à Paris en décembre 2014 sur l'abus de biens sociaux lié au fait que Nicolas Sarkozy a peut-être voyagé gratuitement dans un avion affrété par son ami Stéphane Courbit.
Quoi qu'il en soit, ces mesures d'instruction suscitent l'irritation de Maurice Herzog, l'avocat de l'intéressé, qui dénonce "une chasse à l'homme" et déclare vouloir "demander des explications". Ces propos sont repris par les membres du parti "Les Républicains", du moins ceux qui comptent parmi les fidèles de l'ancien Président. ils estiment que cette procédure a pour seul but de l'empêcher de se représenter aux élections présidentielles. C'est en même temps, à leurs yeux, une intolérable atteinte à la fonction présidentielle et à vie privée.
Ces discours ne sont pas nouveaux. Dès que Nicolas Sarkozy est entendu ou visé par une instruction pénale, ils sont repris en boucle par les médias.
L'inviolabilité du Président en exercice
Ecartons d'emblée l'atteinte à la fonction présidentielle, argument formulé par ceux qui ont oublié que Nicolas Sarkozy n'est plus Président de la République depuis mai 2012. Or seul le Président de la République en exercice bénéficie des termes de l'article 67 de la Constitution. Il ne lui offre pas, contrairement à ce que certains affirment, un statut d'irresponsabilité pénale, mais statut d'inviolabilité qui interdit aux juges de prendre quelque mesure que ce soit à son
encontre avant la fin de ses fonctions. A l'issue de son mandat, cette
inviolabilité prend fin et sa responsabilité peut donc être engagée. C'est exactement ce qui se produit à l'égard de Nicolas Sarkozy, et si de nombreuses procédures ont été engagées à son encontre après mai 2012, c'est qu'elles n'ont pas pu l'être durant son mandat.
L'atteinte à la vie privée
Toute mesure d'enquête ou d'instruction emporte une atteinte, plus ou moins importante à la vie privée. Sur ce point, il importe peu que l'intéressé ait été Président de la République, car sa vie privée est protégée comme celle de n'importe quel individu.
Dans un arrêt Uzun c. Allemagne du 2 septembre 2010, la Cour européenne estime que la pose d'une "puce" sur le véhicule d'un suspect dans le cadre
d'une enquête pénale constitue effectivement une ingérence dans la vie
privée des personnes. Cette ingérence est néanmoins licite, dans la
mesure où elle est prévue par la loi et répond à un "besoin
social impérieux", compte tenu de la gravité des infractions en cause.
La loi du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation
En l'espèce, l'ingérence dans la vie privée est prévue par la loi du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation. Elle introduit dans le code de procédure pénale (cpp) un article 230-32. Cette intervention législative ne comble pas un réel vide juridique, car les juges autorisaient auparavant le recours à la géolocalisation dans les enquêtes et instructions pénales en les fondant sur l'article 81 cpp qui permet au juge d'instruction de procéder, d'une manière générale, à "tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité".
Le nouveau texte se montre plus précis, en affirmant qu'il "peut être recouru à tout moyen technique destiné à la localisation en
temps réel, sur l'ensemble du territoire national, d'une personne, à
l'insu de celle-ci, d'un véhicule ou de tout autre objet, sans le
consentement de son propriétaire ou de son possesseur, si cette
opération est exigée par les nécessités d'une enquête ou d'une instruction" portant sur des infractions particulièrement grave punies d'au moins trois ans d'emprisonnement pour un délit et cinq ans pour un crime. Tel est le cas aussi bien pour le trafic de produits stupéfiants que pour l'abus de biens sociaux.
Dans tous les cas, la mesure de géolocalisation doit être décidée par un juge indépendant. C'est ainsi que la Cour de cassation, dans une décision du 22 octobre 2013, a annulé une procédure de géolocalisation demandée par le procureur dans le cadre d'une enquête sur un trafic de stupéfiants. La question ne se pose pas dans le cas de la géolocalisation visant Nicolas Sarkozy, demandée par un juge d'instruction, magistrat dont l'indépendance n'est pas contestée.
La proportionnalité de l'ingérence dans la vie privée
Le "besoin sociaux impérieux", quant à lui, est apprécié par la proportionnalité entre l'ingérence dans la vie privée et les intérêts en cause. Dans un arrêt du 22 novembre 2014, la Chambre criminelle avait ainsi jugé licite une mesure de géolocalisation, en l'espèce une puce placée sur le véhicule des suspects, prise dans le cadre d'un trafic international de stupéfiants. La situation est donc tout à fait proche de celle de l'affaire "Air Cocaïne".
Hergé. L'Affaire Tournesol. 1956 |
Les deux instructions
Les discours de protestation, comme souvent, sont donc bien éloignée de l'analyse juridique... Il reste tout de même un élément que l'avocat de Nicolas Sarkozy semble vouloir exploiter. A ses yeux, son client n'est soupçonné "que" de complicité d'abus de biens sociaux et non pas de participation au trafic de stupéfiants. Il ajoute que, lorsque le juge d'instruction découvre des faits nouveaux incitant à envisager l'existence d'une autre infraction, il ne peut procéder qu'à des "vérifications sommaires" uniquement destinées à permettre l'ouverture d'une seconde instruction.
Ce n'est pas aussi simple. Une jurisprudence constante, rappelée très récemment dans un arrêt du 23 juin 2015, affirme que "les
officiers de police judiciaire qui, à l'occasion de l'exécution d'une
commission rogatoire, acquièrent la connaissance de faits nouveaux,
peuvent, avant toute communication au juge d'instruction des
procès-verbaux qui les constatent, effectuer d'urgence des vérifications sommaires pour en apprécier la vraisemblance". L'hypothèse renvoie donc au cas d'une perquisition où les policiers ou gendarmes qui en sont chargés découvrent ces faits nouveaux. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, c'est le juge et non pas les policiers chargés d'exécuter la commission rogatoire qui trouve ces faits nouveaux liés à l'abus de biens sociaux.
Il faut reconnaître qu'en l'espèce une nouvelle instruction a bel et bien été mise en oeuvre à Paris, cette fois pour abus de biens sociaux. Le juge marseillais ne peut donc être accusé de vouloir conserver cette instruction.
Une instruction à charge et à décharge
Au contraire, il convient de rappeler qu'un juge d'instruction instruit à charge et à décharge, y compris lorsqu'il consulte des fadettes ou utilise la géolocalisation. Il n'y a donc rien de surprenant à ce qu'il s'assure, par la consultation de la liste des correspondants de Nicolas Sarkozy et par la géolocalisation de ses téléphones, y compris sans doute celui détenu par Paul Bismuth, qu'il n'avait rien à voir avec ce trafic. A ce jour, on peut penser que si Nicolas Sarkozy n'est pas entendu dans cette affaire, sans doute parce qu'il n'y a pas lieu de l'entendre, l'enquête ayant permis de l'innocenter complètement. Il n'en est peut-être pas de même dans le cas de l'abus de biens sociaux, mais c'est une autre histoire, ou plutôt une autre instruction.
Derrière ces postures tragi-comiques se cache un certain mépris à l'égard du principe d'égalité devant la loi. Car Nicolas Sarkozy n'est pas victime d'un acharnement judiciaire, contrairement à ce qu'affirment ses amis. Il est tout simplement traité comme n'importe quel citoyen qui peut se trouver, un jour ou l'autre, au coeur d'une instruction pénale. Pour éviter ce type de petits agacements, la meilleure solution est sans doute de payer son billet avant de monter dans un avion.
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