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dimanche 8 novembre 2015

La fusion entre la CNIL et la CADA à l'ordre du jour

Le projet de loi pour une République numérique porté par Axelle Lemaire est encore bien loin d'être voté. Pour le moment, un avant-projet a été soumis aux internautes qui ont été invités à faire connaître leurs observations. Une version modifiée a ensuite été transmise pour avis au Conseil d'Etat. La procédure se veut exemplaire, et on ne peut que se réjouir qu'un projet de loi qui a pour objet d'étendre la transparence des données publiques soit élaboré lui-même dans la transparence. 

Il n'en demeure pas moins que le débat se développe actuellement autour de dispositions qui ne figurent pas dans l'avant-projet de loi, mais qui sont dans la logique de son contenu. Différents articles de presse font état d'une volonté d'Axelle Lemaire de fusionner la CNIL et la CADA et on sait que les présidents de chacune de ces autorités administratives ont été contactés dans le but de mener à bien cette réforme.

Une réforme dans la ligne du rapport Dosière-Vanneste


D'une façon générale, toute fusion d'autorités administratives indépendantes doit être regardée avec intérêt, tant il est vrai que la prolifération de ces autorités, d'ailleurs plus ou moins indépendantes, ne fait qu'accentuer la confusion du paysage administratif. Le rapport Dosière-Vanneste de 2010 rédigé au nom du comité parlementaire d'évaluation et de contrôle des politiques publiques recensait déjà une bonne quarantaine d'autorités indépendantes, et observait que leur déploiement ne reposait sur aucune idée directrice ni démarche prospective. Il se prononçait donc en faveur d'"un effort de rationalisation passant par des regroupements". 

Ce rapport n'a rencontré qu'un écho bien faible dans le droit positif. Le seule regroupement qui ait eu lieu est celui initié par la loi organique du 29 mars 2011 qui fédère le Médiateur, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la Halde au sein d'une unique autorité indépendante : le Défenseur des droits. Depuis cette date, aucun autre rapprochement n'a été mené à bien, alors que le rapport Dosière-Vanneste proposait aussi la fusion de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). 

La fusion entre la CNIL et la CADA peut apparaître comme un retour vers une politique de rapprochement des autorités indépendantes, politique qui avait été à peine engagée. Elle présente le double intérêt de mutualiser les coûts de fonctionnement et de réduire autant que possible les conflits de compétence entre cette multitude d'institutions à la visibilité plus ou moins grande.

Littérature grise et données personnelles


Le partage des compétences entre la CNIL et la CADA n'a jamais été clair. On sait que les deux institutions sont parfaitement contemporaines. La CNIL, première commission à avoir été qualifiées d'"autorité administrative indépendante" a été créée par la loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique, les fichiers et les libertés. La CADA, quant à elle, est issue de la loi du 17 juillet 1978 qui consacre une "liberté d'accès aux documents administratifs". 

A l'origine, les deux textes répondaient à deux préoccupations bien distinctes. La loi du 6 janvier 1978, rappelons-le, trouve son origine dans le scandale provoqué, en 1977, par le "Projet SAFARI" visant à permettre des interconnexions entre les fichiers publics de données personnelles. Il s'agissait donc de protéger la vie privée des personnes fichées. Le droit d'accès était perçu comme le moyen d'assurer que la collecte, la conservation et l'utilisation de ces données étaient conformes à la loi. La loi du 17 juillet 1978, quant à elle, est née à l'époque où l'on espérait développer une nouvelle forme de transparence administrative, à partir de l'exemple américain. On s'inspirait alors du Freedom of Information Act de 1966 et  du Government in the Sunshine Act de 1976, deux textes visant à favoriser cette transparence. 

Ainsi, la loi informatique et libertés visait à favoriser le secret de la vie privée et la loi du 17 juillet 1978 avait pour but la transparence de l'Etat. Cette analyse relève néanmoins d'une idéologie qui n'est jamais réellement entrée dans les moeurs. 
C'est ainsi que la loi du 17 juillet 1978 n'a été que fort peu utilisée pour accéder à ce qu'il est convenu d'appeler la "littérature grise" de l'administration, c'est-à-dire les textes portant sur les décisions d'ordre général. Elle a surtout été invoquée par des citoyens désireux d'avoir accès aux informations les concernant directement, leur dossier de santé, le dossier professionnel d'un fonctionnaire etc. L'article 3 de la loi autorise en effet tout intéressé à "connaître les informations contenues dans un document administratif dont les conclusions lui sont opposées".

Un délicat partage des compétences


Le résultat de cette utilisation est que le partage des compétences entre les deux textes est devenu plus compliqué. L'article 3 de la loi du 17 juillet 1978 s'applique en effet "sous réserve des dispositions de la loi du 6 janvier 1978". En d'autres termes, l'accès aux documents nominatifs donne lieu à un recours devant la CADA, et l'accès aux données nominatives contenues dans un fichier est de la compétence de la CNIL. Le problème est que l'informatisation presque complète de l'administration a conduit, peu à peu, à siphonner les compétences de la CADA.


 
Schéma du partage des compétences entre la CNIL et la CADA. Pierre Alechinsky. Labyrinthe d'apparat III 1973




Un service public de la donnée


Tous ces éléments justifient le passage à une nouvelle logique, et le projet de loi envisage un "service public des données publiques" prévoyant une seule et unique autorité chargée de gérer la mise à la disposition, via internet, de l'ensemble des données d'intérêt général et de répondre aux demandes de communication des données personnelles et nominatives. Il ne fait aucun doute qu'une telle réforme permettrait de résoudre des problèmes de compétence qui ont parfois pour conséquence de retarder considérablement le droit d'accès au juge. 

Une fusion au profit de la CNIL

 

Sur un plan plus institutionnel, il ne fait guère de doute que la fusion concerne deux autorités bien différentes. La CNIL regroupe 185 agents, et la CADA une douzaine. La CNIL est dotée d'un pouvoir de sanction et d'une autorité importante au sein de l'Union européenne. C'est ainsi qu'elle est le porte-parole du G29, groupe qui rassemble l'ensemble des autorités de contrôle européennes, et qu'elle est chargée de gérer le contentieux qui oppose l'UE à Google. La CADA, quant à elle, ne rend que des avis consultatifs, qui sont souvent suivis par les administrations, mais pas toujours. Son fonctionnement et son mode de raisonnement sont entièrement dominés par le Conseil d'Etat, situation qui nuit parfois à l'audace de sa jurisprudence. 

Cette situation permet de penser que la fusion se fera au profit de la CNIL, plus puissante, même si le nom de la future institution n'est pas encore connu. On doit s'en réjouir, dès lors que l'accès aux documents pourra être mieux garanti par un pouvoir de sanction, dont la CADA ne dispose pas. 

Transparence et secret : l'inversion des logiques


Ce projet va donc dans le sens d'une meilleure efficacité des procédures d'accès aux informations, nominatives ou non nominatives. Sur le fond, il témoigne cependant de l'inversion de la logique qui était celle de 1978. A l'époque, on souhaitait avec ardeur la transparence de l'action de l'Etat et le secret des données personnelles, c'est-à-dire de la vie privée. Aujourd'hui, comme en témoigne la récente loi du 25 juillet 2015 sur le renseignement, la logique est inverse. On veut désormais garantir le secret des activités de l'Etat et permettre l'accès des services à la vie privée des individus. Ce n'est évidemment pas la fusion de deux autorités administratives indépendantes qui inversera ce mouvement de fond.

Sur les autorités administratives indépendantes : Chapitre 3, section 3, 6 1 B du manuel de libertés publiques.


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