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mardi 4 mars 2014

La révision des condamnations pénales ou comment réparer les erreurs judiciaires

L'Assemblée nationale a adopté, le 27 février 2014, en première lecture, la proposition de loi présentée par Alain Tourret (RRDP Calvados), relative à la révision et au réexamen d'une condamnation pénale définitive. La proposition, déposée le 16 janvier 2014, a été votée avec une remarquable rapidité. C'est la conséquence de la révision constitutionnelle de 2008, qui réserve désormais une séance par mois à un ordre du jour arrêté à l'initiative des groupes parlementaires d'opposition ou minoritaires (art. 48 al. 5). 

La proposition Tourret a été votée à l'unanimité, ce qui montre que les parlementaires peuvent quelquefois s'entendre lorsqu'ils ont le sentiment que le droit positif doit impérativement être modifié. Le cas récent de Christian Iacono, condamné par les Assises en 2009 à neuf années d'emprisonnement pour le viol de son petit-fils, a mis en évidence les limites de la procédure actuelle de révision. On se souvient que la soi-disant victime s'est rétractée en mai 2011, alors que la condamnation de son grand-père avait été confirmée en appel quelques mois auparavant, en février. La Cour de révision n'a finalement annulé la condamnation que le 18 février 2014, renvoyant l'intéressé aux Assises pour un troisième procès, à l'issue duquel il pourrait être acquitté.

La révision, ou la recherche d'un équilibre


L'affaire Iacono illustre les difficultés que rencontrent les victimes d'une erreur judiciaire. Le droit positif doit en effet trouver un équilibre délicat entre deux impératifs contradictoires. D'un côté, il doit garantir l'autorité de chose jugée et une condamnation pénale devenue définitive est perçue comme un élément de sécurité juridique. De l'autre côté, il demeure indispensable de faire prévaloir la vérité, lorsqu'il apparaît qu'une peine pénale repose sur une erreur de fait ou de droit. Pour trouver cet équilibre, le droit positif repose sur une présomption selon laquelle la condamnation pénale est présumée comme étant la vérité légale. Il appartient ensuite à la victime de l'erreur judiciaire de renverser cette présomption, grâce la procédure de révision des condamnations.

Cette procédure est dans l'état actuel du droit très lourde et n'a que très peu de chances de succès. En matière criminelle, huit condamnés ont bénéficié d'une révision depuis 1945. Sur l'ensemble des condamnations pénales, crimes et délits confondus, les statistiques montrent que sur 3 358 demandes présentées à la commission de révision depuis 1989, seulement 51 ont abouti à une décision d'annulation, soit environ 1,6 %.

Ces chiffres modestes ne témoignent pas, à eux seuls, de l'échec de la procédure. Beaucoup de demandes de révision reposent davantage sur les désirs d'un condamné ou de sa famille que sur des arguments juridiques solides. Si l'on observe les procédures qui ont abouti, on constate tout de même que les conditions draconiennes de la révision ainsi que sa lenteur ont un effet dissuasif, les demandeurs devant faire preuve d'une force de caractère peu commune pour arriver à son terme.

Réhabilitation d'Alfred Dreyfus. juillet 1906. Cour de l'Ecole Militaire


Révision et réexamen


Ce sentiment d'un chemin de croix judiciaire est accru aujourd'hui par l'impression d'une rupture d'égalité entre les condamnés. Ceux qui ont obtenu un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme sanctionnant la condamnation dont ils ont fait l'objet sont placés dans une situation beaucoup plus favorable que ceux qui doivent engager une procédure de révision. La loi du 15 juin 2000 établit une procédure de "réexamen" d'une décision pénale, consécutif au prononcé d'un arrêt de la Cour, réexamen effectué par une commission spéciale, émanation de la Cour de cassation.

Il est vrai que ce réexamen vise à corriger une erreur de droit alors que la révision se propose de corriger une erreur de fait. Aux yeux du condamné, la différence n'apparaît cependant pas de nature à justifier un traitement aussi différencié. En effet, sur 55 demandes de réexamen présentées depuis 2000, 39 ont été déclarées recevables, et 31 ont abouti, soit 82 % des demandes recevables.

La proposition Tourret présente l'intérêt de fusionner le régime juridique de la révision sur celui du réexamen, en élargissant sensiblement les conditions de la première.

Garanties procédurales


Sur le plan procédural tout d'abord, le texte propose la création d'une Cour unique de révision et de réexamen, fusion des deux anciennes commissions. Il achève ainsi le processus de juridictionnalisation engagé par la loi du 23 juin 1989 qui avait déjà substitué au filtre du Garde des Sceaux celui d'une commission composée de magistrats de la Cour de cassation chargée d'instruire les demandes et de saisir la Cour de révision. 

Des garanties procédurales viennent compléter cette démarche, avec notamment la possibilité pour la commission comme pour la Cour de révision et de réexamen de procéder "à toutes recherches, auditions, confrontations et vérifications utiles". Son information doit d'ailleurs être améliorée par l'enregistrement systématique des audiences de cour d'assises et la protection accrue des scellés, la personne condamnée ayant désormais le droit de contester leur éventuelle destruction. 

D'une manière générale, le respect du contradictoire est renforcé et la proposition insiste sur le rôle de la défense, le déroulement des débats étant désormais sensiblement identique à ceux du procès pénal. Il s'agit là d'un progrès incontestable, si l'on considère que traditionnellement le demandeur en révision n'était pas considéré comme bénéficiant de la présomption d'innocence, puisqu'il avait été déclaré coupable par une décision devenue définitive.

Les motifs de révision


La proposition ne modifie pas le champ des décisions susceptibles de faire l'objet d'une révision. Aux yeux du législateur, la procédure doit demeurer exceptionnelle et il n'est donc pas question de l'élargir aux peines contraventionnelles. Les décisions d'acquittement ne sont pas davantage concernées. Le principe non bis in idem s'y oppose en effet, dès lors que l'action publique ne peut être reprise à l'encontre d'une personne définitivement jugée en raison des mêmes faits (art. 368 cpp). La révision demeure donc limitée aux domaines délictuel et criminel. 

Quant aux motifs de révision, la proposition Tourret envisage un véritable élargissement. Elle réintroduit tout d'abord la notion d'innocence qui avait disparu de la procédure de révision avec la loi du 23 juin 1989. Déjà dans une volonté d'élargissement, ce texte avait supprimé l'ancienne rédaction visant un fait nouveau ou une pièce nouvelle "de nature à établir l'innocence du condamné". Elle lui avait substitué une référence au fait nouveau ou à un élément inconnu de la juridiction au jour du procès "de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné". La formule repose sur l'idée généreuse que le doute peut provenir de n'importe quelle source et qu'il doit profiter, non pas à l'accusé, mais au condamné. Elle a cependant pour inconvénient d'occulter la notion d'innocence, et c'est la raison pour laquelle la proposition suggère d'accoler les deux formulations dans la nouvelle rédaction de l'article 624 du code de procédure pénale. 

Le "moindre doute"


La proposition suggère enfin que cet élément inconnu au moment du procès soit "de nature à faire naître le moindre doute sur la culpabilité du condamné". Le "moindre doute", ce n'est pas "le doute", et cette qualification du doute a déjà suscité bon nombre de débats. 

Pour le rapporteur, il s'agit de tenir compte du fait que la charge de la preuve repose exclusivement sur le condamné, puisqu'il doit renverser la présomption de sa culpabilité. Il lui suffirait donc, selon le rapporteur, de faire naître un doute "infime", susceptible de modifier l'issue du procès. Même dans cas, la révision devrait donc être engagée. Cette nouvelle rédaction ne repose pas seulement sur un libéralisme assumé, mais aussi sur une volonté de mettre fin à des débats doctrinaux relativement vains sur la distinction entre doute simple et doute sérieux. Reste que, comme le fait observer la Commission nationale consultative des droits de l'homme, le doute est une "notion philosophique difficile à quantifier". Rien n'interdit aux juges, même dans l'état actuel du droit, de décider qu'un doute "simple" permet d'engager la procédure de révision. La qualification du doute par le législateur ne met pas fin à l'appréciation souveraine par le juge de ce qui relève de son âme et conscience.

Quoi qu'il en soit,  la proposition Tourret a le courage d'aborder frontalement la question de l'erreur judiciaire. La révision d'une condamnation pénale  n'est plus considérée comme une mise en cause du système judiciaire, mise en cause qu'il convient de traiter à petit bruit et qui ne doit intervenir que de manière exceptionnelle, quand l'erreur est si lourde qu'il n'est plus possible de la cacher. Au contraire, la révision sort de l'exception pour entrer dans le droit commun de la procédure pénale. Cette évolution est doublement favorable. Pour le condamné d'abord qui a davantage de chances de voir reconnaître l'erreur judiciaire dont il est victime. Pour le système judiciaire lui-même, dont la crédibilité ne peut qu'être renforcée par le traitement rapide et efficace de cette erreur dont il n'est d'ailleurs pas nécessairement le responsable direct, puisqu'elle peut produire d'un fait nouveau postérieur au procès. Un progrès indiscutable que le regretté Pierre Desproges aurait sans doute salué, lui qui déclarait : "Combien d'innocents courraient encore s'il n'y avait pas d'erreur judiciaire" ?



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