Le 3 juin dernier, alors que DSK était encore emprisonné chez lui, portant un bracelet électronique, placé sous la surveillance constante de systèmes de vidéo-surveillance, il semblait indispensable de rappeler que le système pénal américain repose davantage sur un statut de l'accusé que sur un véritable respect de la présomption d'innocence. Celle-ci n'est pas ignorée, mais elle n'intervient que tardivement, après la mise en accusation par un jury. De fait, au moment où l'on nous exhibait avec complaisance le directeur général du FMI menotté, ses avocats n'avaient pas encore accès au dossier, et les services du procureur faisaient une enquête à charge, leur mission étant de trouver des éléments permettant la mise en accusation.
L'abandon des poursuites pénales aux Etats-Unis
L'abandon des poursuites pénales aux Etats-Unis
Et voilà que DSK parle 24 minutes à la télévision.. 24 minutes, ce n'est pourtant pas bien long, surtout si on considère que tout le monde affirmait que la France entière attendait ses explications, et qu'il avait dû se taire pendant quatre mois, quatre mois durant lesquels il a fait l'objet de campagnes de presse souvent violentes.
Quoi qu'il en soit, ces 24 minutes ont suscité des réactions analogues à celles de mai dernier, comme si personne n'avait rien appris. La justice américaine est toujours louée : quel magnifique exemple que ce procureur qui a su renoncer aux poursuites avec dignité, dès lors que la fiabilité de son témoin principal s'effondrait sous le poids de ses mensonges et que les rapports de police scientifique n'offraient aucune preuve convaincante !
Sans doute... mais le discours dominant d'aujourd'hui consiste à dire que DSK n'est pas "blanchi", que cet abandon des charges n'a rien à voir avec un non lieu, une relaxe ou un acquittement, rien à voir avec quoi que ce soit de connu dans notre code pénal. En clair, DSK doit pouvoir être présenté comme coupable, d'une manière ou d'une autre.
Le déni médiatique de la présomption d'innocence en France
Le déni médiatique de la présomption d'innocence en France
Examinons donc les termes employés. Les féministes affirment volontiers que DSK n'est pas "blanchi". A leurs yeux, peu importe qu'il soit coupable ou innocent, il doit demeurer l'instrument d'une mobilisation féministe. On lui demande de s'excuser, encore et toujours, du crime commis envers Mme Diallo et, à travers elle, envers toutes les femmes. Et l'on affirme urbi et orbi que DSK n'est pas "blanchi". Ce terme est cependant dépourvu de contenu juridique, à l'exception du "blanchiment" d'argent, qui est sanctionné par le code pénal et qui n'a rien à voir avec l'affaire DSK.
On peut douter que de dignes représentantes d'associations féministes aient employé le verbe "blanchir" dans deux autres sens, l'un qui relève de la cuisine et qui désigne le fait de porter à ébullition un produit pour le refroidir ensuite, l'autre qui relève de la lessive, lorsque l'on lave du linge blanc. Ce dernier sens nous rapproche cependant du sens figuré qui renvoie à l'idée que les charges retenues contre un accusé sont désormais levées, lui permettant de redevenir un citoyen qui, comme tous les autres, bénéficie de la présomption d'innocence. N'est-ce pas le cas de DSK, dès lors que le procureur a renoncé à toute poursuite pénale ?
Le directeur de la rédaction du célèbre "tabloïd" mis en cause par DSK affirmait ce matin, lors d'une émission spécialisée dans les discussions de comptoir, que cet abandon des poursuites n'est pas assimilable à un non-lieu. Sur le plan juridique, son ignorance n'affectait évidemment en rien son assurance.
Le non-lieu se définit tout de même comme l'abandon d'une action judiciaire en cours de procédure par le juge, lorsqu'il s'aperçoit que les éléments rassemblés lors de l'enquête ne permettent pas de poursuivre l'instruction. Décidé par le juge, le non-lieu se distingue de l'opportunité des poursuites, qui permet au parquet d'abandonner les poursuites avant le projet. Bien entendu, les procédures américaine et française ne seront jamais totalement comparables. Dans la procédure inquisitoire française, la décision appartient au juge d'instruction. Dans la procédure accusatoire américaine, l'initiative est venue du procureur mais la décision a été finalement prise par le juge, dans le cadre d'une audience publique et contradictoire. En dehors de cette différence minime liée à l'absence de juge d'instruction, force est de constater que DSK a bénéficié de quelque chose qui ressemble fort à un non-lieu.
Ce rapprochement s'impose d'autant plus que la situation de DSK ne saurait être assimilée à une relaxe ou un acquittement, le premier prononcé par le tribunal correctionnel, le second par la Cour d'assises. Dans les deux cas, cependant, la décision est acquise à l'issue d'un procès, ce qui n'est évidemment pas le cas de DSK, puisque le procureur Vance a précisément décidé de ne pas aller au procès.
De ce fait, DSK, n'en déplaise aux sycophantes, se retrouve dans la position d'un citoyen bénéficiant de la présomption d'innocence. Et, jusqu'à présent, l'affaire Banon n'y change rien. En effet, la presse a fait preuve d'une remarquable absence de curiosité sur la procédure suivie. Pourquoi DSK a t il été entendu comme témoin et n'a t il pas été mis en garde en vue ? Tout simplement parce que cette procédure ne peut être mis en oeuvre que si les enquêteurs constatent l'existence d'"une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner l'intéressé d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction punie d'une peine d'emprisonnement" (art. 62-2 cpp). Ces raisons plausibles existent-elles ? La procédure suivie laisserait plutôt entrevoir la légèreté du dossier.
L'affaire DSK illustre ainsi une tendance générale à l'utilisation des termes juridiques à des fins purement politiques, voire polémiques. Ce n'est pas tant M. Strauss-Kahn qui en est victime que la justice elle-même, désormais considérée comme un simple instrument de communication.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire