La liberté d'expression syndicale est-elle une modalité d'exercice de la liberté d'expression détenue par chaque citoyen ou l'accessoire indispensable de l'exercice du droit syndical ? On serait tenté de répondre que la question est futile dès lors que l'expression syndicale peut librement s'exercer.
La Cour européenne des droits de l'homme réunie en Grande Chambre vient pourtant de relancer le débat dans une décision Palomo Sanchez et a. c. Espagne rendue le 12 septembre 2011. Appelée à statuer sur le licenciement d'un groupe de syndicalistes qui avaient diffusé un dessin et des articles particulièrement insultants pour des cadres de l'entreprise, la Cour estime en effet que cette sanction ne constitue pas une violation de l'article 10 de la Convention européenne relatif à la liberté d'expression.
Cette décision a suscité en France un certain nombre de critiques. Dès lors que le licenciement d'un représentant syndical est beaucoup plus difficile que celui d'un salarié non protégé, on considère implicitement que cette rupture du contrat de travail ne saurait intervenir pour des motifs tirés de l'usage de leur liberté d'expression par ces représentants syndicaux.
On retrouve l'écho de ce raisonnement dans les protestations et autres "appels à rassemblement" qui circulent actuellement sur internet pour contester la condamnation en mars 2011 d'un représentant de SUD du ministère du travail, pour "injures publiques envers une administration publique". Il avait en effet appelé, dans un texte largement diffusé, à "brûler l'INT" (Institut nationale du travail). Ces prises de position illustrent une tendance à considérer l'expression syndicale comme un élément du droit syndical, bénéficiant d'une protection identique. De fait, cette catégorie particulière de la liberté d'expression serait un droit du citoyen, de l'"homme situé", pour reprendre une formule chère à Georges Burdeau, c'est à dire un droit de l'individu défini à travers la relation qu'il entretient avec son travail.
Affiche des Jeunesses ouvrières chrétiennes (JOC) 1936 |
L'analyse est séduisante, mais juridiquement fausse. La liberté d'expression, syndicale ou non, est un droit de l'homme, attaché à l'individu, et désigne simplement une des conditions d'exercice de la liberté d'expression. C'est un droit de l'homme, attaché à l'individu, consacré par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui considère "la libre communication des pensées et des opinions" comme "l'un des droits les plus précieux de l'homme".
De fait, la liberté d'expression, syndicale ou non, s'exerce dans le cadre des lois qui la réglementent. Selon le droit français, chaque citoyen a le droit de s'exprimer librement, à la condition de ne pas tenir des propos racistes, discriminatoires ou négationnistes, injurieux ou diffamatoires, toutes restrictions prévues par la rédaction actuelle de la célèbre loi du 29 juillet 1881 sur la presse. Il en est exactement de même pour les représentants syndicaux et l'article L 2142-5 du code du travail prévoit, en termes très clairs, que "le contenu des affiches, publications et tracts est librement déterminé par l'organisation syndicale, sous réserve de l'application des dispositions relatives à la presse".
La Cour européenne ne dit pas autre chose, dans sa décision Palomo Sanchez. Elle se livre en l'espèce à une lecture de l'article 10 sur la liberté d'expression à la lumière de l'article 11 sur "la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats". Pour le juge européen, le droit syndical trouve ses limites dans la "bonne foi" qui doit exister dans les relations de travail. Une atteinte à l'honorabilité des personnes par des expressions grossièrement insultantes ou injurieuses a des effets perturbateurs sur ces relations, et justifient donc une sanction très lourde.
Cette décision aura t elle pour effet de limiter la liberté d'expression syndicale ? On espère que non, car ce serait considérer qu'il n'est pas possible de diffuser ses idées, même les plus audacieuses, sans attaquer personnellement et de manière injurieuse des individus.
Chère Madame, pour une fois (la première depuis très longtemps!) je ne suis pas en accord avec votre analyse, et il me semble que vous vous apportez vous-même la contradiction. Vous relevez en effet ceci: "Pour le juge européen, le droit syndical trouve ses limites dans la "bonne foi" qui doit exister dans les relations de travail." Pour dire avant que l'analyse selon le critère de "l'homme situé" bien que séduisante n'est pas valable. Or, que fait là la CEDH en établissant un lien direct avec le contrat de travail sinon mettre en lumière cet "homme situé" et donc, in fine, aller vers la reconnaissance d'une "liberté d'expression syndicale" (moins bien protégée semble-t-il, que "la liberté d'expression" tout court, puisqu’elle aboutit à valider une sanction qui n'est ni plus ni moins que la perte de son gagne-pain!). Si une juridiction française condamnait un contrevenant au droit de la presse en lui infligeant comme sanction de perdre son logement par exemple, cela serait-il juste et conforme à l'esprit de la DDH? En l'espèce, on en est un peu là car les conséquences de cet arrêt sont excessivement lourdes. Perdre son emploi aujourd'hui, si par exemple on a plus de 45 ans, et a fortiori quand on a été syndicaliste, c'est à coup sûr , être condamné à la misère à moyen ou court terme. Prenons l'exemple d'un Xavier Mathieu (CGT Continental) - il ne retrouvera JAMAIS plus de travail, de même que ses collègues syndicalistes de Clairoix, même moins "célèbres" que lui... Alors à quel jeu joue la CEDH? Bien cordialement,
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