Dans deux arrêts du 14 octobre 2025, la cour d'appel de Paris se fonde sur l'intérêt supérieur de l'enfant pour définir les droits d'enfants nés d'une insémination post mortem. Dans les deux cas, les enfants français sont nés en Espagne, pays qui autorise une veuve à bénéficier d'une assistance médicale à la procréation (AMP), à partir d'une insémination avec les gamètes de leur conjoint défunt, ou encore à partir d'un réimplantation d'un embryon conçu avec les gamètes du couple.
La première décision de la cour d'appel de Paris établit un lien de filiation paternelle en faveur de l'enfant. La seconde décision s'inscrit, quant à elle, dans un contentieux relatif à la succession du défunt, son ex-épouse issue d'un premier mariage ayant engagé une action pour faire déclarer inapte à succéder l'enfant du second mariage issu d'une réimplantation d'embryon réalisée post mortem en Espagne. En revanche, le premier enfant de ce second mariage était, quant à lui, apte à succéder, puisque la petite fille était née dix-sept jours avant le décès de son père. La seconde, celle potentiellement privée du droit de l'aptitude à la succession, était née dix-mois après ce décès, ce qui fait une différence d'à peine vingt mois entre les deux enfants issus du même patrimoine génétique. Prenant acte de l'inégalité successorale qui aurait résulté d'un refus, les deux enfants d'une même fratrie n'étant pas traités de la même manière, la cour reconnaît l'aptitude à succéder de l'enfant né par AMP dix-neuf mois après la mort de son père.
Un droit de fermeture
Ces deux décisions ont pour point commun d'offrir un instrument de contournement, certes modeste mais réel, d'une législation extrêmement sévère à l'égard des femmes souhaitant obtenir une AMP à partir des gamètes de leur époux décédé.
La conception post mortem a été formellement interdite dans la dernière loi bioéthique du 2 août 2021. Le législateur s'est en effet refusé à toute modification de l'article L 2141-2 du code de la santé publique qui affirme que "lorsqu'il s'agit d'un couple, font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons : (...) Le décès d'un des membres du couple".
Cette approche restrictive a été validée par la CEDH, dans un arrêt Baret et Caballero c. France du 14 septembre 2023. Il est vrai que la Cour européenne ne prend pas une position de principe hostile à l'AMP des veuves. Elle se borne à laisser aux États une très large autonomie, dans un domaine où il n'existe pas de consensus européen. Dans sa décision Pejrilova c. République tchèque du 8 décembre 2022, elle dressait ainsi une véritable liste des positions des États, témoignant d'une division sur la conception post mortem. Les uns l'interdisent comme la France, l'Allemagne, la Bulgarie, le Danemark, la Finlande, la Grèce, l'Italie ou le Portugal, les autres l'autorisent selon des modalités variables comme la Belgique, Chypre, l'Estonie, la Hongrie, la Lituanie, La Lettonie, les Pays Bas, et bien entendu l'Espagne, pays dans lequel l'époux de chacune des deux requérantes avait choisi de déposer ses gamètes.
Le droit français ne peut empêcher l'AMP en tant que telle, dès lors qu'elle a été effectuée dans un pays dans lequel elle est parfaitement licite. C'est la raison pour laquelle les contentieux se concentrent sur les conséquences de cette AMP au regard de la filiation d'abord, de la succession ensuite.
La Périchole. Offenbach. Théâtre des Champs Elysées. 2022
La tentation libérale
Sur la question de l'AMP post mortem, les juges français ont toujours été libéraux, et la loi de 2021 a mis une fin brutale à une évolution jurisprudentielle qui se montrait compréhensive. Dans une ordonnance du 31 mai 2016, le juge des référés du Conseil d'État avait ainsi autorisé l'exportation des gamètes du mari décédé de la requérante. Celle-ci vivait certes à Paris, mais elle était de nationalité espagnole et avait épousé un Italien. Les gamètes étaient donc exportés vers le pays d'origine de la veuve qui pouvait bénéficier d'une insémination, conformément au droit de son pays. Le juge affirmait certes le caractère exceptionnel de l'autorisation, mais il témoignait tout de même de sa volonté de faire de chaque affaire d'insémination post mortem un cas particulier.
Quelques mois plus tard, dans une ordonnance de référé du 11 octobre 2016, le tribunal administratif de Rennes avait également permis l'exportation vers l'Espagne des paillettes de sperme du mari défunt de la requérante. Les deux membres du couple étaient pourtant de nationalité française, mais, profitant de l'ouverture offerte par le Conseil d'État, le juge rennais s'était appuyé sur le caractère exceptionnel du dossier. En effet, le projet parental de deux époux s'était concrétisé par une grossesse intervenue sans aucune assistance médicale en novembre 2015. En dépit de sa maladie, l'époux avait suivi cette grossesse et avait pu connaître le sexe de son enfant le 14 janvier 2016, avant de s'éteindre le 27 janvier. Hélas, à la suite du traumatisme causé à sa mère par le décès de son époux, l'enfant était lui même décédé in utero en avril 2016. La perte de cet enfant témoignait de l'existence d'un véritable projet parental, qui constituait, aux yeux du juge, la "circonstance particulière" de nature à justifier l'exportation des gamètes.
La loi de 2021, par le caractère péremptoire de sa formulation, semble mettre fin à ce libéralisme et interdire au juge d'apprécier la situation au cas par cas. Mais en réalité, la jurisprudence a entre-ouvert des portes, dans lesquelles la cour d'appel s'engouffre aujourd'hui.
Une porte entre-ouverte
Certes, l'arrêt Baret et Caballero c. France du 14 septembre 2023 n'empêche par les États d'interdire la procréation post- mortem. Les deux affaires dataient de 2019, période antérieure à la loi de 2021. Le code de la santé publique précisait alors que, pour bénéficier d'une AMP, "L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants".
Le droit a évolué depuis cette date, avec la loi de 2021 qui ouvre l'AMP aux femmes seules ou en couple. Dans les deux décisions de la cour d'appel de Paris du 14 octobre 2025, cette rupture d'égalité entre les femmes seules parce qu'elles l'ont choisi, et celles qui malheureusement ont perdu leur conjoint n'est toutefois pas pertinente. Il ne s'agit pas, en effet, de contester l'AMP elle-même, mais ses effets sur la filiation ou l'aptitude à la succession. Il n'empêche que la CEDH se borne à prendre acte de l'absence de consensus européen dans ce domaine, laissant les juges internes libres d'en tirer les conséquences de leur choix.
L'ouverture s'élargit encore avec un arrêt du 28 novembre 2024 rendu par le Conseil d'État. Certes, il rejette le recours d'une veuve contre la décision du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen lui refusant de poursuivre son parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP) par l'implantation d'un embryon issu de ses gamètes et de celles de son mari. Mais la requérante avait invoqué une ingérence excessive dans son droit de mener une vie familiale normale, garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La lecture de l'arrêt montre que le Conseil d'État n'écarte pas le moyen sans examiner la proportionnalité de cette ingérence au regard de ce droit. Il estime en l'espèce que cette ingérence est proportionnée, dans la mesure où la requérante n'avait aucun lien avec l'Espagne. Sa demande d'exportation de ses embryons ou des gamètes de son mari avait donc comme unique objet de contourner la loi française. Mais a contrario, on pouvait déduire que si la requérante avait eu la chance de naître espagnole, ou son défunt mari, le juge aurait peut-être statué autrement.
Précisément, dans les deux décisions du 14 octobre 2025, la cour d'appel profite de cette possibilité de contrôle de proportionnalité.
Intérêt supérieur de l'enfant et appréciation in concreto
Dans l'affaire relative à la filiation de l'enfant, elle commence par rappeler le principe de l'interdiction de l'AMP pour les veuves, la poursuite du projet parental étant subordonnée au maintien du consentement des deux membres du couple et à la persistance du couple lui-même. Elle ajoute que ces dispositions ne portent pas, en tant que telles, "une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'enfant".
Cette formulation conduit toutefois à un contrôle de proportionnalité et la cour affirme qu'il lui "appartient d'apprécier concrètement si l'atteinte à la vie privée de l'enfant n'est pas excessive", notamment au regard de la convention européenne des droits de l'homme. La cour d'appel examine donc la situation concrète d'une petite fille de cinq ans, qui connaît son histoire, celle de son père, et qui est élevée dans son souvenir. Elle parvient à la conclusion que "la construction identitaire de (l'enfant), qui a commencé dès sa naissance, repose ainsi (...) sur deux branches paternelle et maternelle, l'existence de la première n'ayant jamais été contestée au sein de son entourage et étant au contraire fortement encouragée, de sorte que la nier et l'en exclure pourrait s'avérer psychologiquement préjudiciable". Elle décide donc d'écarter les conséquences de l'article 2141-2 du code de la santé publique interdisant la procréation post mortem. Elle s'appuie, pour cela, sur la convention sur les droits de l'enfant de 1989 qui impose de prendre toute décision le concernant en fonction de son "intérêt supérieur". Traité international, la convention est évidemment supérieur à la loi. En l'espèce, la cour d'appel précise que le couple ayant déjà eu fils aujourd'hui adolescent, et qu'il serait préjudiciable à l'enfant qu'issue du même patrimoine génétique, elle ne puisse porter le même nom que son frère.
La solution est comparable dans le contentieux successoral. La cour d'appel énonce de la même manière que l'exclusion de l'enfant de la succession affecte sa vie privée de manière disproportionnée "en lui signifiant une place différente au sein de la fratrie malgré une histoire commune entre les deux soeurs et un quotidien partagé, en la privant d'une pleine et entière reconnaissance des droits issus d'une filiation non contestée, et portant en germe une atteinte à l'équilibre familial dans ses dimensions symbolique, psychologique, affective et matérielle".
Ces deux décisions témoignent d'une heureuse utilisation du contrôle de proportionnalité. On peut néanmoins s'interroger sur le rôle que remplit la notion d'intérêt supérieur de l'enfant qui sert finalement à écarter les conséquences néfastes d'une loi absurde. Le législateur de 2021 s'est montré parfaitement incohérent. D'un côté, il autorise les femmes seules à recourir à l'AMP, reconnaissant ainsi la possibilité d'un projet parental solitaire. L'évolution semblait logique si l'on considère que, sans AMP, il est toujours possible à une femme seule d'avoir un enfant. Mais de l'autre côté, ce même législateur de 2021 interdit à une veuve d'utiliser les gamètes de son mari qui ont pourtant été conservés avec son consentement à une procréation post mortem. Le projet parental existait donc. On se demande donc si ce n'est pas le législateur qui s'est ingéré de manière excessive dans la vie privée des personnes, en décidant de détruire ce projet. Le juge fait aujourd'hui ce qu'il peut pour écarter les conséquences nuisibles de cette législation, mais la meilleure solution serait tout de même de la modifier.
La procréation post mortem : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 7, section 3 § 2 B
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