Le Conseil constitutionnel a pour mission d'apprécier la conformité de la loi à la Constitution. Si la nécessité d'un contrôle de constitutionnalité n'est guère contestée, force est de constater que la manière dont il s'exerce est bien peu satisfaisante. Il est évidemment normal que ses décisions ne fassent pas l'unanimité, d'autant que les recours devant le Conseil s'inscrivent généralement dans débat politique. En revanche, son respect des procédures et du principe d'impartialité devrait faire l'unanimité, tant il est important qu'un juge constitutionnel inspire la confiance.
Or, le Conseil constitutionnel semble bien peu se soucier de règles qui sont pourtant fondamentales dans le droit positif, au point qu'elles constituent une sorte de droit processuel applicable à l'ensemble des juridictions. Or le Conseil s'en libère aujourd'hui à sa guise, et se comporte comme si elles n'existaient pas.
Le déport de Philippe Bas
L'exemple tout récent de la décision du 12 juin 2025 sur la lutte contre le narcotrafic illustre cette dérive. Les lecteurs qui ont eu le courage de la lire jusqu'à la dernière page, la page 109, peuvent voir qu'elle s'achève par la mention traditionnelle qui donne la liste des membres ayant délibéré :
On apprend ainsi que Philippe Bas a siégé et délibéré, ce qui signifie qu'il ne s'est pas déporté. Or ce texte est le produit d'une proposition de loi sénatoriale et le sénateur Philippe Bas (LR) lui a apporté son soutien actif, notamment au sein de la commission des lois dont il était membre, jusqu'à sa nomination au Conseil constitutionnel le 8 mars.
L'article 14 du règlement intérieur du Conseil constitutionnel pour les décisions de conformité à la constitution prévoit pourtant que tout membre "qui estime devoir s'abstenir de siéger en informe le président". Ces dispositions sont reprises mot pour mot dans l'article 4 du règlement intérieur relatif aux questions prioritaires de constitutionnalité. La formule est intéressante, car l'abstention est présentée comme relevant de la conscience du membre du Conseil.
Toutes les juridictions se voient imposer ce type de contraintes. S'agissant des juges judiciaires, le recueil des obligations déontologiques mentionnent qu'un magistrat doit se déporter si ses engagement privés interfèrent avec l'affaire qu'il a à juger, ou si celle-ci implique un de ses proches. Les mêmes dispositions s'appliquent aux juges administratifs et figurent dans la charte de déontologie, dans le but de prévenir les conflits d'intérêts. D'une manière plus générale, il s'agit aussi d'éviter ce qui pourrait constituer une cause de récusation. Dans tous les cas, des déontologues ou des collèges de déontologues ont pour fonction d'aider la juridiction à éviter ce type de situation.
Mais où est le déontologue du Conseil constitutionnel ? Il n'y en a pas, et de fait personne n'avait pour mission de souffler à Philippe Bas qu'il aurait dû se déporter dans la loi sur le narcotrafic. On observe d'ailleurs que des membres du Conseil décident relativement fréquemment de s'abstenir de siéger.
Les Indégivrables. Xavier Gorce. 2019
Le quorum dans la décision Fillon
Souvenons-nous de la décision rendue sur QPC le 28 septembre 2023. Le nom du requérant, même anonymisé, M. François F. avait suscité l'intérêt des médias, d'autant que Nicolas S. et Thierry H. ont déposé des observations en intervention. Il s'agissait alors de contester l'article 385 du code de procédure pénale relatif à la purge des nullités en matière correctionnelle. Si on lit les dernières lignes du dispositif, comme on l'a fait pour celle du 12 juin 2025, on trouve la formulation suivante :
"Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 septembre 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD et Michel PINAULT".
On compte et on recompte, mais ils n'étaient que six. Manquaient à l'appel Alain Juppé, François Pillet et François Seners. Tous s'étaient déportés parce qu'ils avaient entretenu des liens avec François F. Alain Juppé avait exercé à trois reprises des fonctions ministérielles alors qu'il était Premier ministre, François Seners était membre de son cabinet en 2009. Quant au sénateur François Pillet, il avait activement soutenu la candidature de François F. aux primaires de 2016, en vue de l'élection présidentielle de 2017. Autant dire que tous avaient effectivement de sérieuses raisons de se déporter.
Mais voilà, ils n'étaient que six, chiffre qui entraîne une violation de l'article 14 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique ainsi rédigé :
"Les décisions et les avis du Conseil constitutionnel sont rendus par sept conseillers au moins, sauf cas de force majeure dûment constatée au procès-verbal".
La décision QPC du 23 septembre 2023 a donc été rendue, alors que les membres du Conseil n'avaient pas le quorum indispensable pour rendre une décision. Aucune justification d'un cas de force majeure n'était avancée pour justifier une telle situation. Mais personne n'a rien dit, puisqu'aucune juridiction ne juge des décisions du Conseil et qu'aucun déontologue n'est appelé à intervenir.
Le principe d'impartialité est ainsi très malmené par ceux qui ne se déportent pas. Rappelons en effet que la Cour européenne des droits de l'homme a imposé un principe dit d'"impartialité objective", ce qui signifie que la juridiction ne doit pas seulement être impartiale. Elle doit d'abord avoir l'apparence de l'impartialité, afin d'inspirer la confiance. Or, devant le Conseil, la constitutionnalité d'une loi peut être votée par ceux-là mêmes qui l'ont votée...
Le plus surprenant dans cette situation est que la politisation des nominations au Conseil devrait entraîner un accroissement des déports, les membres du Conseil ayant tous un passé politique. Mais si les membres sont plus de trois à se déporter, le quorum n'est pas atteint, ce qui conduit à une autre irrégularité. Cette anomalie constitue à l'évidence l'un des inconvénients, parmi d'autres, de la nomination devenue systématique de personnalités politiques au Conseil constitutionnel.
On pourrait évidemment considérer, comme manifestement le fait le Conseil constitutionnel, que ces irrégularités n'ont aucune importance, puisqu'elles ne sont jamais sanctionnées. Mais c'est tout de même un raisonnement étrange de la part d'une juridiction qui est précisément là pour protéger l'État de droit, et qui ne respecte même pas ses propres règles.
L'impartialité Conseil constitutionnel : chapitre 3, section 2 § 1 A Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier,
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