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samedi 21 juin 2025

Justice des mineurs : la loi Attal "éparpillée façon puzzle"


Après passage devant le Conseil constitutionnel, et sa décision du 19 juin 2025 , que reste-t-il de la proposition de loi déposée par Gabriel Attal (Ensemble pour la République) "visant à renforcer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents"? Cinq articles, les plus essentiels du texte, sont en effet déclarés inconstitutionnels.

 

Les causes du désastre 

 

L'origine d'un tel désastre n'est pas unique.

On peut évidemment évoquer la rédaction du texte, élaboré sans aucune analyse juridique préalable. Il s'agit en effet d'une proposition de loi, délibérée sans avis du Conseil d'État et sans étude d'impact. Tout au plus peut-on observer que, dans  un avis au Parlement du 21 novembre 2024, la Défenseure des droits avait considéré que la proposition de loi, en rapprochant le traitement pénal des mineurs de celui des majeurs, risquait d'être déclarée inconstitutionnelle. Sa conformité au principe fondamental d'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs lui semblait pour le moins douteuse. Mais le militantisme de la Défenseure des droits nuit à sa crédibilité, quand bien même il lui arrive d'avoir raison.

La sanction du Conseil était donc prévisible, mais cela ne signifie pas que la cause de ce naufrage législatif ne réside pas, aussi, dans une jurisprudence constitutionnelle dépourvue de nuance. Si l'on écarte le cas de l'article 15, annulé comme cavalier législatif, la décision repose sur un seul motif juridique : la conformité, ou la non conformité au principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR) d'adaptation de la réponse pénale à la situation des mineurs.

 



Agrippine et l'ancêtre. Claire Brétécher. 1998

 

 

Le PFLR

 

Ce PFLR impose "l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge et la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité. Ces mesures doivent être prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées". Consacré dans la décision du 29 août 2002, il a été réaffirmé dans trois décisions de 2011, le 10 mars, le 8 juillet et le 4 août.

Ce principe s'inscrit dans la définition du PFLR. Depuis la célèbre décision du 16 juillet 1971, la jurisprudence s'est affinée, et trois critères cumulatifs sont désormais exigés pour définir un PFLR. Le premier réside dans le fait que le PFLR doit concerner les libertés, et il est rempli en l'espèce puisqu'il s'agit de définir les conditions de jugement et les peines applicables aux mineurs. Le second exige en que le principe consacré trouve son origine dans une loi républicaine antérieure à 1946. La justice des mineurs a été initiée par la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, complétée ensuite par la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et enfin l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante, aujourd'hui codifiée dans le code de la justice pénale des mineurs. Le troisième et dernier critère impose que l'application de cette législation n'ait jamais été interrompue, et il est exact que cette justice pénale des mineurs est toujours demeurée en vigueur, même si l'ordonnance de 1945 fut l'un des textes les plus modifiés depuis 1945.

Dans sa décision du 19 juin 2025, le Conseil n'utilise que ce mode de contrôle et toutes les dispositions censurées, à l'exception du cavalier législatif déjà évoqué, le sont pour non-conformité à ce PFLR. On y trouve toutes les dispositions les plus importantes de la loi Attal.

 

Les dispositions annulées

 

Est sanctionnée sur ce fondement la mise en place d'une comparution immédiate pour les mineurs de 16 ans et plus déjà connus de la justice ayant commis une infraction punie de plus de 3 ans d'emprisonnement. Sur ce point, on pourrait se demander si le Conseil n'aurait pas pu trouver un autre fondement, notamment le principe de lisibilité de la loi. Celui-ci ne concerne pas la comparution immédiate en tant que telle, mais plutôt la notion mineur "déjà connu de la justice", tant il est vrai qu'il existe une grosse différence entre le mineur qui fait l'objet d'un rappel à la loi pour une petite infraction et celui qui est un multirécidiviste. 

Précisément, pour les récidivistes de 16 ans et plus, le Conseil sanctionne la disposition qui inverse le régime juridique d'atténuation des peines, disposition improprement qualifiée d'"excuse de minorité", car elle n'implique aucune excuse. La peine est allégée, mais la culpabilité n'est pas modifiée. La loi Attal prévoyait une inversion du régime en faisant de l'atténuation des peines l'exception et non plus le principe. Cette fois, le PFLR trouve à s'appliquer facilement, dans la mesure où il s'agit finalement de supprimer de fait la justice des mineurs dans ce cas précis. 

Enfin, sont également annulés sur ce fondement les articles qui prévoyaient l'élargissement des  possibilités de recours à une audience unique, l'allongement de la durée de la détention provisoire à un an pour les mineurs de plus de 16 ans poursuivis pour certains délits et crimes à caractère terroriste ou commis en bande organisée et enfin la possibilité de placer en rétention un mineur n'ayant pas respecté une mesure éducative judiciaire provisoire (MEJP).

La lecture de la décision laisse une impression de malaise, tout simplement parce que le PFLR, protecteur de la justice des mineurs, est invoqué pour toutes les dispositions contestées, sans grande nuance et sans beaucoup de justifications. On peut se demander si le législateur n'aurait pas dû adopter une position plus franche, déclarant que les plus de 16 ans, récidivistes ou même non récidivistes, relèveront désormais de la justice des majeurs. 

On peut aussi s'interroger, évidemment, sur la position du Conseil qui va directement à l'encontre d'une loi votée par le parlement, en s'appuyant sur un PFLR auquel on peut faire dire beaucoup de choses. N'est-il pas possible de l'invoquer systématiquement pour empêcher toute modification du code de la justice des mineurs ? On se trouve alors dans la situation la plus mauvaise pour tout le monde d'un affrontement direct entre le parlement et le Conseil. Or, les dernières nominations au Conseil lui ont fait beaucoup de mal et les opposants au contrôle de constitutionnalité se manifestent désormais ouvertement, voire demandent sa suppression. Il faut bien reconnaître que la décision du 19 juin 2025 leur donne du grain à moudre. C'est bien dommage car la qualité catastrophique du travail législatif actuel rend indispensable un contrôle.

 

Les PFLR : chapitre 3, section 2 § 2 A  Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier 

 

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