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vendredi 11 août 2023

La dissolution des Soulèvements de la terre suspendue en référé


Les juges de référés du Conseil d'État, par une ordonnance du 11 août 2023, suspendent le décret du 21 juin 2023 portant dissolution du groupement de fait "Les Soulèvements de la Terre" (SLT). L'affaire avait été largement médiatisée, les actions du "collectif" ayant été mises en cause par le ministère de l'Intérieur lors des manifestations des 25 et 26 mars 2023, à Sainte Soline. Devant le juge, SLT a été rejoint par une bonne vingtaine de syndicats et d'associations, dont la Ligue des droits de l'homme. C'est, à l'évidence, cette médiatisation qui est à l'origine du choix du Conseil d'État de privilégier la formation collégiale à l'habituel juge unique, compétent en matière de référé.

 

Un référé- suspension

 

Observons qu'en l'espèce, les groupements requérants n'ont pas engagé un référé-liberté mais un référé-suspension, sur le fondement de l'article L 521-1 du code de la justice administrative. Dans l'ignorance des détails du dossier, il est difficile de donner des motifs certains de ce choix. Tout au plus peut-on constater, de manière très générale, que le référé suspension peut se révéler plus intéressant pour les requérants.

La brièveté du délai imparti au juge pour statuer en matière de référé-liberté pourrait sembler séduisant. Il est en effet de 48 h, mais force est de constater que son dépassement n'a pas grande conséquence et que ce dépassement, au milieu des vacances était assez probable. Cette brièveté du délai impose, en outre, au requérant, de démontrer l'urgence extrême de son action, car il s'agit de s'opposer à une atteinte à une liberté, dotée d'un effet immédiat. De même doit-il prouver une "atteinte grave et manifestement illégale" à la liberté en cause. Cela signifie que une simple absence de certitude sur le caractère grave et manifestement illégal ne permet pas au juge de conclure à une illégalité de nature à justifier la suspension. 

Dans le cas du référé-suspension, le délai imparti au juge est moins précis, mais il statue généralement dans le mois ou les six semaines qui suivent la demande. L'avantage toutefois réside dans le fait que la suspension est prononcée "lorsque l'urgence le justifie", et lorsque le requérant invoque un moyen de nature à créer un "doute sérieux" quant à la légalité de la décision. Alors que le doute empêche la suspension en matière de référé-liberté, il entraine la suspension dans le cas du référé de l'article L 521-1 du code de justice administrative. 

C'est d'ailleurs ce choix du référé-suspension qui explique la réaction du ministre de l'Intérieur. Il estime en effet que rien n'est joué tant que le Conseil d'État n'aura pas statué au fond sur le décret de dissolution. La demande de référé-suspension ne saurait intervenir en effet que si un recours pour excès de pouvoir a été déposé.

 


 Rebel rebel. David Bowie. Wembley Stadium. Londres, 1985

 

La condition d'urgence


En l'espèce, la condition d'urgence est facilement remplie. Il est clair que la dissolution des "Soulèvements de la terre" porte atteinte à la liberté d'association. Sur ce point, l'argument selon lequel il s'agirait d'un simple collectif, groupement de fait, n'est pas pertinent. En effet, l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue la loi du 24 août 2021, permet la dissolution, par décret en conseil des ministres, des "associations ou groupements de fait" remplissant certaines conditions.

Il n'en demeure pas moins que, s'agissant d'un groupement de fait, la preuve de l'existence des conditions de fond justifiant la dissolution est moins facile à apporter. Il est en effet difficile de démontrer que ce groupement de fait a commis des actes distincts des mouvements qui s'en déclarent membres et qui, à eux seuls, justifient une mesure aussi sévère que la dissolution. De manière très évidente, il est plus facile de dissoudre une association déclarée qu'une nébuleuse opaque de mouvements eux-mêmes opaques.

 

Les motifs

 

En l'espèce, le décret de dissolution est très longuement motivé, mais cela ne signifie que cette motivation soit clairement rédigée. Le ministre de l'Intérieur reproche d'abord aux SDT de "provoquer à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens", mais les juges de référé constatent que le dossier versé à l'audience ne fait pas état de violences à l'encontre des personnes. Ils constatent toutefois qu'il y a effectivement eu des violences à l'égard des biens, mais qu'elles n'ont existé "qu'en nombre limité" et qu'elles ne s'analysent pas comme des provocations à des agissements de nature à troubler gravement l'ordre public.

C'est peut-être sur ce point que le ministre de l'Intérieur peut conserver un espoir de rejet du recours pour excès de pouvoir par les juges du fond. Car le juge des référés énonce que les actions promues par le groupement "se sont inscrites dans les prises de position de ce collectif en faveur d’initiatives de désobéissance civile et de « désarmement » de dispositifs portant atteinte à l’environnement". Certes, et les mouvements requérants se réjouissent aujourd'hui d'une formulation qu'ils présentent comme la reconnaissance juridique de la désobéissance civile. Le juge des référés considérerait donc que la désobéissance civile justifierait la violence, au moins modérée.

 

Le dialogue des juges

 

Cette analyse sera-t-elle validée par le juge du fond ? Ce côté quelque peu provocateur de la décision ne pourrait-il être considéré comme une porte discrètement ouverte aux juges du fond ? Cette pensée doit traverser l'esprit des commentateurs, surtout si l'on considère que le juge des référés aurait tout simplement pu reprendre son analyse développée dans une ordonnance du 16 mai 2022. Il avait alors suspendu l’arrêté de dissolution du « groupement antifasciste Lyon et ses environs » pris sur le fondement de cette même loi de 2021. Ce mouvement s’était en effet borné à relayer des appels à la violence sur les réseaux sociaux, sans qu’il soit démontré que ses dirigeants étaient à l’origine de ces appels. 

A dire vrai, la situation des SDT n'est guère différente. S'il est vrai que de nombreuses armes ont été saisies à Sainte-Soline et que de graves violences se sont déroulées, ces actions étaient le fait des membres des groupements ayant appelé au rassemblement, dans leur globalité et leur opacité. Les SDT sont-ils à l'origine des violences ou n'ont-ils fait que relayer les appels à la violence ? En refusant cette solution simple, le juge des référés laisse une grande marge d'appréciation au juge du fond. A ce stade, il est évidemment impossible de faire le moindre pronostic en ce domaine. Tout au plus peut-on observer qu'une marge d'appréciation demeure ouverte. Quand le Conseil d'État protège la compétence du Conseil d'État... 


La dissolution des associations: Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12 section 2 § 1 B



4 commentaires:

  1. Sans vouloir faire de la provocation, je signale tout de même qu'on peut s'interroger sur la dénomination de ce mouvement. Il laisse en effet entendre que l'émeute et les manifestations musclées font partie de son ADN. On me dira que c'est insuffisant. Mais significatif tout de même d'un certain état d'esprit.

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  2. Avec cette décision "provisoire", le Conseil d'état se montre sous son vrai jour : juridiction d'exception, juridiction d'opportunité, juridiction de l'approximation.

    - Le critère de l'urgence est le critère le plus subjectif qui soit dans le cadre d'une procédure de référé. On peut l'interpréter à sa guise en fonction de l'air du temps, de la pression médiatique ou de la pression de l'exécutif en fonction des sujets traités.

    - Le critère de la motivation l'est aussi, si ce n'est plus. Sur certains sujets (comme le cas d'espèce et les problèmes sociétaux), le Palais-Royal se montre très à l'écoute des groupes de pression, y compris les plus radicaux (SDT, LDH...) comme le relève le commentaire précédant. Les rapports de la Préfète sur cette manifestation interdite fournissent un éclairage tout à fait différent de celui mis en avant par des membres du Conseil d'état. On croit rêver en lisant ce morceau de bravoure juridico-factuel. Par contre, sur d'autres sujets plus sensibles pour l'exécutif (sanctions administratives, protection du secret-défense...), le Conseil d'état fait une confiance illimitée aux arguments (souvent risibles) des mémoires indigents de l'Administration. Pourquoi ce traitement à géométrie variable inexplicable ?

    Tant que le Conseil d'état ne sera pas profondément réformé, voir dissout, nous aurons droit encore à de franches rigolades.

    PM: rappelons que l'ex-président de cette noble institution a continué à exercer son mandat alors qu'il était mis en examen pour complicité de harcèlement moral dans une affaire touchant à ses précédentes fonctions (il y a eu mort d'homme). Et pour éviter qu'il ne s'ennuie durant sa retraite, il a hérité de la direction de la CADA et d'une haute fonction dans les états généraux de l'information. Et , nous nous permettons de donner de donner des leçons de droit de l'homme et de démocratie à certains états du Sahel ! Balayons devant notre porte ... Nous serons moins la risée de la "communauté internationale".

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    1. Il est certain que cette manière de "relativiser" la violence de ce mouvement que l'on a pu constater lors de différentes manifestations est assez interpellante...

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  3. Dans la lignée du commentaire précédent, nous recommandons à vos "followers" la lecture de trois articles parus dans Le Canard enchaîné du 16 août 2023 : "Elisabeth Borne, conseillère d'Etat" (page 2) et "Pour le Conseil d'Etat, Darmanin dissout comme une bourrique" et "Un ministre fort bien conseillé" (page 3). Ils se passent de commentaires.

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