Le juge des référés du Conseil d'État met fin, dans une ordonnance du 24 mai 2023 M. X et Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), aux incertitudes qui pouvaient encore exister sur la légalité du recours aux drones en matière de police administrative. Il refuse de suspendre le décret du 19 avril 2023 relatif à la mise en oeuvre de traitements d'images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative. Ce texte a été pris sur le fondement de la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure qui autorise les services de la police et de la gendarmerie nationales à recourir à la captation d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, drones, hélicoptères, ballons captifs.
Les précédents jugements
Alors même que le décret d'avril 2023 est très récent, l'ordonnance du juge des référés du Conseil d'État n'est pas la première décision de justice visant à contester l'usage des drones, notamment lorsqu'ils sont utilisés pour surveiller les manifestations. La suspension d'arrêtés préfectoraux autorisant leur utilisation avait déjà été demandée devant le juge des référés de différents tribunaux administratifs, notamment à Paris, Lyon et Bordeaux le 1er mai 2023. Tous avaient refusé la suspension. En revanche, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen avait suspendu un arrêté préfectoral autorisant l'usage des drones au Havre, mais dans la seule mesure où l'arrêté couvrait une période de huit heures après le début du cortège.
L'ordonnance du Conseil d'État n'est pas en contradiction avec celles préalablement rendues par les juges des tribunaux administratifs. Au contraire, elle vient conforter la position de l'ensemble des juges saisis dans ce domaine. Après une période durant laquelle l'usage des drones, en matière de police administrative, n'était pas prévue ni encadrée par le droit, ils prennent acte de la création d'un véritable fondement juridique à cette pratique.
Le précédent de 2020
Il y a eu une époque, pas si lointaine, où le drone était l'objet d'une sorte d'improvisation juridique. En 2020, les forces de police avaient utilisé à Paris quatre drones pour repérer les rassemblements de personnes, dans un contexte de sortie progressive du confinement lié à la crise sanitaire. Les images captées étaient transmises à un centre de commandement, qui décidait de la conduite à tenir, soit ne rien faire, soit utiliser le haut-parleur intégré au drone pour diffuser un message de mise en garde aux personnes présentes sur le site, soit envoyer des agents susceptibles de verbaliser.
Le juge des référés du Conseil d'État, dans une ordonnance du 18 mai 2020, avait suspendu l'arrêté préfectoral autorisant un tel usage des drones. Sa décision ne reposait pas sur une opposition de font à cette technologie en matière de gestion des rassemblements, mais bien davantage sur l'absence de garanties offertes aux personnes dont l'image était ainsi captée. Aucun dispositif ne garantissait en effet que le drone volait suffisamment haut pour empêcher l'identification des personnes. Or, s'il volait bas pour précisément capter des images identifiantes, il violait le Règlement général de protection des données (RGPD), puisque l'avis préalable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) n'avait pas été demandé.
Les garanties apportées par la loi
Depuis lors, la loi du 24 janvier 2022 est intervenue, et elle définit le socle juridique sur lequel repose l'usage des drones. L'article L 242-2 du code de la sécurité intérieure (csi) précise que les images captées ne peuvent être visionnées que pendant la durée strictement nécessaire à l'intervention. De même est-il prévu, dans l'article L 242-4 csi que ces dispositifs ne peuvent "ni procéder à la captation du son,
ni comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale". Les images ainsi recueillies ne peuvent faire l'objet d'aucune interconnexion avec un autre traitement automatisé. Le décret du 19 avril 2023, celui-là même dont il est demandé la suspension, définit concrètement comment ces garanties sont mises en oeuvres.
Certes, mais elles peuvent être considérées comme insuffisantes et c'est précisément la thèse que soutiennent les requérants. Ils reprochent ainsi au dispositif juridique de ne pas comporter la doctrine d'emploi des drones, c'est-à-dire les situations précises dans lesquelles les drones peuvent être utilisés. De même déplorent-ils qu'il ne soit mentionné nulle part que l'usage des drones s'arrête au domicile des personnes et que le dispositif d'information du public ne soit pas détaillé.
La décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2022
Les garanties apportées à l'usage des drones en matière de police administrative ont pourtant été jugées suffisantes par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 janvier 2022. Il constate que le législateur a dressé une liste précise des finalités d'ordre public qui justifient l'utilisation des drones, notamment lorsque la sécurité des personnes et des biens est particulièrement exposée à des risques de commission de certaines infractions, ou pour protéger des bâtiments publics de tentatives d'intrusion ou de dégradation. S'y ajoutent la menace terroristes et la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique. Cette dernière finalité est évidemment la plus contestée au nom d'une liberté de manifestation actuellement souvent revendiquée comme absolue. Quoi qu'il en soit, cette liste est considérée comme satisfaisante par le Conseil constitutionnel. De la même manière, il note que l'autorisation préfectorale non seulement détermine cette finalité mais précise aussi le nombre de dispositifs utilisés ainsi que la durée de leur usage.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conforme à la Constitution les dispositions législatives autorisant l'usage des drones en matière de police administrative. Dans de telles questions, il était évident que le référé déposé par les requérants demandant la suspension du décret d'application de la loi de 2022 avait peu de chances de prospérer. Sans doute ont-ils pensé que les juges administratifs, qui se sont montrés très protecteurs de la liberté de manifestation en suspendant récemment bon nombre d'arrêtés d'interdiction, continueraient en quelque sorte sur leur lancée, dans une sorte de grand élan protecteur de la liberté de manifester. Mais le Conseil d'État, même en référé, n'est pas aussi enclin que les tribunaux administratifs à adopter des décisions de combat. Surtout, l'ordonnance rendue le 24 mai 2023 ne prive le Conseil d'État d'aucune de ses prérogatives. Il lui appartiendra en effet d'apprécier, au cas par cas, la légalité des arrêtés préfectoraux autorisant l'usage des drones, et de construire une jurisprudence dans ce domaine. Il ne fait aucun doute que les requérants habituels, et notamment l'association ADELICO, l'aideront dans cette mission.
Le problème est que l'on peut bien assortir les textes de ce type de garanties, on s'aperçoit qu'au cours du temps celles-ci s'amenuisent progressivement. Les textes voient leur champ d'application étendu et les conditions prévues initialement disparaître. Cela me fait penser à la fable de la grenouille que l'on ébouillante petit à petit et qui finit belle et bien cuite...
RépondreSupprimerLa France est le pays des grands principes généreux en matière de protection des libertés publiques mais surtout celui des exceptions mesquines qui, au fil fu temps, vide le principe de sa substance. Avec un Conseil d'état, qui cumule les fonctions de conseil et de juge de l'Administration, la chose est aisée pour le pouvoir exécutif qui dispose d'un privilège de droit et de juridiction.
RépondreSupprimerCela pose aussi la question du contenu flou des normes adoptées par le Parlement qui nécessite moultes interventions ultérieures pour en préciser le champ d'application. Un mal bien français : un problème, une loi.
Pour toutes ces raisons, un doute sérieux pèse sur la logique de ces ordonnances rendues par les membres du Palais-Royal dont certains ont l'échine souple. Une fois encore, sans une réflexion en profondeur sur la mise en oeuvre de l'état de droit dans l'Hexagone, les citoyens n'auront confiance ni en leurs dirigeants ni dans les organismes de contrôle : juridictionnels, autorités administratives indépendantes ... Vaste programme pour Jupiter qui évoque le lancement d'une réforme des institutions !