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dimanche 20 novembre 2022

On a l'âge de ses gamètes, dit le Conseil d'État


Dans une ordonnance du 27 octobre 2022, le juge des référés du Conseil d'État refuse d'autoriser l'exportation des gamètes de la requérante, Mme A., vers l'Espagne, pays qui ne connaît aucune limite d'âge en matière d'assistance à la procréation. Le Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS) a écarté sa demande, au motif qu'elle a passé l'âge de quarante-cinq ans, au-delà duquel le droit français interdit le recours à l'assistance médicale à la procréation (AMP). C'est ce que confirme le juge des référés, décision qui s'inscrit dans une tradition de réticence du Conseil d'État à l'égard de l'exportation des gamètes.

Aux termes de l'article L 2141-11-1 du code de la santé publique l'exportation de gamètes est soumise à une autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine. Cette procédure ne peut être engagée que dans l'unique but de permettre la poursuite d'un projet parental par la voie d'une AMP. Certes, ce projet parental, longtemps réservé aux couples formés d'un homme et d'une femme, est désormais ouvert aux femmes seules ou en couple. La loi du 2 août 2021 donne ainsi une définition du couple un peu modernisée, même si les couples homosexuels masculins sont encore exclus de l'AMP. 

La condition d'âge, en revanche, n'a pas évolué. Sur ce point, le droit positif n'a fixé un âge limite que tout récemment par la voie réglementaire.

 

De la voie prétorienne au pouvoir réglementaire


En ce qui concerne les hommes, la limite d'âge a longtemps été purement prétorienne. Dans une décision du 17 avril 2019, le Conseil d'Etat fixait à 59 ans révolus "l'âge de procréer", lorsqu'un homme utilise une technique d'assistance médicale. En l'espèce, le couple requérant, M. et Mme C. souhaitait utiliser les gamètes congelés du mari prélevés entre 2008 et 2010, alors qu'il avait 61 et 63 ans. En 2016, alors que M. C. a désormais 68 ans, et conformément à la procédure imposée par l'article L 2141-11-1 du code de la santé publique, ils demandent l'autorisation de les transférer vers une clinique espagnole. Dans sa décision, le Conseil d'Etat considère que l'âge de procréer pour un homme doit être fixé à 59 ans, âge du recueil des gamètes. Autrement dit, il faut avoir moins de 59 ans révolus au moment du don de sperme et non pas au moment de l'insémination.

Pourquoi 59 ans, et pas 58 ou 60 ? Le Conseil d'État se fondait à l'époque sur un avis rendu, le 8 juin 2017, par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, qui d'ailleurs ne fixe pas d'âge-limite précis, mais se borne à insister sur les dangers que représente la procréation tardive pour le développement physique et psychique de l'enfant. Le Conseil d'État en déduisait un âge limite, qui ne reposait donc sur aucun texte doté d'une valeur juridique. Il se bornait à reprendre à son compte l'opinion d'une instance consultative. 

Pour les femmes, la situation était à peine plus claire. Dans un premier temps, par une décision du 11 mars 2005 de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, le Conseil d'État avait estimé que la prise en charge de la fécondation in vitro s’interrompait au jour du 43e anniversaire. L'analyse reposait sur l'idée qu'une AMP réussit de plus en plus difficilement lorsque l'âge de la femme augmente. De fait, son coût devient aussi plus élevé, et le Conseil estimait alors que le bilan financier de l'opération était négatif. 

Aujourd'hui, la limite d'âge, tant pour l'homme que pour la femme, est fixée par un arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de l'Agence de la biomédecine. L'article R. 2141-38 du code de la santé publique, issu du décret du 28 septembre 2021 énonce donc que l'AMP peut être réalisée "jusqu'à son quarante-cinquième anniversaire chez la femme, non mariée ou au sein du couple, qui a vocation à porter l'enfant (...)", et "Jusqu'à son soixantième anniversaire chez le membre du couple qui n'a pas vocation à porter l'enfant". Cette seconde rédaction tient compte de l'ouverture de l'AMP aux femmes en couple, alignant la limite d'âge de la seconde femme sur celle de l'homme d'un coupe hétérosexuel. Le fait que les gamètes de cette seconde femme ne soient pas utilisées dans l'opération semble sans influence sur le raisonnement du pouvoir réglementaire.

Précisément, cette fixation de l'âge limite par la voie réglementaire pourrait susciter quelques questions. En effet, justifiée ou non, elle entraîne une ingérence dans la vie privée des personnes, ce qui pourrait justifier la compétence législative. 

 

 

Voutch. Avril 2022

 

 

L'absence de consensus européen

 

En l'espèce, il faut bien reconnaître que les moyens développés par la requérante pour contester le refus d'exportation de ses gamètes vers l'Espagne ne sont guère susceptibles d'emporter la conviction du juge des référés. Passons sur l'incompatiblité de l'article R. 2141-38 du code de la santé publique avec la directive du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011. Ce texte porte sur les soins de santé transfrontaliers, et est donc inapplicable en l'espèce. Mme A. n'a aucun lien avec l'Espagne, si ce n'est sa volonté d'y pratiquer une opération d'assistance médicale à la procréation qu'elle ne peut obtenir en France.

La requérante ne peut davantage se fonder sérieusement sur l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui garantit le droit au respect de la vie privée. Depuis, l'arrêt S. H. et a. c. Autriche du 3 novembre 2011, la Cour européenne des droits de l'homme reconnait que le choix de recourir à l'AMP relève de la vie privée et familiale. Mais elle reconnaît volontiers qu'il n'existe pas de consensus entre les États dans ce domaine. Elle se borne donc à sanctionner des pratiques éventuellement attentatoires à la santé de l'enfant à naître. C'est ainsi que dans une décision Costa et Pavan c. Italie de 2012, elle sanctionne un droit italien incohérent qui autorisait l'IVG thérapeutique dans le cas d'un fœtus porteur de la mucoviscidose, mais interdisait l'accès au dépistage génétique préimplantatoire. En dehors de ce type de cas, chaque État demeure libre d'organiser l'AMP comme il l'entend, y compris l'exportation des gamètes vers un État plus compréhensif sur la question de l'âge limite. 
 
 

La clause de sauvegarde : l'insémination post mortem



On note tout de même que le Conseil d'État se réserve une "clause de sauvegarde". Il énonce en effet que cette jurisprudence "ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l'application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention". Il s'agit en effet de tenir compte de sa propre jurisprudence, intervenue dans le cas très particulier de l'insémination post mortem. 
 
Dans une ordonnance du 31 mai 2016, le juge des référés avait, en effet, donné injonction à l'Assistance Publique et à l'Agence de la biomédecine d'exporter vers une clinique espagnole les gamètes du mari décédé d'une jeune femme désirant bénéficier d'une insémination. Il avait alors considéré que l'application stricte de la loi française portait une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante. Se livrant à un examen approfondi de l'affaire, il avait constaté l'existence d'un véritable projet parental entre les deux membres du couple, le mari ayant congelé son sperme avant de subir un traitement médical lourd. Par ailleurs, la jeune veuve était de nationalité espagnole, ce qui montrait que son retour en Espagne n'avait pas pour objet de trouver un système juridique plus favorable à son projet, mais plus simplement de rejoindre sa famille.  

De toute évidence, dans sa décision du 27 octobre 2022, le juge des référés affirme qu'il entend protéger sa jurisprudence de 2016. C'est peut-être l'apport essentiel de cette décision, car le juge s'oppose ainsi indirectement à la loi du 2 août 2021. Bien que s'affirmant libéral, ce nouveau texte sur la bioéthique reste, sur bien des points, très conservateur. Et précisément, le législateur a refusé de modifier la rédaction de l’article L 2141-2 du code de lasanté publique qui affirme que « lorsqu’il s’agit d’un couple », le décès d’un de ses membres « fait obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons »   Pour justifier le refus de l’insémination post‑mortem, le rapporteur du projet, Aurore Bergé, a seulement mentionné qu’une telle pratique n’était pas « éthiquement souhaitable », sans davantage de précision. 
 
De toute évidence, le Conseil d'État n'entend pas se laisser enfermer dans la rigueur de cette disposition. Il entend pouvoir y déroger en se fondant, non pas sur la loi évidemment, mais sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui ingérence dans la vie privée des personnes ne soit pas disproportionnée au regard du but poursuivi. De toute évidence, le débat est loin d'être clos, d'autant que des questions de constitutionnalité se posent également. Le principe d'égalité est en effet malmené par le droit positif. C'est ainsi qu'une femme seule a désormais le droit de se faire inséminer par le sperme d’un donneur anonyme alors qu’une veuve se voit interdire la même opération avec le sperme de son époux décédé. Quant à la femme de 45 ans qui n'a plus droit à l'AMP, elle pourrait bien être tentée par la gestation pour autrui, dans un pays qui autorise la maternité de substitution.
 

L'assistance médicale à la procréation : Chapitre 7 Section 3 § 2  du manuel sur internet

 

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