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vendredi 25 novembre 2022

GPA : Filiation et couple homosexuel


Dans une décision D. B. et autre c. Suisse du 22 novembre 2022, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sanctionne la violation de la vie privée d'un enfant né d'une gestation pour autrui (GPA).  En l'espèce, un couple de même sexe, les deux premiers requérants, sont unis par un contrat de partenariat en Suisse. Il ont eu recours à la GPA en Californie, en utilisant les gamètes de l'un. Un enfant, le troisième requérant, est donc né en 2011. 

 

La contestation du droit suisse

 

Dès la grossesse confirmée, un juge californien avait rendu un jugement déclarant que les deux hommes étaient les parents légaux de l'enfant à naître. Le couple avait donc demandé en Suisse la transcription du jugement américain, afin de permettre l'inscription de l'enfant dans le registre de l'état civil suisse. Mais l'officier d'état civil du canton de Saint-Gall avait refusé de reconnaître le jugement californien, décision qui a évidemment donné lieu à un contentieux. Après un premier rejet du recours par le tribunal administratif cantonal, le tribunal fédéral avait rendu, en 2015, une décision marquée par une certaine rigidité. Dès lors que la GPA est prohibée en Suisse, le tribunal avait refusé en effet de reconnaître tout lien de filiation entre le parent non génétique et l'enfant. Seul le parent qui avait donné ses gamètes pouvait donc se voir reconnaître un lien de filiation en droit suisse, et c'est précisément ce qui est contesté devant la CEDH.

Entre la date du jugement, 2015, et celle de l'arrêt de la CEDH, novembre 2022, le droit suisse a toutefois évolué. Le législateur est intervenu, et, à compter du 1er janvier 2018, le conjoint qui n'avait pas donné ses gamètes a été autorisé à adopter l'enfant, procédure qui, dans le cas des requérants s'est donc achevée par un jugement d'adoption en décembre 2018. Il ne fait aucun doute que cette évolution du droit suisse trouve son origine dans la procédure d'avis consultatif demandé à la Cour européenne par la Cour de cassation française. Certes, l'avis n'était pas rendu au moment de l'évolution du droit suisse, mais son sens était déjà prévisible. Il n'en demeure pas moins que la juge écarte la demande du gouvernement suisse qui souhaitait obtenir que la requête soit radiée du rôle. D'une part, l'ingérence dans la vie privée de l'enfant, privé d'un élément essentiel de sa filiation durant sept ans, a été trop longue pour que l'on puisse considérer qu'il n'a pas subi un préjudice. D'autre, l'affaire présente un intérêt plus large, dès lors qu'il s'agit de statuer sur le lien de filiation, dans le cas d'un couple homosexuel.

 


My heart belongs to Daddy. Marylin Monroe


La jurisprudence Mennesson et les couples hétérosexuels


Dès son arrêt Mennesson du 26 juin 2014, la CEDH déclarait que le fait de ne pas pouvoir obtenir en France une filiation légalement établie aux Etats-Unis violait le droit au respect de la vie privée des enfants. A l'époque, il s'agissait de sanctionner un droit français qui considérait que la non conformité de la GPA à l'ordre public français suffisait à rendre nuls et non avenus tous les actes qui en étaient la conséquence, interdisant de fait toute transcription de la filiation américaine des jumelles Mennesson dans les registres de l'état civil français. Cette décision ne réglait toutefois le problème que très partiellement. De fait, dans le cas d'un couple hétérosexuel comme dans l'affaire Mennesson, seule la filiation paternelle, celle du donneur de gamètes, pouvait désormais figurer dans les registres français, principe auquel la Cour de cassation s'est ralliée, dans une décision du 3 juillet 2015. La filiation maternelle demeurait celle de la mère porteuse.

Le droit a évolué avec l'avis consultatif de la CEDH du 10 avril 2019 qui estime que les enfants nés par GPA ont droit à une filiation maternelle. L'intérêt supérieur de l'enfant est au coeur du raisonnement de la CEDH, intérêt qui doit primer dans toutes les décisions le concernant. Ce principe est rappelé régulièrement par la Cour, en particulier dans sa décision du 27 janvier 2015 Paradiso et Campanelli et il figurait déjà dans la première décision Mennesson. S'il est vrai qu'"il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recours à l'étranger à une méthode de procréation qu'elle prohibe sur son territoire", il n'en demeure pas moins que la non-reconnaissance du lien de filiation ne touche pas seulement les parents, en quelque sorte sanctionnés pour avoir eu recours à la GPA, mais aussi et surtout les enfants. Ces derniers risquent de voir leurs droits successoraux amoindris à l'égard de leur mère d'intention, voire leur relations fragilisées en cas de séparation des époux ou de décès du père. L'absence totale et automatique de lien de filiation avec la mère d'intention n'est donc pas compatible avec l'intérêt de l'enfant.

 

Égalité juridique des couples homosexuels

 

La décision D.B. et autre c Suisse du 22 novembre 2022 place les couples homosexuels dans une situation d'égalité juridique par rapport aux couples hétérosexuels. Ce droit à la filiation maternelle qui avait été consacré par l'avis consultatif de 2019 s'analyse désormais comme un droit à la filiation du second membre du couple homosexuel, celui qui n'a pas de lien génétique avec l'enfant. Qu'il soit un homme ou femme est sans influence sur la résolution du litige, puisque celle-ci repose exclusivement sur l'intérêt de l'enfant né d'une GPA.

En ce qui concerne les modalités concrètes d'établissement du lien de filiation, la CEDH laisse aux États une large part d'autonomie. Elle précise en effet qu'elle sanctionne "l'impossibilité générale et absolue d'obtenir la reconnaissance du lien entre l'enfant et le premier requérant pendant un laps de temps significatif". Mais elle n'interdit pas à l'État d'imposer la procédure d'adoption, en écartant la transcription pure et simple de l'état civil établi à l'étranger.

 

Un droit français inchangé

 

La décision du 22 novembre 2022 met donc les couples homosexuels dans la même situation que les couples hétérosexuels, mais, à dire vrai, le problème spécifique du droit français demeure en l'état. 

En effet, la Cour de cassation, dans trois décisions du 18 décembre 2019, avait fait preuve d'un remarquable libéralisme. Elle affirmait qu'une GPA conforme au droit de l'État où elle avait été réalisée ne faisait pas obstacle à la transcription sur les registres d'état civil français de l'acte de naissance, dans son intégralité. Cela signifiait que cet acte pouvait à la fois désigner le parent biologique et le parent d'intention. Surtout, la transcription devenait possible, écartant la solution peu satisfaisante de l'adoption simple. Cette jurisprudence libérale avait ensuite été confirmée dans deux arrêts du 4 novembre 2020

Mais la loi du 2 août 2021, texte qui a été présenté par le gouvernement de l'époque comme très libéral parce qu'il autorisait l'accès des femmes, seules ou en couple, à l'assistance médicale à la préoccupation, cache d'autres dispositions moins libérales. Parmi celles-ci, une nouvelle rédaction de l'article 47 du code civil, qui précise désormais que la reconnaissance de la filiation est "appréciée au regard de la loi française". La presse n'a guère fait état de cette disposition qui semblait mineure. Elle n'a pas compris le sous-entendu : la reconnaissance de la filiation à l'étranger est appréciée au regard de la loi français, dans la mesure où elle interdit la GPA. En d'autres termes, cette loi a été utilisée pour faire échec à la jurisprudence libérale de la Cour de cassation, et revenir au statu quo ante. Pour les enfants issus d'une GPA, la transcription d'un acte d'état civil étranger se trouve de nouveau limitée au seul parent qui a donné ses gamètes, l'autre ne peut que recourir à la procédure d'adoption. Avec la décision de la CEDH du 22 novembre 2022, les couples homosexuels ont au moins la satisfaction d'apprendre qu'ils sont dans la même galère que les couples hétérosexuels.


La GPA : Chapitre 7 Section 2 § 3 B  du manuel sur internet

2 commentaires:

  1. En dépit de vos efforts pédagogiques méritoires, force est de constater que toutes ces contorsions "juridiques" sont incompréhensibles pour le commun des mortels. Est-ce une surprise pour une juridiction qui fait de moins en moins de droit et de plus en plus de "politique" au sens le plus vil du terme ? Elle sait "abdiquer" devant les Etats quand il le faut (Cf. votre analyse de son arrêt scandaleux du 3 novembre 2022). Pas très glorieux pour le "bijou de famille" du Conseil de l'Europe !

    Au vu de ses turpitudes nombreuses, au regard de l'application (la non-application) de la convention (sa principale mission), ce "machin" mériterait de recevoir le titre de "Cour européenne des violations des droits de l'homme".

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    1. Pour tenter d'exposer plus simplement les "contorsions juridiques" :
      1) La CEDH a dans un premier temps admis qu'il était nécessaire que le parent ayant donné des gamètes à l'enfant, dans le cadre d'une GPA, devait voir son lien de parenté admis par les Etats membres (affaire Menesson).
      2) La CEDH a ensuite rendu son avis de 2019 où elle rappelle l'intérêt supérieur de l'enfant et prescrit d'établir le lien de filiation entre la mère d'intention et l'enfant né d'une procédure de GPA par le biais de la transcription ou de l'adoption.
      3) Dans l'arrêt ici Commenté la CEDH "objectivise" ce qu'elle énonçait dans son avis précédent afin d'élargir à tous les parents n'ayant pas donné leur matériel génétique à l'enfant issu de la GPA, encore une fois sans imposer aux Etats de choix entre adoption et transcription.

      De cela je ne vois aucune "contorsion juridique" mais une évolution somme toute naturelle d'une juridiction libérale qui tâtonne à faire respecter l'intérêt supérieur de l'enfant.
      Si d'aucuns peuvent considérer cette vision du droit trop libérale (parce que oui, le droit a toujours été l'objet d'interprétations et a toujours été un objet politique), il s'agirait d'avancer des arguments plutôt que de construire un Homme de pailles de confusion...

      Le seul élément de contorsion présent dans cette affaire pourrait être la réponse du Gouvernement, lequel semble ne faire que peu de cas de l'intérêt supérieur de l'enfant et lui préférer le respect strictement absurde de la loi Française...

      S'agissant de l'arrêt de la CEDH du 3 novembre 2022, si cet arrêt est particulièrement incompréhensible au vu de sa propre jurisprudence, il s'agirait de se rappeler que ce n'est peut être que cela, un cas isolé qui n'aura pas vocation à perdurer (mais pour cela il faudrait se montrer patient), et il s'agirait de se remémorer des nombreux apports de la CEDH dans le respect par les Etats membres des droits de l'Homme (peut être préfériez vous retourner à l'époque où les avocats étaient exclus des Gardes à Vues?) avant de crier au scandale et de renommer "ce bijou de famille du Conseil de l'Europe" [sic] Cour Européenne "des violations des droits de l'Homme" [sic].

      Une dernière remarque, lorsque l'on est un néophyte du droit, on évite de se prononcer aussi catégoriquement sur la prétendue non-application de la Convention EDH.
      L'ultracrépidarianisme est un tantinet vulgaire.

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