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vendredi 9 septembre 2022

La Cour des comptes au secours des lanceurs d'alerte


La Cour des comptes inaugure, en septembre 2022, une nouvelle plateforme sur son site internet. Elle est directement ouverte aux internautes pour qu'ils puissent signaler les "irrégularités" ou les "dysfonctionnements" dont ils pourraient avoir connaissance en matière de gestion publique. Il s'agit donc de permettre des signalements, y compris anonymes, concernant les institutions publiques contrôlées par la Cour des comptes ou par les Chambres régionales des comptes. Bien entendu, la Cour précise que "tout signalement fera l'objet d'une analyse rigoureuse" et que cette procédure n'est ouverte qu'à celles et ceux qui ont eu "personnellement connaissance" de ces conduites ou situations contraires à l'intérêt général. Cette seconde condition a pour objet d'écarter les dénonciations purement militantes destinées davantage à sensibiliser l'opinion publique à une cause plutôt qu'à sanctionner des violations de la loi.

L'initiative s'inscrit ainsi dans un processus, d'ailleurs très lent, de construction du cadre juridique indispensable à l'activité des lanceurs d'alerte.

 

Le lanceur d'alerte

 

Le lanceur d'alerte est défini, depuis la loi du 21 mars 2022, comme « une personne physique qui révèle ou signale, sans contrepartie financière et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international (…), du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement". Dans tous les cas, le lanceur d’alerte n’est pas un délateur, mais un informateur qui agit, ou au moins croit agir, dans l'intérêt général. Dans un arrêt Soares c. Portugal du 21 juin 2016, la CEDH précise que la bonne foi de l’intéressé constitue l’élément essentiel pour qu’il puisse être qualifié de lanceur d’alerte. 

 

Si la définition du lanceur d'alerte est aujourd'hui à peu près claire, il n'en est pas de même de la procédure qui organise son intervention. Le législateur ne porte qu'un intérêt modeste à son rôle et à sa protection, quand il ne lui met pas franchement des bâtons dans les roues.

 

Un intérêt modeste

 

Des textes ponctuels sont intervenus, n'abordant la question des lanceurs d'alerte qu'indirectement. La loi du 14 novembre 2016 place ainsi les journalistes à l'abri d'éventuelles poursuites pour recel d'une information divulguée par un lanceur d'alerte. Cette disposition, comme d'ailleurs l'essentiel du droit sur le secret des sources, protège toutefois le journaliste, et non pas sa source. Quant à la loi du 30 juillet 2018 mettant en oeuvre la directive "secret des affaires", elle pose une exception à ce secret en faveur des lanceurs d'alertes. Encore faut-il que l'intéressé soit poursuivi pour atteinte à ce secret spécifique et non pas sur un autre fondement. De ces textes éclatés, on ne peut déduire l'existence d'une volonté affirmée de protéger les lanceurs d'alerte et de les mettre à l'abri d'éventuelles représailles.

 


 Sa Majesté a-t-elle bien reçu ma lettre anonyme ?

La Folie des Grandeurs. Gérard Oury. 1971

 

Protéger ou empêcher ? 

 

Les deux lois du 21 mars 2022, une loi ordinaire et une loi organique, ont été présentées comme un pas en avant important, avec enfin une approche globale de l'activité des lanceurs d'alerte. La première vise à "améliorer la protection des lanceurs d'alerte", la seconde à "renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte".

Désormais, les entreprises ou services de plus de cinquante salariés doivent impérativement prévoir, dans leur règlement intérieur, une procédure de signalement. Elle se déroule d’abord devant le supérieur hiérarchique, puis, en cas d’insuccès, devant l'autorité administrative ou judiciaire. Les promoteurs de cette législation ont évidemment insisté sur le fait que le lanceur d'alerte se voyait ainsi offrir la possibilité de s'adresser à un interlocuteur objectif chargé d'assurer sa protection durant la procédure. Certes, mais reconnaissons qu'il faut bien du courage pour signaler une irrégularité à son supérieur hiérarchique. Le risque de représailles, allant du harcèlement au licenciement en passant par la placardisation, est loin d'être exclu.

La réponse du législateur n'est guère de nature à rassurer. La loi du 21 mars 2022 offre en effet une voie alternative, consistant en la saisine du Défenseur des droits, compétent pour recueillir et traiter le signalement. Là encore, la procédure se caractérise par une certaine dérive bureaucratique. C'est ainsi que le Défenseur des droits dispose d'un délai de six mois pour reconnaître la qualité de lanceur d'alerte à l'auteur du signalement, délai qui doit sembler particulièrement long à l'intéressé. De même, a-t-il un rôle d'orientation qui lui impose de renvoyer, si les conditions sont réunies, la plainte à la procédure hiérarchique de droit commun. Les représailles risquent alors d'être particulièrement redoutables.

La plateforme mise en place par la Cour des comptes ne remet pas en cause l'ensemble de ces procédures, car on doit rappeler qu'elle ne concerne que son champ de compétence, c'est-à-dire la gestion publique. Les entreprises ne sont qu'indirectement concernées à travers les contrats qu'elles passent avec les institutions publiques.


L'anonymat

 

Dans ce cadre plus étroit, la plateforme présente toutefois l'avantage de la rapidité, et aussi celui de l'anonymat. La procédure est à rapprocher de celle prévue par l'article 706-58 du code de procédure pénale. Dans l'hypothèse où un témoignage dans une affaire portant sur un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement risque de mettre en danger la vie ou l'intégrité d'une personne, ou des membres de sa famille, le juge des libertés de la détention peut autoriser le procureur ou le juge d'instruction à auditionner un témoin sans que son nom apparaisse dans le dossier.

La situation est évidemment un peu différente, mais la philosophie est identique dans les deux cas. L'anonymat pour objet d'une part de protéger l'intéressé des représailles des auteurs des infractions, d'autre part de permettre que ces derniers soient poursuivis, à l'issue d'une enquête minutieuse. Il ne s'agit pas de délation, mais plus simplement de dénonciation de malfaiteurs. Dans les deux cas, l'identité de l'informateur demeure confidentielle, mais elle n'est pas inconnue des autorités chargées de l'enquête.

La plateforme de la Cour des comptes a donc de bonnes chances de devenir l'instrument privilégié des lanceurs d'alerte, en matière de gestion publique. Ils se sentiront certainement plus en sécurité. On ne peut s'empêcher de penser que les textes du 21 mars 2022 se présentaient comme protecteurs des lanceurs d'alerte de manière purement cosmétique. Leur effet n'est-il pas plutôt de dissuader une démarche visant à dénoncer des infractions "en col blanc" en la réintégrant au coeur de la hiérarchie de l'entreprise ou du service ? La Cour des comptes contourne l'obstacle et offre un nouvel espoir aux lanceurs d'alerte. A l'heure où on s'interroge beaucoup sur les marchés publics passés avec certains cabinets de conseil, l'initiative ne manque pas d'intérêt.



1 commentaire:

  1. En dépit de toutes les précautions prises, on ne peut s'empêcher de penser à la personne injustement dénoncée (par un agent mécontent de son supérieur hiérarchique qui se transforme en lanceur d'alerte) dont la réputation risque d'être ternie à jamais. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.
    Malheureusement, cette procédure peut s'apparenter, à maints égards, au système de la délation pratiquée pendant les heures sombres de notre Histoire. On en connaît les résultats. Des procédures existent, appliquons-les avant de mettre en place de nouvelles usines à gaz !

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