Le 24 juin 2022, la Cour Suprême des États-Unis a rendu un arrêt historique Dobbs v. Jackson Women's Health Organization. Revenant sur la jurisprudence Roe v. Wade du 22 janvier 1973, la Cour affirme que la Constitution américaine ne confère pas un droit à l'IVG, laissant aux États fédérés le choix de leur politique en ce domaine. Et précisément, une douzaine d'entre eux ont déjà décidé d'interdire totalement l'IVG, et la liste risque évidemment de s'allonger dans les mois qui viennent.
Il s'agit, à l'évidence, d'une formidable régression des droits des femmes, sorte d'effet-retard de la présidence Trump qui a pu modifier de façon substantielle la composition de la Cour Suprême, désormais caractérisée par son extrême conservatisme. Certes, mais cette régression se produit aux États-Unis, pas en France.
Les évènements qui affectent les États-Unis semblent pourtant faire l'objet d'une sorte d'acculturation en France, d'intégration d'une menace qui, pourtant, n'existe pas. La NUPES a annoncé ouvrir à la signature de tous les parlementaires, sauf le Rassemblement national, une proposition de loi protégeant l'IVG en l'inscrivant dans la Constitution. Dans la foulée, Aurore Bergé, toute récente présidente du groupe parlementaire Renaissance, a aussi annoncé une proposition en ce sens, initiative soutenue par le groupe "Les femmes avec Macron".
Pourquoi cette agitation ? On n'en voit guère l'objet, si l'on considère que l'IVG ne donne pas réellement lieu à contestation en France, à l'exception de Christine Boutin et de quelques survivants de La Manif pour Tous. Mais ces opposants ouverts à l'IVG n'ont généralement plus de responsabilités politiques. Quant aux partis qui sollicitent les suffrages des Français, ils n'osent pas s'opposer franchement à l'IVG tant ils craignent les conséquences électorales d'une telle position. Même Éric Zemmour, pourtant champion des prises de position sexistes n'a pas osé aller jusqu'à afficher une opposition à l'IVG. Sa carrière politique, à ce stade, semble d'ailleurs quelque peu compromise.
De la tolérance à la liberté
Pour Simone Veil, défendant la loi qui allait prendre son nom en 1974, l'IVG devait « rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue ». A l’époque, il s’agissait de poser un principe de tolérance à l’égard d’une pratique, sans pour autant la consacrer comme une liberté fondamentale, ni même l’encourager. L'objet du texte était, à l'origine, de lutter contre des avortements illégaux mettant en danger la vie des femmes. Dans sa décision du 15 janvier 1975, le Conseil constitutionnel témoignait de la même prudence, se bornant à affirmer que la loi Veil n'était pas contraire à la Constitution, sans pour autant rattacher l'IVG à un droit ou à une liberté constitutionnelle.
A l'époque, le droit américain était plus avancé, car la décision Roe v. Wade rattachait déjà l'IVG à la vie privée de la femme. Mais la dynamique s'est rapidement inversée, avec l'intervention décisive du Conseil constitutionnel. Sa décision du Conseil constitutionnel du 27 juin 2001 marque en effet un tournant. Il énonce en effet que la loi du 4 juillet 2001 qui élargissait alors le délai d'IVG de huit à dix semaines, « n’a pas (…) rompu l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d'une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d'autre part, la liberté de la femme (…) ». Et le Conseil précise que cette liberté de femme trouve son fondement dans l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui consacre la liberté individuelle. Depuis 2001, l'IFG est donc un droit de valeur constitutionnelle.
Tu n'as pas de nom. Anne Sylvestre. 1973
Des lois de protection
Par la suite, l'étendue de ce droit a été précisée, sans jamais que l'IVG soit remise en cause. La loi du 31 décembre 1982 a établi un véritable droit d’obtenir une prestation effective prise en charge par la collectivité. Les réformes plus récentes ont suivi l’évolution des techniques médicales, et notamment de la possibilité de recourir à une IVG par voie médicamenteuse. Elles ont aussi tenu compte de l’évolution des mœurs avec la possibilité désormais offerte à une mineure derecourir à l’IVG sans autorisation parentale, à la condition toutefois qu’elle soit accompagnée d’une « personne majeure de son choix ». Tout récemment encore, la loi du 2 mars 2022 a étendu à quatorze semaines de grossesse la durée légale permettant l'IVG.
La levée des obstacles matériels
De la même manière, des lois spécifiques sont intervenues pour lever les obstacles matériels à l'IVG, afin d'assurer le droit à l'effectivité de la prestation.
La loi du 4 juillet 2001 supprime ainsi le droit dont disposait tout chef de service d’un hôpital public de refuser que des IVG soient effectuées dans son service. Le Conseil constitutionnel considère que cette disposition ne heurte pas liberté de conscience, dès lors que l’intéressé peut faire le choix, purement individuel, de ne pas pratiquer lui-même l’intervention. Il est cependant tenu d'orienter la patiente vers un confrère susceptible de pratiquer l'IVG.
Le délit d'entrave à l'IVG a permis de lutter efficacement contre les opérations de blocage organisées par des opposants qui, le plus souvent, cherchaient à empêcher le fonctionnement des services hospitaliers. Dans un premier temps, la loi du 27 janvier 1993 a créé un délit punissant le fait de perturber l’accès aux établissements qui pratiquent cette intervention ou d’exercer des menaces ou tout acte d’intimidation à l’égard des personnels qui y travaillent ou des femmes qui viennent subir une IVG. La loi du 4 août 2014 a ensuite étendu ce délit à toute action de nature à perturber l’accès des femmes à l’information sur l’intervention.
Ces dispositions manquaient cependant de clarté, et la loi du 20 mars 2017 vise désormais les « pressions morales et psychologiques, menaces ou tout acte d’intimidation » effectués notamment par internet. Dans sa décision du 1ermars 2017, le Conseil constitutionnel déclare ces nouvelles dispositions conformes à la Constitution, et précise même que les sites d'opinion, dont bien entendu les sites anti-IVG, ne doivent pas cacher leur option militante derrière une prétendue neutralité. Sont particulièrement visés les numéros d'appel qui laissent croire aux intéressées qu'elles parlent avec un médecin alors que leur interlocuteur a des compétences plus religieuses que médicales.
Depuis 1974, aucun texte n'est venu porter atteinte au droit à l'IVG, aucune décision du Conseil constitution ne l'a remis en cause. Au contraire, il n'a cessé de progresser en étant toujours plus fermement consacré comme une liberté.
Relancer le débat ?
Alors que le droit à l'IVG a déjà valeur constitutionnelle, quel est l'intérêt de l'intégrer formellement dans la Constitution ? Certes, on voit bien la manoeuvre politique. A l'heure où l'absence de majorité à l'Assemblée pose quelques problèmes au gouvernement, la constitutionnalisation de l'IVG peut être présentée comme un dossier consensuel, peut-être le seul. Enfin, une réforme qui pourrait peut-être arriver à terme sans que sa gestation soit interrompue !
Mais la mise en oeuvre d'une telle réforme risque, au contraire, de se révéler contre-productive, en réveillant un débat éteint. D'autres opposants pourraient apparaître, d'autant que l'on ignore assez largement le profil des nouveaux élus du Rassemblement national, et qu'un lobby catholique relativement actif existe au sein du parlement. A l'extérieur du parlement, quelques débris de la Manif pour Tous risquent aussi de se manifester, ou de manifester comme au bon vieux temps, entre les Invalides et la Place de l'Etoile. On sait que ces opposants à l'IVG sont peu nombreux, mais ils sont capables de faire du bruit en s'appuyant sur des mouvements religieux, un bruit sans rapport avec leur puissance réelle. N'est-ce pas exactement ce qui s'est passé lors du vote de la loi sur l'ouverture du mariage aux couples homosexuels ?
La solution est simple : laisser les Américains résoudre leur problème, de la même manière qu'ils devraient résoudre celui du port d'armes et des personnes qui les utilisent pour tirer sur des enfants, et peut être aussi, pendant qu'ils y sont, résoudre celui de la peine de mort. Ils ont du travail dans le domaine des libertés, mais c'est leur problème, pas le nôtre.
Un travers bien français : créer un problème où il n'en existe pas en adoptant une loi dans la foulée d'une émotion ou en complétant inutilement la Constitution. Par contre, rien n'a été fait depuis 2010 pour réformer le statut du parquet comme nous y incite la CEDH.
RépondreSupprimerNous sommes les plus beau!
RépondreSupprimertres juste
RépondreSupprimertres juste
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