Le bracelet anti-rapprochement est rétroactif. La Cour de cassation en a décidé ainsi dans un avis rendu le 22 septembre 2021. La demande d'avis portait sur l'application dans le temps de la loi du 28 décembre 2019 "visant à agir contre les violences au sein de la famille". Ce texte prévoit un bracelet anti-rapprochement, dispositif de surveillance électronique qui permet de géolocaliser l'auteur de violences conjugales. L'autorité judiciaire, civile ou pénale, décide d'un périmètre de protection qu'il ne doit pas franchir. S'il pénètre malgré tout dans cette zone, la victime peut ainsi être avertie et mise en sécurité, pendant que l'auteur est interpelé. Cette violation de l'interdiction peut ensuite donner lieu à des poursuites pénales.
Le bracelet anti-rapprochement
Ce dispositif, dont la mise en oeuvre a été précisée dans le décret du 23 septembre 2020, peut être ordonné en matière civile, avec l'accord de l'intéressé. En matière pénale, il peut être utilisé avant jugement, pendant le contrôle judiciaire ou après le jugement, à titre de peine. Dans ce cas, il peut intervenir pendant le sursis avec mise à l'épreuve, ou la détention à domicile sous surveillance électronique. La question posée à la Cour de cassation porte sur l'application, ou non, de ce dispositif nouveau à une personne qui a été condamnée pénalement avant la loi du 28 décembre 2019, le bracelet anti-rapprochement étant alors utilisé dans le cadre d'un aménagement de peine intervenu postérieurement. La question posée est donc celle de la rétroactivité de ce dispositif.
La Cour de cassation refuse de considérer que le bracelet anti-rapprochement s'analyse comme une peine et pourrait donc être soumis au principe de non-rétroactivité. L'avis s'appuie au contraire sur un principe général, selon lequel le principe de non-rétroactivité n'est pas d'application absolue, Il ne s'applique pas, en effet, aux lois pénales plus douces et aux lois de procédure.
Une loi de procédure
En l'espèce, le dispositif anti-rapprochement est considéré comme trouvant son fondement dans une loi de procédure. Dès sa décision du 5 juillet 1983, la Chambre criminelle considérait ainsi que la période de sûreté imposée au cours de la détention était immédiatement applicable à ceux dont la condamnation a été prononcée après la mise en vigueur du texte, quand bien même les faits à l'origine de celle-ci étaient antérieurs. L'article 112-2 du code pénal confère un fondement législatif à ce principe en affirmant que "sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur (...) les lois de compétence et d'organisation judiciaire (...), les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure (...) et enfin "les lois relatives au régime d'exécution et d'application des peine". Dans ce dernier cas toutefois, il est précisé que le principe de non-rétroactivité retrouve sa puissance lorsque les nouvelles dispositions ont pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées.
Une mesure de sûreté
Plus précisément, le dispositif anti-rapprochement est présenté comme une mesure de sûreté, c'est-à-dire une mesure préventive prise par le juge. Une jurisprudence bien établie considère qu'une telle mesure peut être appliquée aux auteurs d'infractions antérieures. La question a été posée au Conseil constitutionnel, à propos de la loi du 12 décembre 2005 qui inscrit dans le code pénal un régime de "surveillance judiciaire". Il permet de soumettre les condamnés, à leur libération, à diverses obligations, parmi lesquelles le placement sous surveillance électronique, dispositif à peu près identique au bracelet anti-rapprochement. Or la loi de 2005 prévoit l'application de la "surveillance judiciaire" aux personnes condamnées avant son entrée en vigueur. Cette disposition a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 8 décembre 2005.
L'analyse de la décision montre que le Conseil constitutionnel ne se fonde pas sur l'idée qu'une loi instituant une mesure de sûreté est nécessairement une loi de procédure. Il s'appuie sur les motifs qui sont ceux du législateur, et il affirme ainsi que "la surveillance judiciaire repose non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa
dangerosité". Le but n'est pas de punir, mais de prévenir la récidive. Certes, le raisonnement pourrait être discuté, car une mesure de sureté se veut également dissuasive, exactement comme une peine. Elle est aussi, sans doute, perçue comme une sanction par celui ou celle qui se voit notifier une telle décision. Mais précisément, il appartient au législateur de prendre des mesures destinées à assurer la protection des tiers.
Mutatis mutandis, l'avis de la Cour de cassation est dans la ligne de cette jurisprudence. Le dispositif anti-rapprochement est perçu comme un instrument destiné à prévenir les violences familiales et non pas comme une sanction, d'autant que la mesure peut intervenir au civil, ou avant le jugement. C'est donc la protection des personnes qui justifie l'ordonnance d'éloignement, et le bracelet électronique n'est qu'un moyen de garantir le respect de cette mesure. Alors que les violences familiales connaissent une croissance considérable, il aurait été bien délicat pour la Cour de cassation de prendre une autre décision. Limiter le dispositif anti rapprochement aux seuls condamnés postérieurement à la loi de 2019 aurait en effet réduit considérablement son efficacité. Alors que les plaintes et les poursuites pour violences familiales connaissent une croissance considérable, cette solution était tout simplement inenvisageable.
Sur le principe de non-rétroactivité : Chapitre 4 section 1, § 1, C du Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier,
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