Dalloz-Actualité publie le 19 novembre 2020, le texte de l'avant-projet de loi "confortant les principes républicains". Il n'a pas encore été soumis pour avis au Conseil d'Etat et devrait être adopté en Conseil des ministres le 9 décembre, date anniversaire de la loi de 1905 de séparation des églises et de l'Etat. Ensuite, le calendrier prévoit un examen au parlement au printemps 2021.
Deux observations positives s'imposent avant toute analyse de fond. D'une part, il ne s'agit pas d'une fausse proposition de loi, rédigée par l'Exécutif et fictivement portée par un parlementaire LaRem plus ou moins informé de ces questions. Il s'agit d'un vrai projet de loi porté par le Premier ministre, ce qui permettra au texte de bénéficier d'une étude d'impact et donc, il faut l'espérer, d'un encadrement juridique sérieux. D'autre part, le gouvernement a heureusement renoncé à la notion de "séparatisme" employée par le Président de la République. Le terme était mal choisi dans la mesure où l'objet du texte est précisément de lutter contre des organisations incarnant l'islam radical qui ne cherchent pas à se "séparer" de la communauté nationale mais qui, au contraire, font de l'entrisme en s'introduisant au coeur des services publics. Reste que la référence aux "principes républicains" demeure floue. Ils ne peuvent être définis que par une tautologie : les principes républicains, ce sont qui sont mentionnés dans l'avant-projet de loi.
Sur le fond, la lecture du texte laisse une impression mitigée. Après l'assassinat de Samuel Paty, on avait senti un réel mouvement en faveur d'un retour à un respect plus scrupuleux du principe de laïcité, notamment par un renforcement des instruments de contrôle. L'Observatoire de la laïcité, qui prône depuis longtemps une totale liberté des cultes dans l'espace public, était ainsi mis en cause. Hélas, rien n'a été fait, et l'on attend tranquillement la fin du mandat de son président et de son secrétaire général pour savoir si l'on continuera à financer et à soutenir une institution qui, pour le moment, fait obstacle à la garantie du principe de laïcité. Rien ne figure sur ce point dans l'avant-projet et on peut regretter que le gouvernement n'ai pas profité de cette occasion pour opérer une refonte complète de cette institution.
Pour le reste, l'avant-projet ressemble étrangement à ces lois "fourre-tout", portant "diverses dispositions" sur tout et rien. Certaines sont positives mais limitées, d'autres risquent d'être parfaitement inutiles. Le fil conducteur est parfois délicat à saisir et cet ensemble disparate devra certainement faire l'objet d'un vrai travail de mise en ordre.
Les dispositions pénales
Sur le plan pénal, l'avant-projet ne comporte que deux dispositions réellement importantes. L'article 25 sanctionne d'une peine de 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende le fait de mettre en danger la vie d'autrui par diffusion "par quelque moyen que ce soit, d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser, dans le but de l'exposer, elle ou sa famille, à un risque immédiat d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique ou aux biens". Il s'agit là d'une réaction après l'assassinat de Samuel Paty dont le nom et l'adresse personnelle avaient été jetés en pâture sur les réseaux sociaux.
L'infraction est donc constituée quand bien même la divulgation des informations n'emporte finalement aucune conséquence concrète. Mais, dans ces conditions, comment les juges vont-ils pouvoir apprécier le caractère immédiat du risque ? Devant une rédaction aussi obscure, dont la constitutionnalité pose question au regard du principe de lisibilité de la loi, on ne peut que renvoyer les auteurs de l'avant projet à l'article L 226-22 du code pénal qui punit déjà d'un an de prison le fait de porter à la connaissance des tiers les données personnelles d'une personne sans son consentement. Peut-être suffirait-il d'alourdir la peine ou de prévoir une circonstance aggravante dans certaines hypothèses ?
Plus clair est l'article 4 qui punit de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende le fait d'user "de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation d'un agent public ou d'une personne chargée d'une mission de service public, afin de bénéficier d'une exemption totale ou partielle ou d'une application différenciée des règles qui régissent le service pour des motifs tirés des convictions ou des croyances de l'intéressé". On songe évidemment au cas du professeur menacé par des parents d'élèves parce qu'il veut emmener une fillette à la piscine ou enseigner les principes de la laïcité. Mais de tels faits sont déjà réprimés, et l'on ne voit pas exactement pourquoi cette infraction nouvelle serait plus efficace que celles qui existent. Sur ce plan, ce n'est pas le droit qui fait défaut mais la volonté politique de le mettre en oeuvre.
Dernier point à noter en matière pénale, l'article 3 qui prévoit d'inscrire au Fichier des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT) les personnes condamnées pour provocation ou apologie d'infractions terroristes. On peut seulement s'étonner que ce ne soit pas déjà le cas, d'autant qu'il est préférable de figurer sur un fichier judiciaire que sur un fichier purement administratif de renseignement.
L'enseignement
L'obligation de scolarisation à partir de l'âge de trois ans est affirmée dans l'article 18, conséquence logique de la mise en oeuvre du principe d'instruction obligatoire à partir de cet âge qui existe depuis la rentrée 2019. Le gouvernement avait annoncé sa volonté de mettre fin à l'instruction à domicile, souvent privilégiée dans des familles qui se marginalisent pour des motifs religieux et/ou qui refusent d'envoyer leur fille à l'école. Il était alors affirmé que l'on ne tolérerait de dérogation que pour des raisons de santé. Le texte est moins clair alors, l'article 18 élargissant les dérogations aux motifs "tenant à la seule situation de l'enfant ou de sa famille". Cette rédaction laisse la porte ouverte à une multitude d'interprétations permettant de revenir, le cas échéant, au motif religieux. Quant au contrôle sur les établissements hors-contrat prévu par l'article 20, c'est sans doute une excellente idée, mais on doit faire remarquer que la loi du 13 avril 2018 prévoyait des dispositions en ce sens. Pourquoi un second texte serait-il plus efficace que le premier qui, semble-t-il, est plus ou mois resté lettre morte ?
Là encore, on ne peut que constater le caractère parcellaire des dispositions envisagées. On ne trouve rien, dans le loi, sur les sujets qui fâchent, rien sur l'obligation de neutralité susceptible d'être imposée aux personnes bénévoles qui participent au service public en encadrant les sorties scolaires, rien non plus sur les menus confessionnels qui contribuent à "séparer" les enfants au nom des convictions religieuses affirmées par leurs parents. Ne s'agit-il pas de "séparatisme" au sens où l'entendait le Président de la République ?
T'as plus ton voile. Les Goguettes, en trio mais à quatre
Juillet 2018
La neutralité du service public
Si les collaborateurs occasionnels du service public n'y sont toujours pas astreints, le principe de neutralité voit toutefois son champ élargi. L'article 1er de la loi prévoit ainsi que les titulaires de marchés publics et de concessions devront en imposer le respect à leurs salariés. Cette disposition vise précisément les transports publics et ne concerne pas seulement le port de signes religieux. On songe évidemment aux chauffeurs refusant de serrer la main d'un femme et aux agents priant dans les couloirs.
Par ailleurs, le projet accroit les compétences des préfets dans le contrôle des éventuelles atteintes au principe de neutralité commises par les collectivités locales. Si l'on prend l'exemple d'une délibération d'un conseil municipal autorisant des accès distincts à la piscine municipale pour les hommes et les femmes, le préfet fera un déféré devant le juge administratif dans les conditions du droit commun, mais il pourra accompagner ce déféré d'une suspension immédiate de la mesure, jusqu'à la décision contentieuse qui devra intervenir dans un délai de trente jours, auxquels il faut ajouter quinze jours en cas d'appel. Dans l'hypothèse où un élu refuserait l'exécution de la décision du juge, le préfet pourrait alors prendre toute mesure ordonnée par le juge, à sa place et aux frais de la commune. Cette disposition n'impose qu'une atteinte modeste au principe de libre administration des collectivités locales et devrait avoir l'avantage de favoriser une certaine unité des pratiques dans ce domaine.
Les associations cultuelles et les autres
L'avant-projet de loi a pour finalité d'inciter les fidèles musulmans à adopter le statut d'association cultuelle, ce qui suppose donc une modification de la loi de 1905. Il présente l'avantage de soumettre la création d'une telle association à autorisation administrative et d'imposer un contrôle des comptes tous les trois ans. En échange, les associations cultuelles bénéficient d'avantages fiscaux. Absents lors du vote de la loi de 1905, les musulmans n'avaient pu profiter de ce cadre juridique et s'organisaient donc avec les associations traditionnelles de la loi de 1901, beaucoup moins faciles à contrôler. En les intégrant dans le système, l'avant projet de loi leur offre une légitimité nouvelle mais leur impose aussi des contraintes. Les accepteront-ils ? On peut d'ailleurs s'inquiéter d'une disposition qui conduit à toucher à la loi de 1905. Le risque existe de voir des parlementaires se saisir de cette occasion pour remettre en cause les acquis de cette grande loi.
L'avant-projet de loi ne renforce que très modestement le contrôle des associations ordinaires de la loi de 1901. L'article 6 renoue avec l'idée d'un "contrat d'engagement républicain", proche de la "charte de la laïcité", contrat par lequel une association ne pourra recevoir une subvention que si elle s'engage formellement à respecter "les valeurs de la République". La formulation est pour le moins maladroite car on ignore le contenu juridique de ces "valeurs". Surtout, rien n'interdit à une association de ne pas respecter lesdites valeurs si, tout simplement, elle ne sollicite pas de subvention, préférant recevoir l'aide de ses membres, eux mêmes financés par des réseaux étrangers. De fait, les dispositions de l'avant-projet renforçant le contrôle des fonds reçus par les associations ne s'appliquent, elles aussi, qu'à celles qui défiscalisent les dons. Il est loin d'être certain que ces dispositions permettront de mettre fin à l'opacité des sources de financement du culte musulman.
La dignité de la personne
Enfin, dernier élément notable, l'avant-projet de loi se propose de protéger la dignité de la personne. L'article 13 vise à renforcer la protection des héritiers réservataires sur les biens situés en France, lorsque la succession relève d'une loi étrangère qui autorise les parents à déshériter leurs enfants. L'article 14 introduit, enfin, une réserve générale de polygamie pour tous les titres de séjour. L'article 16 punit d'un an de prison le fait d'établir un certificat de virginité, disposition ayant l'avantage de donner aux médecins un argument pour refuser cette pratique, mais l'inconvénient de n'apporter aucune solution à la situation de la jeune femme ainsi abandonnée à la vengeance familiale. Enfin, l'article 17 contraint le maire à saisir le procureur de la République si, à l'issue d'un entretien avec les futurs époux, il conserve un doute sur le caractère libre du consentement de l'un des époux. Il s'agit là de lutter contre les mariages forcés, mais on doit noter que cette disposition existe déjà, et que le Conseil constitutionnel a déjà admis la constitutionnalité de cette intervention du procureur de la République, dans sa décision QPC du 22 juin 2012.
Cette énumération conduisent à s'interroger sur la présentation de cet avant-projet. Les dispositions en cause ne concernent pas tant la dignité de la personne que les droits des femmes de ne pas vivre dans une situation de subordination. Mais cette finalité n'est pas clairement assumée et le texte ne dit pas un mot des droits des femmes.
Ce dernier point illustre parfaitement le défaut principal du texte. Ses dispositions visent à lutter contre l'islamisme radical, et c'est ainsi qu'il avait été présenté par le Président de la République après l'assassinat de Samuel Paty. Mais étrangement, la rédaction semble vouloir éviter toute référence à l'islam radical. C'est ainsi qu'on lutte contre le financement des cultes par des organisations étrangères, contre la polygamie, contre les mariages forcés et les certificats de virginité, mais on s'abstient de dire que ces pratiques sont uniquement celles de l'islam radical, et l'on feint de croire qu'il s'agit là de mesures d'ordre général. On se déclare en guerre contre l'islam radical mais on refuse de nommer l'ennemi.
Sur la liberté des cultes : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 10, section 2.
Je suis votre blog depuis un moment, au départ ma intérêt juridique (formation en droit) mais aussi pour l'importance de protéger nos droits et libertés, ne serait-ce qu'en (s')informant.
RépondreSupprimerJe ne peux m'empêcher de réagir aujourd'hui en voyant combien vous semblez présenter comme normal, logique et justifié de rendre la scolarisation obligatoire et donc de supprimer l'instruction en famille.
Il faut savoir que l'instruction en famille est déjà très encadrée: contrôle de la mairie et contrôle de l'inspection académique.
En 2016/2017, plus de 90% des contrôles ont été déclarés conformes. (MEN 2018).
Il n'y a aucune étude démontrant un lien entre instruction en famille et radicalisation.
Vous dites que l'instruction à domicile est "souvent privilégiée dans des familles qui se marginalisent pour des motifs religieux et/ou qui refusent d'envoyer leur fille à l'école", c'est vrai certains font le choix de sortir leur enfant de l'école pour des motifs religieux. Ce n'est cependant pas la majorité. Plusieurs sondages ont révélés que c'était principalement pour suivre le rythme de leur enfant ou parce que l'école ne convenait pas à leur enfant.
Dans le Vademecum sur l'instruction en famille de novembre 2020, il est clairement écrit à la page 38 : « Les cas d’enfants exposés à un risque de radicalisation et repérés à l’occasion du contrôle de l’instruction au domicile familial sont exceptionnels. ».
Alors pourquoi interdire cette possibilité?
Parce que des enfants vont à l'école, le risque de radicalisation est-il inexistant?
Ce sujet me touche car je connais ce qu'est l'instruction en famille, du CE1 à la terminale, je n'ai pas été à l'école. Entrée en CP en sachant déjà lire, écrire était d'une douleur extrême et illisible.
Entre ennui et difficulté, l'école ne me convenait pas. L'école ne peut pas s'adapter au rythme de chacun.
L'instruction en famille m'a sauvée. Cette liberté m'a permis de grandir sereinement.
Aucun enfant instruit en famille que j'ai rencontré n'était radicalisé, alors pourquoi ne pas défendre ce droit essentiel?
Vous regrettez que le texte ne soit pas suffisamment clair quant aux dérogations. Mais connaissez-vous la réalité d'une instruction en famille sous autorisation?
RépondreSupprimer- Même pour une raison de santé ce n'est pas gagner. Un diagnostic est long à obtenir (plusieurs mois ou même plusieurs années) et même après avoir eu un diagnostic parfois des refus sont prononcés. Pour en revenir à mon expérience, longtemps on m'a dit qque je n'avais pas de problème, que je ne m'appliquais juste pas. "Fais des lignes, tu verras tu écriras bien. Tu as mal ? Non, mais c'est juste que tu n'es pas habituée."
- Harcèlement? Parfois, les enfants ont besoin de quitter l'école pour se reconstruire. De nombreuses fois le CNED réglementé est pourtant refusé, comment garantir que ce ne sera pas encore le cas ici?
- Méthode qui ne convient pas? Comment une seule manière de faire pourrait convenir à tous les enfants? Nous ne fonctionnons pas tous de la même façon. Et peu importe la qualité d'un enseignant, il ne peut pas proposer une méthode personnalisée à chacun. Mais comment prouver qu'une méthode ne convient pas à notre enfant?
- Certains enfants sont justes très sensibles et ont parfois besoin de temps avant d'aller à l'école. Le temps de grandir, la possibilité de se concentrer sans le bruit et l'interaction avec les camarades. Auront-ils une dérogation?
La liberté d'apprendre autrement, la liberté de reprendre son souffle, la liberté de grandir.
Encore une fois, on accentue sur la sécurisation pour brimer nos libertés.
Cette seule sécurisation ne justifie pas de porter atteinte à ces libertés.
Mais pire ici, aucune preuve n'a été apportée, aucune justification réelle n'ait arguée!
Aller dans leur sens en faisant comme si c'était justifié leur donne le pouvoir de le faire. Beaucoup sont mal informés. Alors j'espère que cet insuffisant commentaire comblera partiellement cette lacune.
Pour que, peut-être un jour, nos libertés si précieuses soient défendues.
Amicalement,
Moïra