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vendredi 4 septembre 2020

Les supporters de football et l'effet d'aubaine du Covid-19


Les ordonnances de "tri" rendues par le juge des référés du Conseil d'Etat sont des décisions bien étranges. Il s'agit de rejeter une demande de référé, sans audience, au motif qu'elle s'appuie sur des moyens manifestement infondés, irrecevables et inopérants, ou qui ne reposent sur aucun fait établi. Elles sont bien peu étudiées par la doctrine, parce qu'elles sont pratiquement inaccessibles, et généralement peu motivées. Or voilà qu'une ordonnance du 28 août 2019 (n° 443387) comporte deux pages de motivation, au point que l'on se demande si les moyens développés n'auraient pas mérité au moins une audience. Celle-ci aurait peut-être permis de lever les incertitudes sur la légalité du texte contesté.

Le juge des référés du Conseil d'Etat était saisi par l'Association nationale des supporters (ANS). Elle lui demandait de suspendre un arrêté du préfet du Finistère qui, le 20 août, avait prononcé une interdiction d'entrée dans le stade de Brest et de circulation dans ces abords immédiats, cette interdiction étant valide pour la journée du 30 août, un match de football opposant le Stade Brestois à l'Olympique de Marseille ayant lieu ce jour-là.

 

Le fondement juridique


L'interdiction concerne les personnes "se prévalant de la qualité de supporter du Club de l'OM ou se comportant comme tel"., formule directement inspirée du code du sport, dont l'article L 332-16-2 autorise l'autorité administrative à "restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public". Certes, mais précisément, en l'espèce le préfet ne se fonde pas sur ces dispositions mais sur la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence et le décret du 10 juillet qui prescrit les mesures nécessaires pour sortir de l'épidémie de Covid-19. Autrement, les supporters marseillais sont interdits dans le quartier du stade de Brest, non parce qu'ils sont susceptibles d'exercer des violences, mais parce qu'ils risquent de diffuser l'épidémie.

Dans le cas présent, la rédaction de l'arrêté ne peut manquer de surprendre. En désignant les personnes "se prévalant de la qualité de supporter du Club de l'OM ou se comportant comme tel", le préfet du Finistère semble considérer qu'un supporter se reconnaît à son maillot, aux divers drapeaux qu'il peut brandir, voire aux hurlements divers par lesquels il manifeste son enthousiasme pour l'équipe qui a ses faveurs. Certes, mais n'est-il pas possible d'imaginer qu'un supporter de l'Olympique de Marseille, informé de l'existence de cet arrêté, pourrait avoir l'idée de changer de maillot, de plier son drapeau et de s'abstenir de crier, avant de pénétrer tranquillement dans l'espace interdit ? 

Le préfet sans doute pu se fonder sur l'article L 332-16-2 du code du sport, issu de la la loi du 14 mars 2011, qui l'autorise à définir un périmètre de sécurité à l'intérieur duquel les supporters violents ne sont pas autorisés à pénétrer. Saisi d’une demande de suspension d’un arrêté du préfet de Corse interdisant à certains supporters l’accès à une zone située autour du stade de Bastia, le juge des référés du Conseil d’État considère ainsi, dans une ordonnance du 12 septembre 2014, que les incidents violents dont ils s’étaient rendus coupables le mois précédent suffisaient à justifier une telle mesure. Mais le préfet de Corse invoquait le caractère violent des supporters bastiais, facile à démontrer en l'espèce, puisque de graves incidents avaient eu lieu quelques semaines plus tôt, précisément avec des supporters de l'Olympique de Marseille. 

Dans le cas présent, aucune violence antérieure ne semble imputable aux supporters marseillais et le préfet du Finistère se fonde donc sur le risque de contagion. Mais le choix de ce fondement juridique ne semble pas meilleur.



Les voilà, les footballeurs. Les Frères Jacques. 1953

 

L'erreur de droit

 

L'arrêté préfectoral motive la mesure par le fait que le département des Bouches-du-Rhône a été classé en zone de circulation active du virus Covid-19 le 13 août 2020, alors que celui du Finistère est "beaucoup moins affecté à ce jour".  Sans doute, et il n'est pas question de contester cette situation. Mais on doit observer que les Marseillais ne se voient pas interdire de venir à Brest ni même de pénétrer dans la zone de sécurité. Ils ont seulement l'obligation de ne pas y pénétrer, avec une apparence et comportement de supporter. Le fait de leur retirer leur maillot va-t-il empêcher le virus de circuler ? Et celui-ci ne risque-t-il pas de se répandre dans les bistrots situés hors de la zone interdite, mais dans sa proximité ? En d'autres termes, la mesure prise par la préfet est clairement inadaptée à la menace. On ajoutera d'ailleurs que le stade brestois était soumis aux conditions habituelles d'accueil du public imposées par l'épidémie : jauge de 5000 personnes et distanciation. 


Les atteintes aux libertés


Le juge des référés ne se déclare pas incompétent, ce qui signifie que le référé-liberté peut être invoqué en l'espèce. Le code du sport, dans ce même article L 332-16-2 autorise l'autorité administrative à "restreindre la liberté d'aller et de venir" des supporters, même si la restriction repose en l'espèce sur le risque de violences. L'ingérence dans la liberté d'aller et venir que constitue l'interdiction de se rendre à un match est donc admise par le législateur lui-même, et confirmée par le juge des référés du Conseil d'État, dans une ordonnance de référé du 8 novembre 2013.

Des jurisprudences concordantes ont également jugé que l'interdiction d'accès au stade faite à des supporter porte atteinte à la liberté d'association, puisque celle-ci ne concerne pas seulement le droit de constituer un tel groupement, mais aussi le droit d'agir librement, conformément à ses statuts et dans le respect des lois. Le Conseil d'Etat en a jugé ainsi dans un arrêt du 29 mars 2013 visant précisément le déplacement de supporters de l'Olympique de Marseille. De la même manière, l'interdiction de stade porte également atteinte à la liberté de réunion, principe rappelé par le Conseil d'Etat dans un arrêt Association Magic Fun du 10 février 2015.

La décision du juge des référés rendue le 28 août 2020 est un nouveau témoignage de la pratique du Conseil d'Etat dans la crise du Covid-19. Ses motifs se bornent à reprendre les moyens développés par l'administration pour justifier la légalité de son acte, moyens qui se réduisent à rappeler l'existence de l'épidémie. Aucune réponse n'est en revanche apportée à ceux développés par l'association requérante, comme s'ils n'existaient pas, alors même que la légalité de l'arrêté préfectoral est pour le moins sujette à caution. On voit ainsi se développer une forme d'effet d'aubaine du Covid-19. Pour l'administration, il permet de prendre des mesures purement dissuasives. En l'espèce en effet, il ne s'agit pas tant d'interdire les abords du stade que de dissuader les supporters marseillais de se déplacer, supporter dont la ville redoute sans doute diverses violences. Pour le Conseil d'État ensuite, auquel le Covid-19 donne l'opportunité de soutenir l'autorité administrative sans défaillance et surtout sans doute. En l'espèce en effet, la victime est l'Etat de droit, car le Covid-19 met aussi en lumière cette procédure de "tri" qui prive les requérants du droit de se défendre dans une audience publique, alors même que précisément, cette affaire aurait largement mérité la grâce d'une audience.

 

Sur la liberté de circulation des hooligans : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 1, § 1 B

 


 

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