Le 30 avril 2020, le Conseil constitutionnel a rendu, sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC), une décision, M. Maxime O., qui semble parfaite pour redorer son blason, après la celle, désastreuse, du 26 mars 2020, dans laquelle il écartait purement et simplement la Constitution, pour des motifs liés aux "circonstances particulières" de l'état d'urgence sanitaire.
Point de circonstances particulières en l'espèce, car la QPC s'inscrit dans le droit commun, situation nettement plus confortable. Le Conseil déclare inconstitutionnelles les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 706-71 du code de procédure pénale, ou plus exactement trois mots de cet alinéa : "la Chambre de l'instruction". Il censure ainsi la possibilité offerte à cette juridiction d'imposer une audience par visioconférence à une personne placée en détention provisoire en matière criminelle, et qui demande sa mise en liberté. Dès lors que, en application de
l'article 145-2 du code de procédure pénale, la première prolongation de
la détention provisoire peut n'intervenir qu'à l'issue d'une durée
d'une année, le fait d'imposer la visioconférence conduirait en effet à priver une personne de la possibilité, pendant une année entière, de comparaître devant le juge appelé à statuer
sur sa détention provisoire. L'atteinte aux droits de la défense est donc jugée excessive, et ces dispositions déclarées inconstitutionnelles.
Par cette décision, le Conseil donne l'apparence du libéralisme et de l'attention la plus grande portée aux droits de la défense. Mais l'analyse n'est pas si simple.
La copie d'une décision précédente
Observons d'abord que la décision du 30 avril est une copie exacte d'une autre décision QPC , d'ailleurs très récente, du 20 septembre 2019. M Abdelnour B. A l'époque, le Conseil se prononçait sur les dispositions de ce même article 706-71 , dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 1er décembre 2016. Le seul problème est que la loi Belloubet de programmation pour la justice du 23 mars 2019 a repris exactement la même formulation, avec les mêmes conséquences. Même le représentant du Secrétaire général du gouvernement, censé défendre le texte à l'audience devant le Conseil constitutionnel, a renoncé à cette mission suicide, se bornant à mentionner qu'un nouveau projet de loi avait été adopté en première lecture par le Sénat le 3 mars 2020. Il précise, dans son article 10-II, qu'une personne en détention depuis plus de six mois peut s'opposer au recours à la visioconférence pour une audience de mise en liberté, à la seule condition qu'elle n'ait pas physiquement comparu depuis au moins six mois. La Garde des Sceaux s'est donc finalement décidée, tardivement, à tenir compte de la décision du Conseil.
Cette décision est donc le fruit d'un cafouillage législatif, et elle n'aurait aucun intérêt si le débat ne s'était pas porté sur la modulation dans le temps de la décision d'abrogation prononcée par le Conseil. On peut même se demander si la Cour de cassation n'a pas renvoyé la QPC dans le seul but de susciter ce débat, dès lors qu'elle aurait sans doute pu, en s'appuyant sur l'autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel, écarter la disposition inconstitutionnelle. Rappelons en effet que l'autorité de chose jugée s'étend aux motifs qui ont fondé la décision, et que, en l'espèce, les nouvelles dispositions contestées étaient identiques à celles qui avaient déjà été abrogées. Mais, dans ce cas, la Cour n'avait d'autre choix que d'écarter la disposition immédiatement.
Jailhouse Rock. Film de Richard Thorpe, 1957
Elvis Presley
L'abrogation différée
Or précisément, tout l'effort du Secrétaire général du gouvernement vise à obtenir une abrogation différée, jusqu'au moment où la nouvelle loi entrera en vigueur. Sur ce point, il présente un certain nombre d'arguments que les avocats du requérant n'ont guère été en mesure de contester.
Le plus important réside dans le fait que, en supprimant les mots "Chambre de l'Instruction", l'abrogation immédiate priverait cette juridiction de l'utilisation de la visioconférence pour l'ensemble du contentieux de la détention provisoire dont elle a à connaître, alors même que la décision du Conseil ne concerne que l'audience de mise en liberté. Il n'est donc pas question de mettre en cause le principe même de l'usage de cette visioconférence, comme l'auraient souhaité les différentes associations et syndicats intervenus à l'audience.
Surtout, la référence à la "bonne administration de la justice" pour justifier le recours à cette technique n'est pas réellement mise en question. Il demeure donc toujours possible de justifier la visioconférence par des considérations extérieures aux droits de la défense, par exemple le risque éventuel de l'extraction d'un individu particulièrement dangereux pour l'accompagner à l'audience ou, tout simplement, le coût de ces extractions. La vision managériale de l'administration de la justice demeure donc identique.
Une étrange situation
Reste l'apparente étrangeté de la décision. Portant sur la visioconférence, elle s'est accompagnée précisément d'une intervention en visioconférence de l'avocat du demandeur, demeuré à Aix-en-Provence pour cause de confinement. Cette situation vient nous rappeler que nous vivons sous le régime de l'état d'urgence sanitaire, situation qui réduit considérablement l'impact de la décision du Conseil constitutionnel.
Quelques jours avant que le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnel le recours à la visioconférence pour des personnes placées en détention provisoire depuis un an et qui réclament leur mise en liberté, le juge des référés du Conseil d'Etat, dans une ordonnance du 3 avril 2020, avait refusé de voir la moindre atteinte aux droits de la défense ou à la séparation des pouvoirs dans la prolongation purement administrative de l'ensemble des détentions provisoires. L'état d'urgence sanitaire, tel qu'interprété par le Conseil d'Etat, vide ainsi de son contenu effectif la décision du Conseil constitutionnel. Alors que le Conseil constitutionnel impose une relation effective entre la personne en détention provisoire et le juge, le juge des référés du Conseil d'Etat fait disparaître le juge. Il est vrai que cette étrangeté cessera sans doute avec la fin de l'état d'urgence sanitaire, à une date indéterminée. D'ici là, il serait peut-être judicieux de transmettre aux personnes placées en détention provisoire, et qui sont juridiquement innocentes, un petit résumé en 245 pages de leur situation juridique.
Une fois encore, rien de tel pour compléter votre analyses des tropismes du Conseil (in)constitutionnel et du Conseil (de) l'Etat, que celle de votre collègue de Paris 1, Paul Cassia intitulée : "Etat d'urgence sanitaire : le Conseil d'Etat (ne) change (que) de méthode" mis en ligne en accès gratuit sur le site de mediapart le 2 mai 2020.
RépondreSupprimerComme le dirait l'anthropologue suisse, Jean-Dominique Michel, nous sommes en présence, avec ces deux Conseils, du paroxysme de "l'imbécilité technique".