Après avoir successivement malmené le droit à la sûreté, la présomption d'innocence, la séparation des pouvoirs, voire le droit à la santé, le juge des référés du Conseil d'Etat a enfin rendu une ordonnance favorable aux libertés. Le 30 avril 2020, il a en effet consacré le principe selon lequel la liberté d'aller et de venir implique le droit de circuler avec un moyen de locomotion, en l'espèce à bicyclette. Le juge précise que cette liberté n'impose pas qu'il soit enjoint aux préfets de réouvrir les pistes cyclables fermées pendant le confinement. Mais le droit de circuler à bicyclette manquait cruellement à notre corpus juridique, et il faut remercier le juge d'avoir pensé à en faire une liberté fondamentale, susceptible de donner lieu à un référé-liberté.
Nul doute que cette décision le remette en selle comme protecteur des libertés publiques, car le juge des référés a même eu l'audace d'adresser au Premier ministre une injonction. Celui-ci devait, en effet, rappeler publiquement, dans les vingt-quatre heures, que la faculté de se déplacer comportait le droit d'user d'un tel moyen de locomotion. L'intéressé s'est immédiatement exécuté, par un communiqué de presse diffusé sur le site du ministère de l'intérieur.
Une contradiction dans la communication
Le juge des référés était saisi par la Fédération des usagers de la bicyclette, qui estimait que le droit de l'état d'urgence sanitaire déraillait quelque peu. En effet, le décret du 23 mars 2020 interdit tout déplacement hors du domicile, sauf situations dérogatoires soigneusement listées dans le texte. Par la suite, il a été précisé, sur les sites internet du ministère de l'intérieur et du ministère des sports, que les déplacements en bicyclette étaient interdits, sauf pour se rendre au travail, et sauf pour les enfants dans le cadre des promenades quotidiennes. De fait, les forces de police ont souvent verbalisé les adultes pratiquant la bicyclette au titre de l'activité physique autorisée dans la limite d'une heure, et dans un rayon d'un kilomètre autour du domicile, alors que cette activité est parfaitement licite.
Le juge fonde sa décision sur les "contradictions relevées dans la communication de plusieurs autorités publiques", sources de "l'incertitude" qui s'est installée. C'est donc une mauvaise "communication" qui est sanctionnée comme une atteinte à une liberté fondamentale. Il est vrai que l'intelligibilité et la lisibilité de la loi est un objectif à valeur constitutionnelle, consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision du 19 novembre 2009. Ensuite, dans une décision du 28 décembre 2011, il précise que le législateur doit exercer sa compétence en adoptant des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Le Conseil d’Etat reprend le même principe pour apprécier la légalité des actes réglementaires, faisant référence, par exemple dans un arrêt du 31 décembre 2019, à « l’intelligibilité et la lisibilité du droit ».
Ce fondement juridique était possible, mais on peut s’étonner que le juge des référés ne se soit pas penché sur l’incompétence, pourtant un moyen d’ordre public. Sur le plan juridique, les auteurs des éléments ajoutés sur les sites sont respectivement le ministre de l’intérieur et celui des sports. Or ces sites ont créé une norme juridique nouvelle, l’interdiction de faire de la bicyclette pendant le confinement, qui ne figurait pas dans le décret du 23 mars 2020, mais qui a néanmoins servi de fondement à un certain nombre de verbalisations. Or nul n’ignore que le ministre ne dispose pas du pouvoir réglementaire, celui-ci étant exercé par le Premier ministre. En d’autres termes, les dispositions figurant sur les sites émanaient d’une autorité incompétente.
Sans doute, le raisonnement est-il imparable, mais il n'était pas sans inconvénient pour le juge, le conduisant en effet à s'interroger sur la valeur juridique des informations diffusées sur le site. Or c’est précisément la question qu'il ne voulait pas poser, laissant ainsi subsister l’ambiguïté. Communication politique ou information juridique ? Le choix appartient au ministre seul, et rien ne lui interdit d'opérer de savants mélanges entre les deux démarches. Considérée sous cet angle, la décision est extrêmement favorable à l'Exécutif qui peut continuer à user du caractère officiel d'un site ministériel pour réaliser des opérations de communication plus ou moins électorales.
Le juge a donc préféré changer de braquet et se montrer plus modeste. Il se borne à regarder si la communication ainsi diffusée est inexacte au regard des textes en vigueur, ce qui devrait peut-être inciter les services administratifs à regarder d'un peu plus près les informations figurant sur leur site.
Avouons tout de même que la décision ne manque pas de sel, au moment précis où l'on expliquait au citoyen, un grand enfant peu en mesure d'apprécier les choses par lui-même, qu'il devait se rendre sur Gouvernement.fr pour trouver de l'information soigneusement triée à son intention. Il s'agissait de lui épargner la lecture de Fake-News qui pourraient l'empêcher d'apprécier à sa juste valeur la qualité du travail gouvernemental dans la présente crise. Or, précisément, voilà que le juge des référés du Conseil d'Etat vient enjoindre au Premier ministre de corriger les Fake-News diffusées par les membres de son gouvernement. C'est peut-être le ridicule de cette situation qui a conduit les services du Premier ministre à retirer du site la page controversée.
A bicyclette. Bourvil. 1947
La valeur juridique de l'information diffusée sur les sites gouvernementaux
Ce fondement juridique était possible, mais on peut s’étonner que le juge des référés ne se soit pas penché sur l’incompétence, pourtant un moyen d’ordre public. Sur le plan juridique, les auteurs des éléments ajoutés sur les sites sont respectivement le ministre de l’intérieur et celui des sports. Or ces sites ont créé une norme juridique nouvelle, l’interdiction de faire de la bicyclette pendant le confinement, qui ne figurait pas dans le décret du 23 mars 2020, mais qui a néanmoins servi de fondement à un certain nombre de verbalisations. Or nul n’ignore que le ministre ne dispose pas du pouvoir réglementaire, celui-ci étant exercé par le Premier ministre. En d’autres termes, les dispositions figurant sur les sites émanaient d’une autorité incompétente.
Sans doute, le raisonnement est-il imparable, mais il n'était pas sans inconvénient pour le juge, le conduisant en effet à s'interroger sur la valeur juridique des informations diffusées sur le site. Or c’est précisément la question qu'il ne voulait pas poser, laissant ainsi subsister l’ambiguïté. Communication politique ou information juridique ? Le choix appartient au ministre seul, et rien ne lui interdit d'opérer de savants mélanges entre les deux démarches. Considérée sous cet angle, la décision est extrêmement favorable à l'Exécutif qui peut continuer à user du caractère officiel d'un site ministériel pour réaliser des opérations de communication plus ou moins électorales.
Le juge en lutte contre les Fake News
Le juge a donc préféré changer de braquet et se montrer plus modeste. Il se borne à regarder si la communication ainsi diffusée est inexacte au regard des textes en vigueur, ce qui devrait peut-être inciter les services administratifs à regarder d'un peu plus près les informations figurant sur leur site.
Avouons tout de même que la décision ne manque pas de sel, au moment précis où l'on expliquait au citoyen, un grand enfant peu en mesure d'apprécier les choses par lui-même, qu'il devait se rendre sur Gouvernement.fr pour trouver de l'information soigneusement triée à son intention. Il s'agissait de lui épargner la lecture de Fake-News qui pourraient l'empêcher d'apprécier à sa juste valeur la qualité du travail gouvernemental dans la présente crise. Or, précisément, voilà que le juge des référés du Conseil d'Etat vient enjoindre au Premier ministre de corriger les Fake-News diffusées par les membres de son gouvernement. C'est peut-être le ridicule de cette situation qui a conduit les services du Premier ministre à retirer du site la page controversée.
Remise en selle ou changement de braquet, là est la question ? Il n'en reste pas moins, qu'en matière de cyclisme, le Conseil d'Etat en connait un rayon (Cf. Richie de Raphaëlle Bacqué, Grasset, 2015).
RépondreSupprimerEn plagiant Albert Einstein, on pourrait dire que le Conseil d'Etat, c'est comme un bicyclette, il faut qu'il avance pour ne pas perdre l'équilibre...