La décision B. L. et autres c. France rendue le 9 janvier 2020 par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est un arrêt d'irrecevabilité qui ne devrait guère susciter l'intérêt. Vingt-trois requérants, albanais, kosovars, arméniens, azerbaïdjanais, serbes, bosniens et togolais, soit seuls, soit accompagnés de leur famille, se sont installés en juin 2013 dans un campement de fortune, avenue de Blida à Metz. Tous se présentaient comme des demandeurs d'asile, mais aucun n'a obtenu le statut de réfugié, et certains n'ont pas fourni les pièces nécessaires aux autorités français pour l'instruction de leur demande.
Le recours ne porte pas, en effet, sur l'obtention ou le refus de la qualité de réfugié. Il porte exclusivement sur les conditions précaires d'hébergement dans un campement de tentes, plusieurs fois fermé, jusqu'à sont démantèlement définitif en novembre 2014. Tous invoquent donc une violation de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants.
Encadrés par des avocats spécialisés dans le droit des étrangers, les requérants ont d'abord saisi le juge administratif d'un référé-liberté. Invoquant la directive "Accueil" du 27 janvier 2013, ils ont demandé qu'il soit enjoint aux autorités françaises de leur indiquer les centres d'hébergement susceptibles de les accueillir, dans le délai de 24 heures après notification de l'ordonnance de référé. Le juge a fait observer que les demandeurs, au moment du recours, étaient entrés sur le territoire depuis peu de temps, le plus souvent moins d'un mois. La ville de Metz s'était efforcée par ailleurs de procurer à ces demandeurs d'asile des équipements d'un confort élémentaire, sanitaires, eau, électricité. Aux yeux du juge, la condition d'urgence nécessaire en matière de référé-liberté, n'était donc pas remplie. Sur ce point, les juges français ne faisaient que reprendre une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, formulée par exemple dans une ordonnance de référé rendue le 18 février 2014. Après épuisement des voies de recours, la CEDH a donc été saisie.
Le problème est qu'au moment où la Cour est saisie, la requête n'intéresse plus personne, ou presque.
Les 22 radiations du rôle
Appliquant l'article 37 al 1 de la Convention européenne, le greffe de la CEDH, le 10 avril 2017, a demandé aux avocats de 22 requérants s'ils entendaient maintenir leur requête. La réponse devait être apportée le 10 mai, mais c'est seulement le 9 juin que l'avocat répondit, sans doute avec un peu d'embarras, qu'il avait perdu de vue ses clients. Il entendait toutefois maintenir le recours, dès lors qu'il pensait que les questions des conditions d'accueil des demandeurs d'asile et de l'ineffectivité des recours en France n'avaient rien perdu de leur actualité.
La Cour écarte cet argument, en affirmant que d'autres recours sont actuellement en cours d'instruction devant elle, avec cette fois des requérants actifs. Elle rappelle qu'il "importe que les contacts entre le requérant et son représentant soient maintenus tout au long de la procédure". Ils sont essentiels pour garantir la "persistance de l'intérêt du requérant à la continuation de l'examen de sa requête". Cette radiation s'inscrit d'ailleurs dans la droite ligne de l'arrêt V.M. et autres c. Belgique du 17 novembre 2016, dans une affaire à peu près identique.
Le Chat. Gelück |
Le cas de Madame B. L.
Seule une requérante, d'origine kosovare mais ayant acquis la nationalité monténégrine, avait gardé le contact avec son avocat et entendait maintenir son recours. Entrée en France en janvier 2012, B. L. s'est vu refuser la qualité de réfugiée et, en mai 2012, une obligation de quitter le territoire français lui a été notifiée (OQTF). Dans sa requête, elle déclare toutefois être entrée en France le 13 février 2014 et s'être présentée à la préfecture le 2 avril suivant pour déposer une demande d'asile. Convoquée le 30 avril 2014 pour déposer des justificatifs, elle ne s'est pas présentée au rendez-vous. Cela ne l'avait pas empêchée, dès mars 2014, de saisir le juge des référés sur ses conditions d'hébergement dans le campement de Metz, pour obtenir la même injonction que celle demandée par les 22 autres requérants. Abritée finalement dans différents foyers gérés par des associations humanitaires, elle a fait l'objet d'une seconde OQTF en novembre 2016.
La CEDH, dans une jurisprudence constante, affirme qu'un traitement doit atteindre un minimum de gravité pour être considéré comme inhumain ou dégradant. Cette appréciation est effectuée à partir de l'ensemble du dossier, durée du traitement, de ses effets physiques ou
mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la
victime. ( CEDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce ). En l'espèce, la Cour prend en considération le refus de la requérante de verser des pièces justifiant sa demande d'asile ainsi que le fait qu'elle ait été finalement prise en charge, et que ses besoins élémentaires aient été satisfaits. Elle en déduit donc que le traitement qu'elle a subi ne dépasse pas le seuil de gravité indispensable pour qu'il soit qualifié d'inhumain ou de dégradant.
La décision de la Cour parait pleine de bon sens, mais le problème posé n'est pas celui de la décision des juges européens, décision à laquelle on devait s'attendre. Le problème est plutôt celui du rapport entre les avocats spécialisés dans le droit des étrangers et leurs clients.
Un recours sans requérants
La Cour affirme que l'avocat des 22 requérants évaporés durant la procédure entendait poursuivre le contentieux, espérant obtenir une condamnation de la France, sanctionnant les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Pour l'avocat, il s'agit donc de parvenir à un but qui dépasse les requérants. Il s'agit de défendre une cause, indépendante du cas particulier soulevé devant les juges. Peu importe qui sont les requérants, peu importe ce qu'ils deviennent, dès lors qu'ils ont signé le recours. Quant aux requérants eux-mêmes, ils ont accepté de signer, mais le recours n'a aucun intérêt à leurs yeux. Ils veulent seulement disparaître, se fondre dans la population pour rester sur le territoire, même si leur séjour est irrégulier. Le cas de Mme L. G. est un peu différent, et il faut bien reconnaître que la seule requérante qui reste est aussi celle qui a le plus mauvais dossier, ayant montré à plusieurs reprises son refus de se plier aux contraintes du droit français et du droit européen.
Que doit-on en déduire sur la manière dont sont perçus les requérants ? Aux yeux de leur avocat, ils semblent être davantage des objets de droit que des titulaires de droits. Ils sont utilisés pour essayer de faire modifier les procédures. Une fois le recours déposé, l'intérêt est entièrement centré sur le combat juridique, et celui qui l'a suscité disparait purement et simplement des écrans radar. Il n'intéresse plus personne, sauf la CEDH, qui rappelle que le requérant, ce n'est pas son avocat.
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