Dans un arrêt du 24 octobre 2019, le Conseil d'Etat délivre, une nouvelle fois, une lecture aussi étroite que possible de l'obligation de transparence pesant sur l'administration. Par une interprétation très restrictive de la loi, il affirme que l'accès aux données personnelles contenues dans des fichiers peut, dans certains cas, être mis en oeuvre par consultation et non par communication.
La différence n’est pas anodine. Dans un cas, le demandeur peut seulement regarder, dans l'autre, il peut obtenir une copie. Or il a souvent besoin de ces informations pour nourrir un dossier contentieux, et il se trouve alors dans une situation beaucoup plus délicate, car le contenu de ces informations ne peut plus être attesté que par son seul témoignage.
Le droit d’accès indirect
La demande intervient dans le cadre de la procédure qualifiée de "droit d'accès indirect", utilisée pour obtenir communication et, éventuellement, rectification ou effacement des données personnelles contenues dans des fichiers particulièrement sensibles, en particulière les fichiers de police. Entendons-nous bien : ce "droit d'accès indirect" n'a rien d'un droit
d'accès. La notion ne figure pas dans la loi et l’on pourrait même être surpris que le Conseil d’Etat l’emploie dans la rédaction de l’arrêt.
Lorsqu'une personne craint de figurer dans un fichier intéressant la "sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique", elle peut saisir la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) qui désigne parmi ses membres un magistrat, pour procéder aux investigations utiles ainsi qu'aux modifications éventuellement nécessaires si le contenu de la fiche n'est pas conforme à la loi. Tel est le cas lorsque les informations qui y figurent apparaissent "inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées". Lorsque la Commission constate, en accord avec le gestionnaire du fichier, que les données stockées ne mettent pas en cause les finalités du traitement, elles peuvent être communiquées au requérant.
En l’espèce, le requérant, M. B., appuyait sa demande sur l’ancien article 41 de la loi du 6 janvier1978, mais les procédures n’ont guère changé et l’article 17 de la directive européenne « Police Justice » autorise aujourd'hui les Etats à maintenir ce droit d’accès indirect. Tout au plus observe-t-on que le décret du 1er août 2018 permet à la personne qui pense être fichée sur certains fichiers de police comme le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) d’adresser au ministère de l’intérieur une demande d’accès direct. Mais, en cas de refus, elle devra ensuite porter la question devant la CNIL, revenant ainsi au droit d’accès indirect.
M. B. a effectué ces démarches, en vue d’accéder aux informations le concernant, figurant dans un « fichier d’informations générales » géré par le ministère de l’intérieur. Il a obtenu un avis favorable de la CNIL, demeuré lettre morte. Il a ensuite obtenu du tribunal administratif une injonction sous astreinte à l’encontre du ministère. Celui-ci a finalement permis à M. B. de consulter sa fiche à la préfecture, mais il a refusé de lui en délivrer copie. Estimant que l’administration n’avait pas respecté son obligation de transparence, le requérant est donc retourné devant les juges, et il a, de nouveau, obtenu satisfaction. Le tribunal administratif, puis la Cour administrative d’appel (CAA) ont décidé de liquider l’astreinte et de donner au ministre une nouvelle injonction de délivrer copie des documents demandée. Heureusement pour le ministère de l’intérieur, il y a le Conseil d’Etat, qu’il a saisi en cassation.
La question posée est assez simple : le droit d’accès peut-il s’exercer par simple consultation, sans communication du document demandé ?
La réponse du Conseil d'Etat est claire : "Le responsable du traitement communique les informations sollicitées à la personne concernée selon les modalités qu'il définit". Et s'il limite l'information à une simple consultation, le demandeur doit tout simplement renoncer à obtenir copie du fichier. Le Conseil d'Etat attribue ainsi au ministre de l'intérieur le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des données personnelles concernant l'intéressé, alors même que celui-ci a obtenu de la CNIL et de la juridiction administrative une décision déclarant que ces informations ne sont couvertes par aucun secret et doivent lui être communiquées.
Le Conseil d'Etat heurte ainsi directement les principes généraux du droit de l'accès aux données. L'article L311-9 du code des relations avec le public prévoit ainsi qu'un document disponible sous forme électronique doit être communiqué "par courrier électronique et sans frais". Et la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique ajoute que « toute mise à disposition effectuée sous forme électronique en application du présent livre se fait dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ».
En l'espèce, le demandeur, au moment où il demande la liquidation de l'astreinte, n'est plus soumis au régime du droit d'accès indirect, puisque la CNIL comme les juges du fond ont estimé que les informations demandées étaient parfaitement communicables à l'intéressé. Ces dispositions législatives, concernant la procédure de droit commun de l'accès aux données, auraient donc dû être applicables. Mais le Conseil d'Etat a préféré ramener ce contentieux dans la procédure dérogatoire du droit d'accès indirect, offrant ainsi au ministère de l'intérieur le pouvoir de déroger au droit commun.
On pourrait ne voir dans cette décision que l'illustration d'une tendance traditionnelle du Conseil d'Etat à refuser la transparence administrative. A ses yeux, et ce n'est pas nouveau, le droit à l'information du citoyen est une prérogative inutile et même nuisible, dès lors que le juge administratif, protecteur-des-libertés-publiques, est le seul en mesure de comprendre l'action de l'administration et de la contrôler. Le citoyen est invité à dormir tranquille et ne pas ennuyer l'administration par des demandes intempestives, pendant que le Conseil d'Etat le protège.
En l'espèce, la décision profite essentiellement au juge administratif lui-même. Revenons en effet à la situation d'origine, et au cas d'une personne qui veut accéder à la fiche le concernant pour engager un contentieux contre l'administration. Après l'avoir empêché de se procurer la preuve incontestable d'un comportement illicite de l'administration, le Conseil d'Etat pourra agir en toute liberté dans le contentieux qui suivra. S'il veut écarter le recours, il lui suffira d'invoquer l'absence de preuve, absence incontestable puisque c'est sa propre jurisprudence qui empêche l'intéressé de se la procurer. SI le Conseil d'Etat veut en revanche accueillir le recours, il pourra se faire communiquer la fiche demandée et l'utiliser comme élément de preuve. Mais rien ne l'y contraint, et le juge administratif pourra donc protéger les libertés, quand il en aura envie.
Lorsqu'une personne craint de figurer dans un fichier intéressant la "sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique", elle peut saisir la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) qui désigne parmi ses membres un magistrat, pour procéder aux investigations utiles ainsi qu'aux modifications éventuellement nécessaires si le contenu de la fiche n'est pas conforme à la loi. Tel est le cas lorsque les informations qui y figurent apparaissent "inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées". Lorsque la Commission constate, en accord avec le gestionnaire du fichier, que les données stockées ne mettent pas en cause les finalités du traitement, elles peuvent être communiquées au requérant.
En l’espèce, le requérant, M. B., appuyait sa demande sur l’ancien article 41 de la loi du 6 janvier1978, mais les procédures n’ont guère changé et l’article 17 de la directive européenne « Police Justice » autorise aujourd'hui les Etats à maintenir ce droit d’accès indirect. Tout au plus observe-t-on que le décret du 1er août 2018 permet à la personne qui pense être fichée sur certains fichiers de police comme le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) d’adresser au ministère de l’intérieur une demande d’accès direct. Mais, en cas de refus, elle devra ensuite porter la question devant la CNIL, revenant ainsi au droit d’accès indirect.
M. B. a effectué ces démarches, en vue d’accéder aux informations le concernant, figurant dans un « fichier d’informations générales » géré par le ministère de l’intérieur. Il a obtenu un avis favorable de la CNIL, demeuré lettre morte. Il a ensuite obtenu du tribunal administratif une injonction sous astreinte à l’encontre du ministère. Celui-ci a finalement permis à M. B. de consulter sa fiche à la préfecture, mais il a refusé de lui en délivrer copie. Estimant que l’administration n’avait pas respecté son obligation de transparence, le requérant est donc retourné devant les juges, et il a, de nouveau, obtenu satisfaction. Le tribunal administratif, puis la Cour administrative d’appel (CAA) ont décidé de liquider l’astreinte et de donner au ministre une nouvelle injonction de délivrer copie des documents demandée. Heureusement pour le ministère de l’intérieur, il y a le Conseil d’Etat, qu’il a saisi en cassation.
Administré cherchant à avoir copie de ses données personnelles
Labyrinthe de Paphos
Le pouvoir discrétionnaire du ministre
La question posée est assez simple : le droit d’accès peut-il s’exercer par simple consultation, sans communication du document demandé ?
La réponse du Conseil d'Etat est claire : "Le responsable du traitement communique les informations sollicitées à la personne concernée selon les modalités qu'il définit". Et s'il limite l'information à une simple consultation, le demandeur doit tout simplement renoncer à obtenir copie du fichier. Le Conseil d'Etat attribue ainsi au ministre de l'intérieur le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des données personnelles concernant l'intéressé, alors même que celui-ci a obtenu de la CNIL et de la juridiction administrative une décision déclarant que ces informations ne sont couvertes par aucun secret et doivent lui être communiquées.
Le Conseil d'Etat heurte ainsi directement les principes généraux du droit de l'accès aux données. L'article L311-9 du code des relations avec le public prévoit ainsi qu'un document disponible sous forme électronique doit être communiqué "par courrier électronique et sans frais". Et la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique ajoute que « toute mise à disposition effectuée sous forme électronique en application du présent livre se fait dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ».
En l'espèce, le demandeur, au moment où il demande la liquidation de l'astreinte, n'est plus soumis au régime du droit d'accès indirect, puisque la CNIL comme les juges du fond ont estimé que les informations demandées étaient parfaitement communicables à l'intéressé. Ces dispositions législatives, concernant la procédure de droit commun de l'accès aux données, auraient donc dû être applicables. Mais le Conseil d'Etat a préféré ramener ce contentieux dans la procédure dérogatoire du droit d'accès indirect, offrant ainsi au ministère de l'intérieur le pouvoir de déroger au droit commun.
On pourrait ne voir dans cette décision que l'illustration d'une tendance traditionnelle du Conseil d'Etat à refuser la transparence administrative. A ses yeux, et ce n'est pas nouveau, le droit à l'information du citoyen est une prérogative inutile et même nuisible, dès lors que le juge administratif, protecteur-des-libertés-publiques, est le seul en mesure de comprendre l'action de l'administration et de la contrôler. Le citoyen est invité à dormir tranquille et ne pas ennuyer l'administration par des demandes intempestives, pendant que le Conseil d'Etat le protège.
En l'espèce, la décision profite essentiellement au juge administratif lui-même. Revenons en effet à la situation d'origine, et au cas d'une personne qui veut accéder à la fiche le concernant pour engager un contentieux contre l'administration. Après l'avoir empêché de se procurer la preuve incontestable d'un comportement illicite de l'administration, le Conseil d'Etat pourra agir en toute liberté dans le contentieux qui suivra. S'il veut écarter le recours, il lui suffira d'invoquer l'absence de preuve, absence incontestable puisque c'est sa propre jurisprudence qui empêche l'intéressé de se la procurer. SI le Conseil d'Etat veut en revanche accueillir le recours, il pourra se faire communiquer la fiche demandée et l'utiliser comme élément de preuve. Mais rien ne l'y contraint, et le juge administratif pourra donc protéger les libertés, quand il en aura envie.
Sur la protection des données : Chapitre 7 Section 5 du manuel de Libertés publiques sur internet
Que dire de plus que votre lumineuse conclusion sur la pratique de la plus haute juridiction administrative !
RépondreSupprimerCelle qui méconnaît sciemment les dispositions élémentaires des droits de la défense contenues dans la déclaration universelle des droits de l'Homme de l'ONU (1948), de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés du Conseil de l'Europe (1950) et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (2000)...!
Celle qui a fait traîner jusqu'en 1974 la ratification par la France de la convention du Conseil de l'Europe précitée de 1950, de crainte de voir certaines de ses décisions censurées par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) !
Celle dont le vice-président, Bruno Lasserre, récemment mis en examen pour complicité de harcèlement moral dans une affaire remontant à sa présidence de la Haute Autorité de la concurrence, refuse de quitter son poste, mettant en avant la présomption d'innocence dont il refuse d'accorder le bénéfice aux citoyens qui en demandent l'application devant le Conseil d'Etat ! (voir Jean-Baptiste Jacquin, Mis en examen, le vice-président du Conseil d'Etat se défend, Le Monde, 6-7 octobre 2019) !
No comment...