Pour les Parisiens et Franciliens qui n'ont pas le privilège de disposer d'une voiture de fonction, le vendredi 13 septembre 2019 n'est pas un jour de chance. Les employés de la RATP ont en effet décidé d'exercer leur droit de grève, pour protester contre le projet de réforme des retraites. De fait, beaucoup de lignes de métro demeurent fermées et ne fonctionnent normalement que celles qui sont entièrement automatisées. L'évènement suscite évidemment une interrogation sur l'articulation entre le droit de grève et le principe de continuité du service public. Or, il semble bien que l'équilibre entre ces deux normes juridiques connaisse actuellement une évolution très sensible. On peut se demander si les règles législatives visant à les concilier ne sont pas purement et simplement ignorées, tant par les grévistes que par les autorités publiques.
Le droit de grève
Le 7ème
alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, aujourd'hui intégré dans le bloc de constitutionnalité mentionne : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le
réglementent ». Cette disposition a pour conséquence de
constitutionnaliser le droit de grève, mais aussi d’en marquer les limites.
Il est évidemment constitutionnalisé, et le Conseil constitutionnel s'est référé pour la première fois aux dispositions du Préambule dans sa décision du 25juillet 1979. Il annule alors des dispositions législatives autorisant
les présidents d’entreprises de radio et de télévision à faire assurer un
« service normal » en cas
de cessation du travail. Par la suite, dans sa décision des 19 et 20 janvier 1981, il énonce que les peines prévues en cas
d’entrave à la circulation des trains ne sauraient viser les personnes
exerçant légalement « le droit de
grève reconnu par la Constitution".
Certes, mais le Préambule affirme aussi que le
droit de grève s’exerce « dans
le cadre des lois qui le réglementent ». Il revient donc au législateur d’organiser son exercice et
d’en poser les bornes, à la condition toutefois de ne pas
l’interdire de manière générale et absolue. Il doit donc « opérer la
conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la
grève est un moyen et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut
être de nature à porter atteinte ». Dans
sa décision du 19 mars 2012, le Conseil admet ainsi que la loi pose
certaines restrictions au droit de grève dans le transport aérien.
Cette compétence législative n'interdit pas la compétence réglementaire. Bien avant l'actuelle constitution, le Conseil d'Etat, dans l'arrêt Dehaene de 1950 affirmait qu''il appartient au gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fixer lui-même, sous le contrôle du juge, la nature et l'étendue desdites limites (...)". L'émergence du pouvoir réglementaire autonome en 1958 n'a pas modifié cette jurisprudence, permettant même d'organiser le droit de grève par simple circulaire (arrêt Union syndicale de l'aviation civile CGT du 13 novembre 1992). Il appartient alors au Conseil d'Etat que l'équilibre entre la défense des droits des travailleurs et la sauvegarde de l'intérêt général est convenablement assuré.
Dans le metro. Louis Latapie. 1891-1972 |
Le transport terrestre
Dans l'ensemble du secteur public, l'intérêt général invoqué pour restreindre le droit de grève réside toujours dans le principe de continuité du service public. Dans l'arrêt Dehaene, le Conseil d'Etat rappelle ainsi que ce droit peut "être limité en raison des exigences de fonctionnement des services publics". Sur ce fondement, le législateur prive ainsi du droit de grève les agents associés aux fonctions régaliennes de l'Etat, en particulier les membres des forces armées.
Le droit commun de la fonction publique soumet ainsi la grève à des règles de procédure, notamment un préavis obligatoire avant la cessation du travail. Les années récentes ont toutefois vu se multiplier les lois destinées à garantir un service minimum dans certains services, l'idée étant très clairement d'assurer un respect plus grand du principe de continuité. La loi du 20 août 2008 impose ainsi un "droit d’accueil" dans les écoles maternelles et primaires et celle du 19 mars 2012 contraint le transport aérien à un service minimum en cas de cessation du travail.
Tel était aussi l'objet de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social, titre qui ne reflète guère le contenu réel du texte. Il s'agissait en effet bien davantage d'imposer le service minimum dans les transports que de préciser les modalités de la négociation. Ses dispositions, aujourd'hui intégrées au code des transport, empêchent, du moins en principe, qu'une ligne entière soit fermée durant toute une journée de grève.
Aux termes de l'actuel article L 1222-2 du code des transports, il appartient en effet à l'autorité organisatrice de transports (AOT), en l'espèce Ile de France Mobilités qui a succédé au STIF, de définir les dessertes prioritaires en cas de perturbations, qu'il s'agisse de travaux, d'incidents techniques ou climatiques, ou encore de grèves. Elle fixe ainsi les fréquences et les plages horaires, afin d'assurer un "niveau minimal de service" qui doit "permettre d'éviter que soit
portée une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, à la
liberté d'accès aux services publics, à la liberté du travail, à la
liberté du commerce et de l'industrie et à l'organisation des transports
scolaires" (art. L 1222-3). Ensuite des "plans de desserte" sont élaborés au niveau de l'entreprise, des "accords collectifs de prévisibilité" sont adoptés, recensant les catégories et nombre d'agents indispensables à la mise en oeuvre du service minimum.
Qu'est devenue cette législation ? les Parisiens et les Franciliens seraient fondés à se poser la question avec d'autant plus d'acuité que ces dispositions ont été appliquées dans les années récentes. Un service minimum existait effectivement en cas de grève, applicable à l'ensemble du réseau RATP et l'on ne trouvait plus de stations totalement fermées ou de lignes totalement interrompues durant une journée entière.
Or, aujourd'hui, les dispositions du code des transports sont demeurées lettre morte. Les usagers se sont vus conseiller de rester chez eux et de prendre une journée de vacances. La loi deviendrait-elle un simple instrument que l'on peut écarter pour des motifs conjoncturels ? Doit-on penser que la continuité du service public et l'intérêt des usagers ont été ignorés dans le seul but de ne pas durcir un mouvement social déjà préoccupant ? On ne saurait imaginer une telle chose car il est évident qu'un gouvernement qui veut imposer le respect de la loi doit d'abord lui-même la respecter.
Doit-on conclure à l'abandon des dispositions législatives encadrant le droit de grève dans les transports ? Si l'on rapproche ce laxisme de l'oubli des conditions de déclaration des manifestations lors de la crise des gilets jaunes, on ne peut qu'être frappé, non par un développement des libertés publiques, mais par un mélange de tolérance et d'impuissance des autorités.
Les dispositions du Code des transports que vous évoquez ici sont mises en oeuvre dans les contrats qui lient, d'une part, le STIF (ce n'est qu'après l'entrée en vigueur de la loi sur les mobilités qu'on pourra l'appeler IDF mobilités et ce même si cet établissement public a anticipé les choses dans sa communication, mais pas dans ses décisions publiées à son RAA) et, d'autre part, SNCF mobilités ou la RATP.
RépondreSupprimerLa seule chose qui différencie la grève de ce vendredi 13 septembre et d'autres il y a quelques mois ou années c'est qu'elle était trop suivie pour que la RATP dispose d'assez de conducteurs pour assurer un minimum de trains sur toutes les lignes.
Il ne s'agit pas à proprement parler d'un service minimum, lequel supposerait un droit de réquisition d'un certain nombre d'agents, mais seulement d'un service garanti, sous peine de pénalités pour le transporteur.