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mardi 7 mai 2019

Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable

Dans une décision du 17 avril 2019, le Conseil d'Etat fixe à 59 ans révolus "l'âge de procréer" pour les hommes utilisant une technique d'assistance médicale à la procréation (AMP). 

En l'espèce, le couple requérant, M. et Mme C. souhaitent utiliser les gamètes congelés du mari prélevés entre 2008 et 2010, alors qu'il avait 61 et 63 ans. En 2016, alors que M. C. a désormais 68 ans, et conformément à la procédure imposée par l'article L 2141-11-1 du code de la santé publique, ils demandent l'autorisation de les transférer vers une clinique située à Valence, en Espagne, pays qui ne connaît aucune limite d'âge dans ce domaine. Ils se voient opposer un refus, d'abord annulé par le tribunal administratif de Montreuil, qui constate que la loi ne fixe pas de limite d'âge en matière de procréation masculine. Par la suite la Cour administrative d'appel de Versailles annule ce jugement en estimant que M. C. était trop âgé au moment de l'exportation de ses gamètes. C'est ce jugement qu'annule le Conseil d'Etat, sans pour autant donner satisfaction au couple. Il considère en effet que l'âge de procréer masculin doit être fixé à 59 ans, âge du recueil des gamètes. Autrement dit, il faut avoir moins de 59 ans révolus au moment du don de sperme et non pas au moment de l'insémination.


L'âge de procréer chez les femmes



La loi est pourtant loi d'être aussi claire. Aux termes de l'article L 2141-2 du code de la santé publique, l'assistance médicale à la procréation est ouverte à un couple, pour remédier à une infertilité pathologique. Selon ces dispositions, « l’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer... ». Mais le code reste muet sur ce qu'il faut entendre par « âge de procréer ». Pour les femmes, il n’est mentionné que dans une décision du 11 mars 2005 de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie selon laquelle la prise en charge de la fécondation in vitro s’interrompt au jour du 43e anniversaire. Cette limite repose sur des considérations médicales, les risques devenant plus importants lors d’une grossesse tardive et les chances de parvenir à une naissance plus limitées. Mais les motifs financiers ne sont pas absents, dès lors que l’assurance maladie ne souhaite pas continuer à financer des techniques d'AMP coûteuses, lorsque les chances de succès deviennent plus réduites. En tout état de cause, la limite d’âge féminine est donc fixée à la date à laquelle l’assurance maladie refuse la prise en charge de l’intervention. Et il faut bien reconnaître qu'elle est définie par une norme juridique qui est bien loin d'avoir l'autorité d'une norme législative.


Une construction prétorienne


Aucune norme de ce type n’existe pour les hommes, et le Conseil d’Etat se livre donc à une construction purement prétorienne. S'il ne conteste pas que l'on pourrait se fonder sur un critère social appréciant l'âge du père au moment de l'AMP, il préfère se fonder sur un critère purement biologique l'appréciant à la date de son don de gamètes.

Mais d’où vient cette limite de 59 ans ? Pourquoi pas 58 ou 61ans ?  Sur ce point, le Conseil d’Etat se borne à reprendre l’avis rendu le 8 juin 2017 par l’Agence de la Biomédecine, avis qui se fonde sur différentes études médicales. Celles-ci mettent en lumière une corrélation entre l'âge du donneur lors du prélèvement de gamètes et différents risques tant pour le développement de l'embryon que pour la santé de l'enfant à naître (anomalies à la naissance et maladies génétiques). Les médecins ont donc fixé à 59 ans la date limite, et le Conseil d'Etat la reprend à son compte.


La remise en cause d'une jurisprudence libérale



Il n'est évidemment pas anormal que, dans ces domaines, les décisions de justice soient plus ou moins dictées par les experts. On constate toutefois que cette décision va à l'encontre d'une évolution libérale du droit applicable en ce domaine.

C'est ainsi que l'AMP, conformément à une promesse du Président de la République, pourrait bientôt être accessible aux couples de femmes, remettant en cause l'actuelle définition de" l'homme et la femme formant couple". On observe cependant que la révision de la loi de bioéthique qui, aurait dû intervenir en 2018, n'est pas encore intervenue, les débats étant régulièrement repoussés. De même la référence au "couple vivant" connaît désormais des dérogations, par exemple dans le cas de deux époux ayant la nationalité de pays admettant une telle pratique, le mari ayant formellement exprimé un tel désir avant son décès, ou lorsque la femme avait perdu un enfant in utero à la suite du décès de son mari. Le juge prend ainsi en considération les "circonstances particulières" de chaque affaire.
Calvin & Hobbes. Bill Watterson

Les paradis du sperme


C'est précisément ce que ne fait pas le Conseil d'Etat, dans sa décision du 17 avril 2019. L'âge de procréer pour les hommes est fixé à 59 ans, sans prise en compte des éventuelles circonstances particulières. Cette précision a quelque chose de surprenant si l'on considère que la décision du juge ne trouve son fondement dans aucune disposition législative ou réglementaire.

On comprend que le juge veut éviter certaines dérives, conduisant à des grossesses tardives mais, à dire vrai, ces dérives concernent essentiellement des femmes. On a ainsi vu une femme de soixante-deux ans bénéficier d'une insémination avec donneur aux Etats-Unis avant de revenir accoucher en France. Il n'existe, en l'état actuel du droit, aucun moyen d'empêcher de telles pratiques.

Pour les hommes, les choses sont encore plus simples, car rien n'empêche ni n'interdit à un homme de 60 ans, et même beaucoup plus âgé, d'avoir un enfant. Sans doute prend-il alors un risque, mais là encore le droit ne peut rien faire pour lui interdire cette paternité. En revanche, si ses gamètes peuvent être utilisés immédiatement et selon une méthode "artisanale",  ils ne peuvent pas être congelés pour être utilisés plus tard. Il ne fait guère de doute que les intéressés ne vont pas tarder à tirer les leçons de cette jurisprudence, en allant tout simplement conserver leurs gamètes à l'étranger. Ils n'auront plus à solliciter l'exportation et pourront directement accéder à l'AMP dans le pays choisi. Après les paradis fiscaux, les paradis de mères porteuses, nous aurons donc les paradis du sperme.



Sur les bénéficiaires de l'AMP : Chapitre 7 section 3 § 2 B  du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.


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