Dans son arrêt de chambre rendu le 29 avril 2019 A.M. c. France, la Cour européenne des droits de l'homme estime que le renvoi vers du requérant vers l'Algérie n'emporte pas, en soi, une violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
A.M., ressortissant algérien, s'est
installé en France en 2008. Il a été condamné en 2015 pour
participation à des actes terroristes. Cette condamnation était fondée
sur les liens qu'il avec entretenu avec Al Qaida au Maghreb
Islamique (AQMI). En 2013, il avait projeté de rejoindre clandestinement
un camp d'entrainement de cette organisation, et lui avait soumis des
projets d'attentats visant notamment le musée du Louvre et la Tour
Eiffel. Sa peine de six ans d'emprisonnement pour association de
malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste est alors
accompagnée d'une peine complémentaire d'interdiction définitive du
territoire français.
Les procédures engagées
Le
problème est que l'intéressé redoute d'être poursuivi en Algérie,
également pour des faits liés au terrorisme. Libérable en mars 2018, il
va donc engager deux séries de recours pour essayer d'échapper à son
renvoi en Algérie. D'une part, il conteste la décision administrative
fixant son pays de destination, d'abord par un référé devant le tribunal
administratif de Lyon, puis par un recours au fond devant celui de
Lille. Il n'a pas fait appel de l'échec de son référé, mais l'appel
contre le jugement de rejet au fond est actuellement pendant devant la
Cour administrative d'appel de Douai. D'autre part, il a formé une
demande d'asile, évidemment rejetée par l'OFRPRA puis par la CNDA, son
recours en cassation n'étant pas encore jugé.
L'épuisement des recours internes
On pourrait penser que l'intéressé n'a pas satisfait à la condition d'épuisement
des voies de recours internes, mais la CEDH se montre nuancée sur cette
question, et distingue selon les instances en cours. Elle estime que
cette condition n'est pas remplie dans le cas du référé dirigé contre le
choix du pays de destination, car le Conseil d'Etat, intervenant en
urgence, aurait dû se prononcer dans un délai de six jours, c'est à dire
avant la libération de l'intéressé. A.M. "n'a donc pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir avant sa libération la suspension de l’arrêté fixant son pays de destination".
En revanche, elle considère que cette condition est remplie pour le
contentieux de l'asile, dès lors que les tribunaux se sont déjà
prononcés sur le fond de la requête. Elle estime donc la requête
recevable.
Sur le fond, la CEDH, conformément à sa jurisprudence F.G. c. Suède du 23 mars 2016, se concentre sur les conséquences prévisibles de l’expulsion du requérant vers le
pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des
circonstances propres à l’intéressé.
Un prophète. Jacques Audiard, 2009. Karim Leklou, Mohamed Makhtoumi |
La situation en Algérie
Au regard de la situation algérienne, la décision semble s'analyser comme un revirement par rapport à une jurisprudence issue de l'arrêt Daoudi c. France du 3 décembre 2009 et en vigueur jusqu'à l'arrêt M.A. c. France du 1er février 2018. Au moment de l'affaire Daoudi, la Cour décrit une Algérie des années 2007 à 2009, dans laquelle les services de sécurité se livrent à la torture, situation dénoncée aussi bien par les ONG comme que par le Département d'Etat américain. Dans l'affaire M.A. c. France, c'est cette fois l'Algérie des années 2009 à 2015 qui est décrite, la menace terroriste étant utilisée pour justifier un recours très fréquent à la torture. Durant cette même période, la Cour remarque que les autorités algériennes ont refusé toute visite des organes et experts des Nations Unies compétents en matière de droits de l'homme.
La situation politique et juridique décrite dans l'arrêt du 29 avril 2019 est bien différente. La CEDH prend note de la révision de la Constitution algérienne en 2016, qui renforce certains droits fondamentaux et a entrainé la dissolution de la police politique. Certes, tous les problèmes sont loin d'être résolus, mais la plupart des rapports indépendants, et notamment ceux du Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui a pu se rendre sur place, ne font plus état de tortures à l'encontre de personnes liées au terrorisme. Par ailleurs, aucune des personnes remises par la France à l'Algérie pour répondre de ce type de faits n'a allégué avoir subi de tels traitements.
La situation de l'intéressé
La situation personnelle de l'intéressé est considérée avec davantage de distance par la Cour. Il est vrai que les autorités françaises ont produit une note des autorités algériennes, datée de novembre 2018, et mentionnant que A.M. ne fait actuellement l'objet d'aucune poursuite judiciaire en Algérie, et que son casier judiciaire est vierge. La Cour en déduit que le risque de tortures est pour le moins réduit. Rien n'interdit en revanche aux autorités algériennes, d'engager des poursuites contre l'intéressé dès qu'il aura mis le pied sur le sol algérien, et de le placer en détention provisoire. Si la CEDH a pour mission d'empêcher le renvoi des personnes vers des pays qui pratiquement la torture, son rôle n'est pas d'empêcher qu'elles soient poursuivies pour des faits liés au terrorisme.
Contrairement à ce qui a été affirmé par certains commentateurs, la décision n'est pas un "spectaculaire revirement" de jurisprudence. En effet, ce n'est pas la jurisprudence de la CEDH qui a évolué, c'est la situation en Algérie, rendant possibles les mesures d'expulsion vers ce pays. C'est sans doute la raison pour laquelle le renvoi en Grande Chambre, s'il n'est pas totalement exclu, demeure peu probable, en l'absence de réelle contradiction jurisprudentielle. A sa manière, la Cour salue et encourage l'évolution en cours en Algérie et affiche une volonté de normalisation, voire un soutien discret à un processus de renforcement de l'Etat de droit.