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jeudi 4 avril 2019

La loi "anti-casseurs" devant le Conseil constitutionnel, ou la satisfaction générale

Le Conseil constitutionnel a donc rendu sa décision le 4 avril 2019 sur la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations. Il prononce une non-conformité partielle qui porte sur la procédure la plus contestée de la loi, c'est-à-dire la possibilité offerte à l'autorité administrative de prononcer une interdiction individuelle de manifester. 

La décision était d'autant plus attendue que, en plus des saisines parlementaires, la loi avait fait l'objet d'une "saisine blanche" du Président de la République, procédure suffisamment rare pour être remarquée. La procédure visait à préempter d'éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité pour empêcher l'effet dévastateur dans l'opinion de l'abrogation des dispositions sur l'interdiction de manifester à l'occasion du recours déposé par un Gilet Jaune ayant fait l'objet d'une telle mesure. Aujourd'hui, la décision intervient en amont, c'est-à-dire à un moment où personne ne peut se présenter comme la victime d'une disposition anticonstitutionnelle.


 La liberté de manifester



A cette occasion, le Conseil rappelle "sur la base de l'article 11 de la Déclaration de 1789, que la liberté d'expression et de communication, dont découle le droit d'expression collective des idées et des opinions, est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie (...)". La formule n'est pas récente, et le Conseil qualifiait déjà la liberté de manifester de "droit constitutionnellement" protégé dans sa décision QPC du 25 février 2010, sans pour autant lui accorder une réelle autonomie par rapport à la liberté d'expression. La conséquence en est l'exercice du contrôle de proportionnalité, puisque le Conseil s'assure que le législateur a opéré une conciliation satisfaisante entre les exigences de l'ordre public et la liberté de manifester. Dans sa décision du 4 avril 2019, le Conseil se livre à ce contrôle de proportionnalité et il s'y livre de manière très opportune car sa décision réussit finalement à satisfaire tout le monde.


Les opposants



Les opposants à la loi peuvent se réjouir. N'ont-ils pas obtenu l'annulation de la disposition la plus contestée, l'article 3 de la loi ? Il intégrait au code de la sécurité intérieure un nouvel article L 211-4-1 permettant au préfet d'interdire à une personne de participer à une manifestation lorsque "par ses agissements à l'occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l'intégrité physique des personnes ainsi qu'à des dommages importants aux biens ou par la commission d'un acte violent (...) elle "constitue une menace pour l'ordre public".

Le Conseil constitutionnel censure ces dispositions sans s'embarrasser de précautions. Il montre que l'arrêté d'interdiction peut être pris lorsque la personne a commis soit un "acte violent", soit un "agissement" à l'occasion de manifestations violentes, mais le législateur n'a pas prévu de lien autre que géographique entre le comportement de l'intéressé et les violences commises durant la manifestation. Il n'a pas précisé s'il devait en être l'auteur, le complice ou le simple témoin. Il n'a pas davantage défini l'ancienneté de ce comportement. Peut-on être interdit de manifestation en 2019 pour un "acte violent" commis vingt ans plus tôt ? La loi ne donne aucune précision sur ces points, et le Conseil affirme donc qu'elle laisse à l'autorité administrative une "lattitude excessive" dans l'appréciation des motifs susceptibles de justifier l'interdiction.

Sur ce point, la décision n'est guère surprenante, et les rédacteurs du texte auraient peut-être dû regarder un peu plus en détail la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 19 février 2016 rendue à propos de la loi de prorogation de l'état d'urgence, il a déjà mentionné que la fermeture des lieux de réunion portait atteinte à la liberté d'expression collective des idées et de réunion et qu'à ce titre, il convenait d'exercer un contrôle de proportionnalité. La fermeture d'un lieu de réunion devait ainsi être justifié par le fait que cette réunion était "de nature à provoquer ou entretenir le désordre". Les motifs de la mesure de police doivent donc être en lien direct avec la menace pour l'ordre public, ce qui n'est pas le cas dans l'interdiction de manifester.

L'une des conséquences de cette annulation est de nature à réjouir particulièrement les opposants au texte. En l'absence d'interdiction de manifester, le fichage n'est plus utile et l'article 4 de la loi se trouve vidé de son contenu. Il prévoyait en effet l'inscription sur le fichier des personnes recherchées de celles interdites de manifester. Seules les personnes ayant fait l'objet d'une condamnation judiciaire à une telle interdiction peuvent, en l'état actuel des choses, figurer dans le fichier.

Quand les pavés volent. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.
Jean Yanne 1972

Les partisans


Alors qu'un pan entier de la loi semble s'être effondré, les partisans de ses dispositions devraient aussi être effondrés. Ils ont pourtant aussi quelques raisons de se réjouir.

Ils ne manqueront pas de faire observer que les autres dispositions ont été validées par le Conseil, sans réserve. Tel est le cas de l'article 2 qui autorise les contrôles et les fouilles sur les lieux d'une manifestation ou à ses abords immédiats, sur réquisition judiciaire. Le Conseil fait observer en effet que ces mesures ont une finalité de police judiciaire, en l'espèce la recherche des auteurs d'infractions de nature à troubler le déroulement d'une manifestation. Placées sous le contrôle d'un magistrat, ne visant que des lieux déterminés pour une période de temps limitées, ces mesures sont donc proportionnées à l'objectif poursuivi et n'ont pas pour effet de porter atteinte à la liberté de manifestation. L'article 6 qui fait de la dissimulation du visage un délit dès lors qu'elle intervient lors d'une manifestation n'est pas davantage sanctionné. Aux yeux du Conseil, l'infraction est définie de manière suffisamment précise et ne vise que les personnes qui entendent empêcher leur identification alors que les troubles à l'ordre public sont manifestes.

Même l'annulation de l'article 3 n'est pas une si mauvaise nouvelle pour les partisans de la loi. Car ce n'est pas le principe même de l'interdiction de manifester qui est censuré mais les conditions de sa mise en oeuvre. Le Conseil aurait pu, par exemple, estimer qu'une interdiction administrative était, en soi, une mesure disproportionnée, dès lors qu'il existe déjà une interdiction judiciaire de manifester. Il s'en est bien gardé et s'est borné à sanctionner l'imprécision des motifs de la décision individuelle d'interdiction. Sur le plan juridique, il suffirait donc de modifier la loi pour substituer à l'actuel charabia une rédaction un peu plus rigoureuse pour obtenir une décision de conformité.

Peut-être convient-il de rappeler, à ce propos, que le Président de la République conserve la faculté, sur le fondement de l'article 10 de la Constitution, de demander au parlement une nouvelle délibération avant la promulgation de la loi. Le cas s'est produit après la décision du 23 août 1985 sur la Nouvelle Calédonie, lorsque le président Mitterrand a demandé une nouvelle délibération pour mettre la loi en conformité avec la décision. Le Président Macron fera-t-il la même chose ? Ou choisira-t-il de promulguer la loi amputée de son article 3, au risque de mettre en oeuvre un texte à peu près sans intérêt ? A moins qu'il préfère qu'un nouveau projet de loi soit déposé, repoussant  l'entrée en vigueur de dispositions présentées comme indispensables à la gestion de la crise des Gilets Jaunes ? Toutes les options sont ouvertes, et il devra choisir la meilleure, ou plutôt la moins mauvaise.

Pour le moment, le grand vainqueur dans l'affaire est le Conseil constitutionnel lui-même, qui sera salué comme un grand protecteur des libertés par les uns et comme une assemblée pleine de sagesse par les autres.


Sur la liberté de manifestation : Chapitre 12 section 1 § 2 du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.

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