385 paragraphes et 93 pages, la décision du 21 mars 2019 sur la loi de programmation et de réforme pour la justice est certainement la décision la plus longue rendue à ce jour par le Conseil constitutionnel. Le résultat est qu'elle a été assez faiblement médiatisée, peut-être parce que les journalistes n'ont pas eu le courage d'aller jusqu'au bout d'une lecture quelque peu fastidieuse et aussi parce qu'il n'est pas facile de la synthétiser en quelques phrases. Sur les 109 articles de la loi, 57 étaient contestés par les quatre recours déposés par les députés et les sénateurs de l'opposition de droite comme de gauche.
La loi n'est pas sortie intacte de l'examen, et 13 de ses articles ont été censurés, articles qui ne sont pas sans importance même si ces censures ne modifient pas l'équilibre général du texte. Le plus important dans la décision réside sans doute dans les dispositions qui ne sont pas censurées et qui ont fait l'objet d'un contrôle presque inexistant.
La loi n'est pas sortie intacte de l'examen, et 13 de ses articles ont été censurés, articles qui ne sont pas sans importance même si ces censures ne modifient pas l'équilibre général du texte. Le plus important dans la décision réside sans doute dans les dispositions qui ne sont pas censurées et qui ont fait l'objet d'un contrôle presque inexistant.
Le volet civil
Sur le volet civil de la loi, une seule disposition a été annulée, qui confiait aux caisses d'allocations familiales, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, la révision des pensions alimentaires. Or ces caisses sont des personnes privées qui devenaient donc compétente pour réviser une décision de justice, compétence qui avait été écartée par le Sénat mais réintroduite dans la loi par l'Assemblée. Le Conseil constitutionnel observe que, selon l'article L 581-2 du code de la sécurité sociale, ces mêmes caisses sont tenues de verser une allocation de soutien en cas de défaillance du parent débiteur. Elles ont donc tout intérêt à ce que la pension soit révisée à la baisse, puisque, dans ce cas, le parent débiteur ne sera plus défaillant et elles ne devront plus verser l'allocation de soutien.
Le Conseil constitutionnel aurait sans doute pu sanctionner durement cette disposition pour atteinte à la séparation des pouvoirs, et l'on observe qu'il cite sa décision QPC du 10 novembre 2011 dans le dossier documentaire diffusé pour éclairer sa décision. Il observait alors que la décision d'un ministre classant une information secret-défense avait pour conséquence d'empêcher les investigations d'un juge d'instruction. En l'espèce pourtant, il préfère se fonder sur la violation du principe d'impartialité, dès lors que les caisses avaient un intérêt financier dans la décision. On a tout de même un peu de mal à imaginer que les auteurs de la loi n'aient pas vu ce problème... A moins qu'ils aient préféré écarter le principe d'impartialité pour privilégier un intérêt purement financier ?
En dehors de ce cas, le volet civil de la loi est peu touché par la décision du Conseil. La fusion du tribunal d'instance et du tribunal de grande instance en un seul tribunal judiciaire n'est pas remise en cause. Il en est de même du recours aux modes alternatifs de règlement des différents (MARD) qui subordonne à une tentative de règlement amiable préalable la recevabilité de certaines demandes en matière civile (art. 3). Les litiges inférieurs à un certain montant devront ainsi être obligatoirement soumis à médiation, procédure amiable qui devient donc une condition de recevabilité du recours contentieux. Le Conseil précise cependant que le pouvoir réglementaire devra préciser la notion de "motif légitime" susceptible de justifier la saisine directe du juge, notamment en cas d'urgence.
Le volet pénal de la loi est davantage mis à mal par la décision du 21 mars 2019. et c'est évidemment son élément le plus remarqué.
L'article 44 prévoyait ainsi de généraliser à toutes les infractions la possibilité de recourir à l'interception des communications, possibilité déjà offerte durant l'enquête de flagrance et durant l'instruction, pour constater des crimes d'une complexité et d'une gravité particulières, rechercher des preuves et identifier leurs auteurs. Dans une jurisprudence constante, le Conseil affirme qu'une telle atteinte à la vie privée des personnes doit être à la fois nécessaire à la manifestation de la vérité et proportionnée à la gravité et à la complexité des infractions. En l'espèce, le législateur a élargi l'usage de ces techniques d'interception, sans prévoir aucune possibilité de contrôle de leur caractère nécessaire et proportionné. Aux yeux du Conseil, le législateur n'a donc pas opéré une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions. Cette annulation aurait sans doute pu être prévue car elle s'inscrit dans la droite ligne de la décision du 16 septembre 2010 relative au fichier des empreintes génétiques.
L'article 46 est également censuré, dans la mesure où il prévoyait le recours à des "techniques spéciales d'enquête" lors de l'enquête de flagrance et de l'enquête préliminaire, une nouvelle fois pour tous les crimes et plus seulement ceux relevant du terrorisme et de la grande criminalité. Ces "techniques spéciales" désignent des moyens d'ingérence dans la vie privée et de repérage, en particulier par la sonorisation de certains lieux, la captation d'images ou de communications. Là encore, l'absence de contrôle est sanctionnée, car il n'était pas prévu que le juge des libertés et de la détention, censé contrôler leur usage, ait accès à l'ensemble des éléments de la procédure. L'absence de conciliation entre les libertés individuelles et l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions se trouve donc une nouvelle fois sanctionnée. D'une manière générale, le Conseil sanctionne une tendance lourde, bien antérieure à la présente loi, qui consiste à accroître les prérogatives du parquet lors de l'enquête préliminaire en ne conférant au juge des libertés et de la détention (JLD) qu'un pouvoir de contrôle purement symbolique.
Enfin, le Conseil censure l'article 54 de la loi qui autorisait l'utilisation de la visioconférence, sans accord de l'intéressé, pour la prolongation d'une décision de détention provisoire. Certes, le Conseil a reconnu que le législateur avait entendu "contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics, en évitant les difficultés et les coûts occasionnés par l'extraction de la personne". Mais le fait que cette procédure puisse être imposée à l'intéressé qui doit être entendu à cette occasion est considéré comme portant une atteinte excessive aux droits de la défense. L'analyse repose sur l'idée que l'intérêt financier de l'Etat n'est pas suffisant pour justifier une restriction des droits de la défense, sachant l'importance de la "présentation physique de l'intéressé devant le magistrat".
Cette fois, la décision était moins prévisible. Quelques mois plus tôt, le 6 septembre 2018, le Conseil avait en effet admis le recours à la "vidéo-audience" sans le consentement des intéressés lors des audiences de la Cour nationale du droit d'asile. On observe toutefois que la loi alors contestée prévoyait des garanties particulières, notamment en matière de droits de la défense.
Le Conseil constitutionnel aurait sans doute pu sanctionner durement cette disposition pour atteinte à la séparation des pouvoirs, et l'on observe qu'il cite sa décision QPC du 10 novembre 2011 dans le dossier documentaire diffusé pour éclairer sa décision. Il observait alors que la décision d'un ministre classant une information secret-défense avait pour conséquence d'empêcher les investigations d'un juge d'instruction. En l'espèce pourtant, il préfère se fonder sur la violation du principe d'impartialité, dès lors que les caisses avaient un intérêt financier dans la décision. On a tout de même un peu de mal à imaginer que les auteurs de la loi n'aient pas vu ce problème... A moins qu'ils aient préféré écarter le principe d'impartialité pour privilégier un intérêt purement financier ?
En dehors de ce cas, le volet civil de la loi est peu touché par la décision du Conseil. La fusion du tribunal d'instance et du tribunal de grande instance en un seul tribunal judiciaire n'est pas remise en cause. Il en est de même du recours aux modes alternatifs de règlement des différents (MARD) qui subordonne à une tentative de règlement amiable préalable la recevabilité de certaines demandes en matière civile (art. 3). Les litiges inférieurs à un certain montant devront ainsi être obligatoirement soumis à médiation, procédure amiable qui devient donc une condition de recevabilité du recours contentieux. Le Conseil précise cependant que le pouvoir réglementaire devra préciser la notion de "motif légitime" susceptible de justifier la saisine directe du juge, notamment en cas d'urgence.
Le volet pénal
Le volet pénal de la loi est davantage mis à mal par la décision du 21 mars 2019. et c'est évidemment son élément le plus remarqué.
L'article 44 prévoyait ainsi de généraliser à toutes les infractions la possibilité de recourir à l'interception des communications, possibilité déjà offerte durant l'enquête de flagrance et durant l'instruction, pour constater des crimes d'une complexité et d'une gravité particulières, rechercher des preuves et identifier leurs auteurs. Dans une jurisprudence constante, le Conseil affirme qu'une telle atteinte à la vie privée des personnes doit être à la fois nécessaire à la manifestation de la vérité et proportionnée à la gravité et à la complexité des infractions. En l'espèce, le législateur a élargi l'usage de ces techniques d'interception, sans prévoir aucune possibilité de contrôle de leur caractère nécessaire et proportionné. Aux yeux du Conseil, le législateur n'a donc pas opéré une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions. Cette annulation aurait sans doute pu être prévue car elle s'inscrit dans la droite ligne de la décision du 16 septembre 2010 relative au fichier des empreintes génétiques.
L'article 46 est également censuré, dans la mesure où il prévoyait le recours à des "techniques spéciales d'enquête" lors de l'enquête de flagrance et de l'enquête préliminaire, une nouvelle fois pour tous les crimes et plus seulement ceux relevant du terrorisme et de la grande criminalité. Ces "techniques spéciales" désignent des moyens d'ingérence dans la vie privée et de repérage, en particulier par la sonorisation de certains lieux, la captation d'images ou de communications. Là encore, l'absence de contrôle est sanctionnée, car il n'était pas prévu que le juge des libertés et de la détention, censé contrôler leur usage, ait accès à l'ensemble des éléments de la procédure. L'absence de conciliation entre les libertés individuelles et l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions se trouve donc une nouvelle fois sanctionnée. D'une manière générale, le Conseil sanctionne une tendance lourde, bien antérieure à la présente loi, qui consiste à accroître les prérogatives du parquet lors de l'enquête préliminaire en ne conférant au juge des libertés et de la détention (JLD) qu'un pouvoir de contrôle purement symbolique.
Le Tribunal des Flagrants Délires.
Réquisitoire de Pierre Desprogres au procès de Jean Marie Le Pen
France Inter. 28 septembre 1982
Enfin, le Conseil censure l'article 54 de la loi qui autorisait l'utilisation de la visioconférence, sans accord de l'intéressé, pour la prolongation d'une décision de détention provisoire. Certes, le Conseil a reconnu que le législateur avait entendu "contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics, en évitant les difficultés et les coûts occasionnés par l'extraction de la personne". Mais le fait que cette procédure puisse être imposée à l'intéressé qui doit être entendu à cette occasion est considéré comme portant une atteinte excessive aux droits de la défense. L'analyse repose sur l'idée que l'intérêt financier de l'Etat n'est pas suffisant pour justifier une restriction des droits de la défense, sachant l'importance de la "présentation physique de l'intéressé devant le magistrat".
Cette fois, la décision était moins prévisible. Quelques mois plus tôt, le 6 septembre 2018, le Conseil avait en effet admis le recours à la "vidéo-audience" sans le consentement des intéressés lors des audiences de la Cour nationale du droit d'asile. On observe toutefois que la loi alors contestée prévoyait des garanties particulières, notamment en matière de droits de la défense.
Publicité des audiences et secret des décisions
Reste à s'interroger sur ce nouveau principe constitutionnel de publicité des audiences devant les juridictions civiles et administratives, déduit des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Car il n'est consacré que pour, immédiatement, être accompagne d'une possibilité de restriction : "Il est loisible au législateur d'apporter à ce principe des limitations
liées à des exigences constitutionnelles, justifiées par l'intérêt
général ou tenant à la nature de l'instance ou aux spécificités de la
procédure, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes
disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi". En l'espèce, le législateur a donc pu interdire une réutilisation des décisions de justice qui conduirait à un profilage des professionnels en fonction des décisions qu'ils rendent.
Du principe de publicité des audience, on glisse insensiblement et "en même temps" à celle des décisions de justice. Le Conseil valide ainsi la disposition "anti-Doctrine" qui autorise les juridictions administratives et judiciaires à "exceptionnellement refuser de
délivrer aux tiers les copies de décisions de justice en cas de «
demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère
répétitif ou systématique ». Il s'agit très concrètement de mettre fin à un contentieux bien embarrassant, la Start Up ayant réussi à obtenir de deux cours d'appel l'injonction de lui communiquer des décisions de justice. Dans la précipitation, la ministre de la justice avait alors signé, le 19 décembre 2018, une circulaire autorisant les greffes à refuser la communication, lorsqu'ils estimaient gênantes ces demandes répétitives. Une simple circulaire faisait ainsi obstacle à l'application de la loi Lemaire du 7 octobre 2016 qui consacre le droit à la "mise à disposition du public à titre gratuit" des décisions de justice. Par sa décision du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel vient, fort à propos, sortir le ministère de la justice d'un bien mauvais pas.
S'appuyant sur un principe au contenu imprécis, la "bonne administration de la justice", le Conseil accepte une remise en cause directe de la loi Lemaire et de l'Open Data des décisions de justice qu'elle consacrait. Le Conseil constitutionnel peut-il ainsi remettre en question les dispositions d'une loi qui ne lui est pas déférée ? Cette question de l'ultra vires devant le Conseil constitutionnel mériterait sans doute d'être posée, mais le Conseil, lui, ne prend guère la peine de justifier ce qu'il entend par "bonne administration de la justice".
Quoi qu'il en soit, cette "bonne administration de la justice" conduit à ce que les décisions soient accessibles si les greffes le veulent bien, s'ils ont quelques minutes à consacrer à cette corvée. Même dans ce cas, elles seront accessibles caviardées du nom des parties, de celui des juges et des avocats, d'une manière générale de tout élément identifiant, et enfin de toute mention touchant au secret des affaires. Derrière l'affichage du principe de publicité des audiences se cache ainsi la protection du secret le plus opaque. Et sur ce plan, le Conseil constitutionnel n'a pas rendu une décision. Il a rendu un service.
Quoi qu'il en soit, cette "bonne administration de la justice" conduit à ce que les décisions soient accessibles si les greffes le veulent bien, s'ils ont quelques minutes à consacrer à cette corvée. Même dans ce cas, elles seront accessibles caviardées du nom des parties, de celui des juges et des avocats, d'une manière générale de tout élément identifiant, et enfin de toute mention touchant au secret des affaires. Derrière l'affichage du principe de publicité des audiences se cache ainsi la protection du secret le plus opaque. Et sur ce plan, le Conseil constitutionnel n'a pas rendu une décision. Il a rendu un service.
Bonjour,
RépondreSupprimerIl y a une petite faute d'orthographe :
sous la partie :
Publicité des audiences et secret des décisions
Au § 2 vous écrivez : "Du principe de publicité des audience, on glisse insensiblement et "en même temps" à celle des décisions de justice". Il manque un "s" à audience.