On va certainement beaucoup parler du projet de loi Blanquer "pour une école de la confiance" qui a été déposé à l'Assemblée nationale le 5 décembre 2018. Le texte affiche des ambitions diverses, mêlant, comme c'est désormais l'usage, des considérations très pragmatiques à un discours qui relève davantage d'une politique de communication que de l'écriture de règles juridiques.
L'exposé des motifs affirme ainsi vouloir "transmettre les savoirs fondamentaux à tous les élèves", savoir définis comme "lire, écrire, compter et respecter autrui". Nul ne conteste un tel objectif qui était déjà à la base de l'enseignement obligatoire mise en place par la loi Jules Ferry du 28 mars 1882, même si, à l'époque, il s'agissait de soustraire l'enseignement à l'emprise des congrégations. Le texte actuel précise ensuite que "ce projet s'inscrit dans la tradition républicaine des lois scolaires de la République". Et comme décidément, on aime beaucoup la République, on ajoute une référence à la "geste républicaine pour la liberté, l'égalité et la fraternité".
Derrière ces formulations que l'on pourrait qualifier de... républicaines, apparaissent des dispositions qui, il y a encore quelques années, auraient été regroupées dans une loi "portant diverses dispositions relatives à l'enseignement". La disposition la plus notable est sans doute celle qui impose l'obligation scolaire aux enfants, dès l'âge de trois ans. A cela s'ajoute un nouveau mécanisme d'évaluation de l'école qui s'incarnera dans une nouvelle institution : le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO). Le reste, sans doute pas inutile, se ramène à une série de dispositions techniques qui vont du contrôle de l'enseignement dispensé au sein de la famille à la création d'un rectorat à Mayotte, en passant par la modification des modalités de recrutement des directeurs d'école.
Parmi cet ensemble un peu disparate, une disposition doit être remarquée, parce que, sous des dehors sympathiques, elle peut donner lieu à une utilisation pour le moins inquiétante. L'article 1er du projet introduit dans le code de l'éducation un article L 111-3-1 ainsi rédigé : "Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l'établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l'éducation (...)". A priori, la disposition semble totalement dépourvue de contenu juridique, ce qui n'est pas rare dans les projets de loi actuels. Une lecture un peu rapide laisse penser qu'il s'agit de flatter l'ego un peu meurtri des enseignants, de rendre hommage à leur "engagement" et à leur "exemplarité" dans leurs relations avec leurs élèves et leurs familles, ainsi qu'avec leur hiérarchie. C'est vrai qu'ils ont du mérite et on se réjouit que le législateur rende ainsi hommage à ceux qui sont précisément chargés de transmettre les "savoirs fondamentaux".
Le problème est qu'une formulation gratifiante peut aussi servir d'autres buts moins clairement avoués. Il est en effet absolument nécessaire de lire l'étude d'impact du texte pour mieux comprendre l'article 1er du projet de loi. Les termes "engagement et exemplarité" prennent en effet un tout autre sens. Il est en effet précisé que la confiance que doit inspirer la "communauté éducative" est "intimement liée à ses comportements". L'étude d'impact ajoute que les juridictions administratives ont eu l'occasion de souligner l'importance de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public aux élèves et à leurs familles et "en ont tiré toutes les conséquences, notamment en matière disciplinaire".
On comprend cette fois que l'article 1 n'a hélas pas pour objet de rendre hommage au travail difficile des professeurs mais a plutôt pour finalité de permettre d'engager à leur encontre des poursuites disciplinaires. Le projet de loi reprend en effet la formulation qui est celle du Conseil d'Etat dans un arrêt du 18 juillet 2018. A propos d'une sanction de mise à la retraite d'office infligée à un professeur de lycée, le juge s'appuie en effet sur "l'exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec les mineurs, y compris en dehors du service". Cette formule a déjà été reprise dans deux décisions, l'une de la Cour administrative d'appel de Marseille du 27 novembre 2018, l'autre de la Cour administrative d'appel de Douai du 18 novembre 2018. Certes, ces trois décisions ont pour point commun de porter sur des sanctions justifiées par des faits très graves, notamment des atteintes sexuelles sur mineur, mais l'intégration de ces notions dans la loi autorise un élargissement de leur champ d'application.
C'est d'ailleurs exactement ce que prévoit l'étude d'impact. Elle affirme que l'arrêt du 18 juillet 2018 portait sur des faits "portant atteinte à la réputation du service public", oubliant sans doute que les premières victimes étaient d'abord des mineurs victimes d'abus sexuels. Quoi qu'il en soit, la loi propose d'étendre les poursuites disciplinaires aux cas dans lesquels les personnels de l'éducation nationale "chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et, de manière générale, l'institution scolaire". Comme tous les fonctionnaires, les enseignants sont soumis aux obligations de discrétion et de réserve. La discrétion figure dans l'article 25 du statut de la fonction publique. Elle impose la non-divulgation de faits, informations ou documents dont l'agent a connaissance dans l'exercice de ses fonctions. La réserve, quant à elle d'origine jurisprudentielle, impose une certaine retenue dans l'expression, et interdit d'utiliser ses fonctions pour d'autres finalités que celles qui lui sont attachées. L'obligation de réserve est ainsi intimement liée à l'obligation de neutralité du service public.
Cette fois, on comprend mieux où les rédacteurs du projet de loi veulent en venir. En effet la nouvelle obligation d'"exemplarité" pourrait parfaitement être utilisée pour sanctionner les milliers d'enseignants qui ont réagi, en octobre 2018, sur les réseaux sociaux, après qu'un lycéen de Créteil a menacé une enseignante avec une arme, dont on a su ensuite qu'elle était factice. Sous le hashtag #Pasdevagues, ils se sont plaints de l'absence de soutien de leur hiérarchie dans des faits comparables, violences ou agressions verbales par leurs élèves ou les familles de leurs élèves. Le manquement à l'obligation de réserve ne pouvait pas leur être reproché car ils s'exprimaient en dehors de leurs fonctions. Quant à la discrétion, elle ne concerne que les informations non communicables dont l'agent a connaissance lors de son activité, c'est à dire la divulgation des secrets du service à des personnes non habilitées à en connaître. L'obligation de discrétion pèse ainsi essentiellement sur les magistrats, les militaires ou les policiers. Les enseignants, quant à eux, n'y sont soumis que pour des données particulières, par exemple les dossiers personnels des enfants.
L'obligation d'exemplarité est suffisamment imprécise pour permettre de contrôler l'expression des enseignants en dehors du service, pour renforcer le poids de la hiérarchie qui avait été accusée de ne pas suffisamment protéger ses agents lors de l'affaire de #Pasdevagues. Pour le moment, ces dispositions du projet de loi avancent masquées, derrière une formulation volontairement ambiguë, sans doute dans l'espoir qu'elles passeront inaperçues et que le vote sera, lui aussi, acquis "sans vagues". Il ne reste plus qu'à espérer que les parlementaires verront le piège et mettront la question sur la place publique.
Des formulations... républicaines
L'exposé des motifs affirme ainsi vouloir "transmettre les savoirs fondamentaux à tous les élèves", savoir définis comme "lire, écrire, compter et respecter autrui". Nul ne conteste un tel objectif qui était déjà à la base de l'enseignement obligatoire mise en place par la loi Jules Ferry du 28 mars 1882, même si, à l'époque, il s'agissait de soustraire l'enseignement à l'emprise des congrégations. Le texte actuel précise ensuite que "ce projet s'inscrit dans la tradition républicaine des lois scolaires de la République". Et comme décidément, on aime beaucoup la République, on ajoute une référence à la "geste républicaine pour la liberté, l'égalité et la fraternité".
Derrière ces formulations que l'on pourrait qualifier de... républicaines, apparaissent des dispositions qui, il y a encore quelques années, auraient été regroupées dans une loi "portant diverses dispositions relatives à l'enseignement". La disposition la plus notable est sans doute celle qui impose l'obligation scolaire aux enfants, dès l'âge de trois ans. A cela s'ajoute un nouveau mécanisme d'évaluation de l'école qui s'incarnera dans une nouvelle institution : le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO). Le reste, sans doute pas inutile, se ramène à une série de dispositions techniques qui vont du contrôle de l'enseignement dispensé au sein de la famille à la création d'un rectorat à Mayotte, en passant par la modification des modalités de recrutement des directeurs d'école.
"Engagement et exemplarité"
Parmi cet ensemble un peu disparate, une disposition doit être remarquée, parce que, sous des dehors sympathiques, elle peut donner lieu à une utilisation pour le moins inquiétante. L'article 1er du projet introduit dans le code de l'éducation un article L 111-3-1 ainsi rédigé : "Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l'établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l'éducation (...)". A priori, la disposition semble totalement dépourvue de contenu juridique, ce qui n'est pas rare dans les projets de loi actuels. Une lecture un peu rapide laisse penser qu'il s'agit de flatter l'ego un peu meurtri des enseignants, de rendre hommage à leur "engagement" et à leur "exemplarité" dans leurs relations avec leurs élèves et leurs familles, ainsi qu'avec leur hiérarchie. C'est vrai qu'ils ont du mérite et on se réjouit que le législateur rende ainsi hommage à ceux qui sont précisément chargés de transmettre les "savoirs fondamentaux".
Le problème est qu'une formulation gratifiante peut aussi servir d'autres buts moins clairement avoués. Il est en effet absolument nécessaire de lire l'étude d'impact du texte pour mieux comprendre l'article 1er du projet de loi. Les termes "engagement et exemplarité" prennent en effet un tout autre sens. Il est en effet précisé que la confiance que doit inspirer la "communauté éducative" est "intimement liée à ses comportements". L'étude d'impact ajoute que les juridictions administratives ont eu l'occasion de souligner l'importance de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public aux élèves et à leurs familles et "en ont tiré toutes les conséquences, notamment en matière disciplinaire".
Le professeur est un rêveur. Bernard Sauvat. 1974
L'usage à des fins disciplinaires
On comprend cette fois que l'article 1 n'a hélas pas pour objet de rendre hommage au travail difficile des professeurs mais a plutôt pour finalité de permettre d'engager à leur encontre des poursuites disciplinaires. Le projet de loi reprend en effet la formulation qui est celle du Conseil d'Etat dans un arrêt du 18 juillet 2018. A propos d'une sanction de mise à la retraite d'office infligée à un professeur de lycée, le juge s'appuie en effet sur "l'exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec les mineurs, y compris en dehors du service". Cette formule a déjà été reprise dans deux décisions, l'une de la Cour administrative d'appel de Marseille du 27 novembre 2018, l'autre de la Cour administrative d'appel de Douai du 18 novembre 2018. Certes, ces trois décisions ont pour point commun de porter sur des sanctions justifiées par des faits très graves, notamment des atteintes sexuelles sur mineur, mais l'intégration de ces notions dans la loi autorise un élargissement de leur champ d'application.
C'est d'ailleurs exactement ce que prévoit l'étude d'impact. Elle affirme que l'arrêt du 18 juillet 2018 portait sur des faits "portant atteinte à la réputation du service public", oubliant sans doute que les premières victimes étaient d'abord des mineurs victimes d'abus sexuels. Quoi qu'il en soit, la loi propose d'étendre les poursuites disciplinaires aux cas dans lesquels les personnels de l'éducation nationale "chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et, de manière générale, l'institution scolaire". Comme tous les fonctionnaires, les enseignants sont soumis aux obligations de discrétion et de réserve. La discrétion figure dans l'article 25 du statut de la fonction publique. Elle impose la non-divulgation de faits, informations ou documents dont l'agent a connaissance dans l'exercice de ses fonctions. La réserve, quant à elle d'origine jurisprudentielle, impose une certaine retenue dans l'expression, et interdit d'utiliser ses fonctions pour d'autres finalités que celles qui lui sont attachées. L'obligation de réserve est ainsi intimement liée à l'obligation de neutralité du service public.
La lutte contre l'expression #Pasdevagues
Cette fois, on comprend mieux où les rédacteurs du projet de loi veulent en venir. En effet la nouvelle obligation d'"exemplarité" pourrait parfaitement être utilisée pour sanctionner les milliers d'enseignants qui ont réagi, en octobre 2018, sur les réseaux sociaux, après qu'un lycéen de Créteil a menacé une enseignante avec une arme, dont on a su ensuite qu'elle était factice. Sous le hashtag #Pasdevagues, ils se sont plaints de l'absence de soutien de leur hiérarchie dans des faits comparables, violences ou agressions verbales par leurs élèves ou les familles de leurs élèves. Le manquement à l'obligation de réserve ne pouvait pas leur être reproché car ils s'exprimaient en dehors de leurs fonctions. Quant à la discrétion, elle ne concerne que les informations non communicables dont l'agent a connaissance lors de son activité, c'est à dire la divulgation des secrets du service à des personnes non habilitées à en connaître. L'obligation de discrétion pèse ainsi essentiellement sur les magistrats, les militaires ou les policiers. Les enseignants, quant à eux, n'y sont soumis que pour des données particulières, par exemple les dossiers personnels des enfants.
L'obligation d'exemplarité est suffisamment imprécise pour permettre de contrôler l'expression des enseignants en dehors du service, pour renforcer le poids de la hiérarchie qui avait été accusée de ne pas suffisamment protéger ses agents lors de l'affaire de #Pasdevagues. Pour le moment, ces dispositions du projet de loi avancent masquées, derrière une formulation volontairement ambiguë, sans doute dans l'espoir qu'elles passeront inaperçues et que le vote sera, lui aussi, acquis "sans vagues". Il ne reste plus qu'à espérer que les parlementaires verront le piège et mettront la question sur la place publique.
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