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mardi 9 octobre 2018

Les Invités de LLC - Serge Sur : Un homme disparaît : mais que fait Interpol ?

Si l’on en croit les informations largement diffusées par la presse, le président d’Interpol, organisation intergouvernementale dont le siège est à Lyon, Meng Hongwei, a été arrêté et est détenu en Chine, pays dont il est ressortissant. Son arrestation à Pékin ne soulève pas en principe de difficulté. S’il bénéficie en effet d’une immunité diplomatique en tant que fonctionnaire international, cette immunité n’est pas opposable au pays dont il est ressortissant, surtout lorsqu’il se trouve sur son territoire. En revanche, deux problèmes subsistent, qui mettent en cause ses droits et libertés, et plus largement les règles internationales.


Le premier est lié à une donnée de fait que la presse ne semble pas avoir élucidée, ou dont elle n’a pas fait cas. L’intéressé se trouvait en Suède. On peut supposer que c’était dans la cadre de sa mission à Interpol, ou que l’organisation en avait été avisée et connaissait son voyage. Or il a été arrêté en Chine, ce que l’on a appris quelques jours après sa disparition, quelques jours durant lesquels on s’est interrogé sur son sort. Comment a t’il quitté la Suède pour la Chine ? Est-ce volontairement ? Est-ce dans le cadre d’une mission d’Interpol ? L’organisation a-t-elle été informée de ce voyage, de son but, de ses modalités ? S’il devait apparaître qu’il a été contraint de quelque manière à se rendre en Chine, il y aurait là une violation de la souveraineté de la Suède et de l’autonomie d’Interpol. Comment la Suède, comment Interpol, ont-ils réagi, alors que l’épouse de Meng Hongwei s’alarmait publiquement du sort qui lui était réservé ? Très discrètement apparemment, ce qui ne manque pas de soulever quelques interrogations sur leur attachement, non seulement aux droits de Meng Hongwei mais aussi au droit international.



Le second problème semble plus clair. Meng Hongwei a envoyé une lettre de démission à Interpol, qui paraît s’en contenter et se diriger vers l’élection prochaine d’un nouveau président. En d’autres termes, on passe le président actuel et son statut par profits et pertes, et l’on change l’ordre du jour. Et là il est permis de s’indigner devant la passivité, pour ne pas dire la complicité d’Interpol avec la Chine, un Etat puissant et vindicatif, de plus en plus craint à défaut d’être respectable. Quia nominor leo


La Chine vue par Meng Hongwei
L'Algerino. Les menottes. Tching Tchang Tchong. 2017



 
Que pouvait faire Interpol, ainsi privée de son président ? Un précédent du même ordre peut éclairer sur l’attitude qu’aurait pu - et dû - adopter l’organisation face à ce type de situation. Voici environ trente-cinq ans, le directeur d’un organe subsidiaire de l’Assemblée générale de l’ONU, l’UNIDIR, Institut pour la recherche sur le désarmement, de nationalité roumaine, se trouvait retenu de force à Bucarest. On ne l’accusait pas de malversations particulières, mais le régime Ceausescu exigeait sa démission, apparemment pour obtenir la désignation d’un nouveau directeur roumain en cour auprès du régime. Le directeur détenu à Bucarest a envoyé sa démission par écrit au Secrétaire général de l’ONU, mais a fait savoir par des canaux indirects que cette démission avait été contrainte.



Le Secrétaire général de l’ONU a alors demandé aux autorités roumaines que l’intéressé lui remette sa démission en personne, ce qui supposait bien évidemment qu’il soit libéré. La Roumanie s’est bien sûr abstenue de le laisser partir, de sorte que l’institution est restée sans directeur sur place jusqu’à l’expiration de son mandat régulier, qui était de cinq ans. Le contact téléphonique était maintenu avec lui sur place par l’ONU, on le considérait comme étant toujours directeur, l’informant et le consultant régulièrement. L’ONU avait même exclu de nommer un acting director, un directeur intérimaire, un faisant fonction.



On doit saluer le courage du Secrétaire général, à l’époque M. Perez de Cuellar, qui s’opposait ainsi frontalement à un Etat membre. En revanche, l’Assemblée générale n’a guère brillé par son attitude. Saisie d’un projet de résolution demandant le retour de l’intéressé dans ses fonctions, elle a refusé de l’adopter, par indifférence des pays non alignés et par lobbysme des pays alors socialistes. Les uns et les autres étaient aussi peu sensibles aux libertés individuelles qu’au respect du statut des organisations internationales, et surtout du statut des fonctionnaires internationaux. Au moins l’affaire avait donné lieu à des protestations du Secrétariat comme des pays occidentaux et à un débat retentissant au sein de la première commission de l’Assemblée générale.



Dans le cas qui nous occupe, Interpol, ses membres aussi bien que son secrétariat, semblent préférer le silence et la nuit. Il est vrai que l’organisation avait été dirigée, voici quelques décennies, par Reinhard Heydrich, grand dignitaire nazi, et qu’Interpol s’est toujours refusé à rechercher les anciens criminels nazis. La France sauvera-t-elle l’honneur ? Une enquête a été ouverte à Lyon pour disparition inquiétante. Interpol acceptera-t-il d’y coopérer ? Mieux encore, si la Chine demande la coopération de l’organisation au sujet de la corruption reprochée à Meng Hongwei, Interpol acceptera-t-il ? 





Serge Sur
Professeur émérite de droit public. Université Panthéon-Assas (Paris 2)



      


1 commentaire:

  1. éclairage très intéressant, merci (la vidéo fut un choc!)

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