Les arrêts rendus le 5 octobre 2018 par la Cour de cassation portent, une nouvelle fois, sur la transcription dans l'état civil français d'actes de naissance établis à l'étranger d'enfants nés de mère porteuse à la suite d'une convention de gestation pour autrui (GPA). L'une de ces deux affaires est bien connue, car les époux Mennesson, parents de deux jumelles nées en Californie, sont au coeur de ce contentieux. Ces enfants, nées en octobre 2000, vont bientôt atteindre leur majorité, sans que la question de leur état civil soit définitivement résolue.
A l'issue d'une procédure déjà extrêmement longue, le 6 avril 2011, la Cour de cassation avait validé la décision des juges du fond refusant la transcription des actes de naissance des enfants établis en Californie sur les registres français. Aux yeux de la Cour, les juges américains, en autorisant la mention des parents d'intention sur les actes de naissance, avaient "validé indirectement une gestation pour autrui, (...) en contrariété avec la conception française de l’ordre public international". Mais dans deux décisions du 26 juin 2014, la CEDH a réfuté cette analyse, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle a alors déclaré que le droit au respect de la vie privée suppose que "chacun puisse établir la substance de son identité, y compris la filiation". Par la suite, la Cour de cassation a rendu en assemblée plénière deux décisions du 3 juillet 2015 précisant que "l’existence d’une convention de gestation pour autrui ne faisait pas en soi obstacle à la transcription d’un acte de naissance établi à l’étranger". Mais ces deux arrêts ne concernaient évidemment pas les époux Mennesson, déboutés de leur requête en 2011.
Ils sont donc aujourd'hui les premiers utilisateurs de la procédure de réexamen prévue par la loi du 18 novembre 2016, qui a précisément pour but de permettre à un requérant débouté par la Cour de cassation de revenir devant elle si un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré la décision non conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La Cour de réexamen a donc ordonné, le 16 février 2018, le renvoi de l'affaire devant la Cour de cassation.
Observons d'emblée que les deux arrêts du 5 octobre 2018 présentent une seconde particularité, puisqu'ils sont les premiers à mettre en oeuvre le Protocole n° 16 qui autorise les "hautes juridictions nationales" à demander à la CEDH un avis consultatif sur "des questions de principes relatives à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention pour ses protocoles". Encore faut-il que la juridiction demanderesse intervienne "dans le cadre d'une affaire pendante devant elle".
Quelle serait la première juridiction suprême à adresser une question préjudicielle à la CEDH sur le fondement du Protocole n° 16 ?
La première procédure de réexamen
A l'issue d'une procédure déjà extrêmement longue, le 6 avril 2011, la Cour de cassation avait validé la décision des juges du fond refusant la transcription des actes de naissance des enfants établis en Californie sur les registres français. Aux yeux de la Cour, les juges américains, en autorisant la mention des parents d'intention sur les actes de naissance, avaient "validé indirectement une gestation pour autrui, (...) en contrariété avec la conception française de l’ordre public international". Mais dans deux décisions du 26 juin 2014, la CEDH a réfuté cette analyse, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle a alors déclaré que le droit au respect de la vie privée suppose que "chacun puisse établir la substance de son identité, y compris la filiation". Par la suite, la Cour de cassation a rendu en assemblée plénière deux décisions du 3 juillet 2015 précisant que "l’existence d’une convention de gestation pour autrui ne faisait pas en soi obstacle à la transcription d’un acte de naissance établi à l’étranger". Mais ces deux arrêts ne concernaient évidemment pas les époux Mennesson, déboutés de leur requête en 2011.
Ils sont donc aujourd'hui les premiers utilisateurs de la procédure de réexamen prévue par la loi du 18 novembre 2016, qui a précisément pour but de permettre à un requérant débouté par la Cour de cassation de revenir devant elle si un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré la décision non conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La Cour de réexamen a donc ordonné, le 16 février 2018, le renvoi de l'affaire devant la Cour de cassation.
Les Demoiselles de Rochefort. Jacques Demy. 1967
Catherine Deneuve et Françoise Dorléac. Musique de Michel Legrand
La première mise en oeuvre du Protocole n°16
Observons d'emblée que les deux arrêts du 5 octobre 2018 présentent une seconde particularité, puisqu'ils sont les premiers à mettre en oeuvre le Protocole n° 16 qui autorise les "hautes juridictions nationales" à demander à la CEDH un avis consultatif sur "des questions de principes relatives à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention pour ses protocoles". Encore faut-il que la juridiction demanderesse intervienne "dans le cadre d'une affaire pendante devant elle".
Quelle serait la première juridiction suprême à adresser une question préjudicielle à la CEDH sur le fondement du Protocole n° 16 ?
La lutte était serrée, et c'est finalement la Cour de cassation qui a doublé le Conseil d'Etat dans la dernière ligne droite. Le Conseil d'Etat avait en effet inscrit à la date du 5 octobre une réunion de son assemblée plénière devant se prononcer sur une question préjudicielle, et il avait même assez largement communiqué sur le sujet, se présentant volontiers comme un champion du dialogue des juges. Hélas, au même moment, la France était condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans un arrêt du 4 octobre 2018, précisément parce que le Conseil d'Etat avait omis d'effectuer un renvoi préjudiciel, voilà que ce dernier se fait doubler au poteau par la Cour de cassation dans l'autre procédure de renvoi, celle qui se déroule désormais devant la CEDH. En l'espèce, la procédure apparaît toutefois davantage comme un exercice de procrastination que comme un véritable dialogue des juges.
Certes, la Cour réaffirme que "l’existence d’une convention de gestation pour autrui ne faisait pas en
soi obstacle à la transcription d’un acte de naissance établi à
l’étranger", mais c'est pour ajouter aussitôt que les éléments figurant dans cet acte doivent correspondre à la "réalité biologique".
De fait, elle interroge la Cour européenne des droits de l'homme, par
la voie d'une question préjudicielle, sur l'étendue de la marge
d'appréciation des Etats dans ce domaine. En clair, peuvent-ils, comme
le souhaite manifestement la Cour, limiter la transcription à l'état
civil de la mère d'intention qui a donné ses gamètes ?
Le retour du lien biologique
Pour que l'on comprenne bien la situation, la Cour demeure solidement attachée à la règle Mater semper certa qui fonde traditionnellement le droit français de la filiation. A ses yeux, la mère de l'enfant né par GPA est donc la mère porteuse.
Rien n'interdit au père d'intention, généralement le père biologique qui a donné ses gamètes pour l'opération, de reconnaître l'enfant, permettant ainsi d'établir sa filiation paternelle. A dire vrai, la Cour considère qu'elle a fait là un progrès considérable, largement suffisant. Elle présente ainsi comme une importante avancée les quatre décisions du 5 juillet 2017, par lesquelles la Cour autorise le conjoint d'intention à demander l'adoption simple de l'enfant, dès lors qu'une filiation paternelle est déjà établie. Observons au passage qu'en l'espèce, il n'y avait guère d'autre solution, dès lors que le nom de la mère porteuse figurait dans l'acte de naissance
de l'enfant et que seule l'adoption simple pouvait être demandée.
L'élément essentiel retenu par la Cour de cassation est donc le lien biologique. Elle demande ainsi à la Cour européenne si elle peut opérer une distinction entre la mère d'intention qui a donné ses gamètes pour créer un embryon, et celle qui n'a pas donné ses gamètes, l'enfant étant alors conçu avec le patrimoine génétique de la mère porteuse. Il est bien clair que la Cour verrait d'un oeil favorable le refus d'un lien de filiation à une femme qui n'a pas eu la chance de disposer d'ovocytes performants. N'a t-elle pas la possibilité de bénéficier d'une adoption simple ?
Cette affirmation quasiment militante de la suprématie du lien biologique semble étrange, si l'on songe que madame Mennesson élève ses jumelles depuis bientôt dix-huit ans sans être réellement reconnue comme leur mère.
Mais cette primauté du lien biologique risque de s'avérer surtout discriminatoire. D'abord parce que l'on ne comprend pas bien pourquoi un enfant abandonné peut faire l'objet d'une adoption plénière par un couple, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel, alors qu'un enfant né d'une mère porteuse ne peut pas bénéficier du même traitement. Comme la jurisprudence l'affirme aujourd'hui, l'intérêt de l'enfant exige que les origines de sa conception ne lui portent pas préjudice. Ensuite, parce que le père biologique bénéficie, quant à lui, d'un lien de filiation alors qu'il n'a fait que donner ses gamètes. On imagine ainsi la triste situation du couple homosexuel tirant à pile ou face celui qui reconnaîtra l'enfant de la mère porteuse et celui qui devra se contenter d'une adoption simple. Enfin, le résultat est discriminatoire envers les enfants qui risquent d'être traités différemment selon leur patrimoine génétique, selon que leur mère d'intention aura ou non donné ses ovocytes.
On peut ainsi se demander si la Cour de cassation n'aurait pas pu faire l'économie d'une question préjudicielle qui révèle surtout une certaine forme de conservatisme. A une époque où chacun construit sa vie familiale selon ses aspirations personnelles, l'intensité de cet attachement au lien biologique a quelque chose de simplement suranné. Quant au dialogue des juges, il ressemble plutôt à une forme de résistance au changement.
Mais cette primauté du lien biologique risque de s'avérer surtout discriminatoire. D'abord parce que l'on ne comprend pas bien pourquoi un enfant abandonné peut faire l'objet d'une adoption plénière par un couple, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel, alors qu'un enfant né d'une mère porteuse ne peut pas bénéficier du même traitement. Comme la jurisprudence l'affirme aujourd'hui, l'intérêt de l'enfant exige que les origines de sa conception ne lui portent pas préjudice. Ensuite, parce que le père biologique bénéficie, quant à lui, d'un lien de filiation alors qu'il n'a fait que donner ses gamètes. On imagine ainsi la triste situation du couple homosexuel tirant à pile ou face celui qui reconnaîtra l'enfant de la mère porteuse et celui qui devra se contenter d'une adoption simple. Enfin, le résultat est discriminatoire envers les enfants qui risquent d'être traités différemment selon leur patrimoine génétique, selon que leur mère d'intention aura ou non donné ses ovocytes.
On peut ainsi se demander si la Cour de cassation n'aurait pas pu faire l'économie d'une question préjudicielle qui révèle surtout une certaine forme de conservatisme. A une époque où chacun construit sa vie familiale selon ses aspirations personnelles, l'intensité de cet attachement au lien biologique a quelque chose de simplement suranné. Quant au dialogue des juges, il ressemble plutôt à une forme de résistance au changement.
Sur la GPA : Chapitre 7, Section 2 § 3 B du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
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