L'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Besançon le 28 août 2018 ne peut manquer d'attirer l'attention. Il s'agit en effet de la première référence d'une juridiction du fond au principe de fraternité, reconnu comme ayant valeur constitutionnelle par une décision QPC du Conseil constitutionnel rendue le 6 juillet 2018. On se souvient que le Conseil s'était alors fondé sur le principe de fraternité pour déclarer inconstitutionnelles les dispositions législatives sanctionnant l'aide au séjour irrégulier des étrangers en France.
Comme bien souvent devant la juridiction administrative , la décision du 28 août 2018 se caractérise par un double mouvement. D'abord une audace affichée destinée à satisfaire une doctrine très attachée au droit déclaratoire. Ensuite, une application à l'espèce qui fait en sorte que l'innovation ne soit pas applicable.
L'audace réside essentiellement dans la mise en oeuvre du principe de fraternité en dehors du champ de l'aide au séjour des étrangers. La demande de référé émane en effet d'une personne sans domicile fixe qui demande la suspension d'un arrêté municipal du 3 juillet 2018 qui interdit, de juillet à septembre 2018, puis de fin novembre à fin décembre 2018, la mendicité dans un périmètre délimité correspondant au centre ville de Besançon.
En l'espèce, le juge des référés déclare recevable le moyen reposant sur l'atteinte au principe de fraternité. il précise que ce dernier n'autorise pas le demandeur à se prévaloir d'une "quelconque liberté fondamentale de mendier", mais "n'implique que la liberté fondamentale d'aider autrui dans un but humanitaire". Autrement dit, le mendiant ne dispose pas d'un droit de mendier, mais les passants disposent, quant à eux, du droit de se montrer charitables. Sur ce point, le juge des référés est dans la droite ligne de la décision du Conseil constitutionnel qui se fondait aussi sur le caractère purement désintéressé de l'action du donneur.
Si le moyen est recevable, il ne conduit cependant pas à donner satisfaction au requérant.
Certes, le juge des référés fait observer que "la liberté d'aider requiert d'avoir conscience de l'opportunité d'en faire usage". On pourrait formuler les choses plus clairement en disant que l'absence de mendiants dans le centre ville constitue, à l'évidence, une perte de revenus, aussi modestes soient-ils, pour ceux qui vivent de la charité publique. Le juge des référés reconnaît ainsi que l'interdiction contestée porte atteinte à la liberté d'aider autrui.
Mais la suite du raisonnement juridique revient au principe traditionnel du contrôle maximum sur les mesures de police, opéré dans les mêmes termes depuis l'arrêt Benjamin rendu par le Conseil d'Etat en 1933. Le juge des référés observe que l'atteinte à la liberté d'aider autrui n'est pas excessive par rapport aux nécessités d'ordre public invoquées par la mairie de Besançon. Il fait observer que "les nombreuses main-courantes de police" ainsi que les courriers adressés par les commerçants et riverains témoignent de la réalité des troubles à l'ordre public engendrés par les rassemblements, la consommation d'alcool et la mendicité dans le centre ville. Il note que l'interdiction est limitée dans l'espace, certaines rues, et dans le temps, l'été et la période précédant les fêtes de fin d'année. Par ailleurs, la liberté d'aider autrui n'est que modestement entravée, car les personnes généreuses peuvent toujours s'adresser aux associations d'aide aux plus démunis, voire faire directement un don lorsqu'elles passent "par les rues non concernées par l'arrêté".
L'analyse n'a rien d'innovant. Le juge administratif ne s'est jamais opposé aux arrêtés anti-mendicité. Dans une décision du 13 novembre 2008, la Cour administrative d'appel (CAA) de Douai reconnaissait déjà les "risques d'atteinte à l'ordre public liées à la pratique de la mendicité". Un contrôle maximum a été développé, exigeant seulement que le maire indique, dans son arrêté, les circonstances susceptibles de caractériser la restriction ainsi apportée, non pas à la liberté d'aider autrui mais à la liberté d'aller et de venir. Etaient ainsi invoquées les protestations des riverains ou les éventuelles rixes (CAA Bordeaux, 26 avril 1999, Commune de Tarbes). Dans la ligne de la jurisprudence Benjamin, le Conseil d'Etat confirme la légalité, dans un arrêt du 9 juillet 2003, d'un arrêté anti-mendicité du maire de Prades s'appliquant durant la seule période estivale dans un espace limité du centre ville. Considérée sous cet angle, l'ordonnance du 28 août 2018 reprend une jurisprudence vieille de quinze ans.
Il est probable que le requérant fera appel de cette ordonnance devant le Conseil d'Etat. Sans doute le contrôle maximum ne sera-t-il pas remis en cause et la légalité de l'arrêté anti-mendicité confirmée, conformément à la jurisprudence antérieure. En revanche, la partie innovante de l'ordonnance, celle qui fonde la liberté d'aider autrui sur le principe de fraternité semble davantage menacée, d'autant plus qu'une ordonnance de référé ne saurait, par définition, faire jurisprudence. Rien n'est certain, mais le Conseil d'Etat pourrait tout simplement revenir à son analyse traditionnelle qui se prononçait sur le fondement de la liberté de circulation des mendiants et non pas sur celui de la liberté d'aider autrui des donneurs. On sait en effet que le Conseil d'Etat pratique généralement l'économie de moyens, préférant utiliser une jurisprudence traditionnelle suffisante pour asseoir sa décision, plutôt que susciter une innovation inutile. L'enjeu est de taille, car la fraternité risquerait alors d'apparaître comme une notion accordéon, qui se gonfle lorsqu'elle est utilisée à l'appui d'une jurisprudence de combat des juges du fond, avant de se dégonfler devant la juridiction suprême.
Sur les arrêtés anti-mendicité : Chapitre 5, section 1, § 1 A du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
L'audace réside essentiellement dans la mise en oeuvre du principe de fraternité en dehors du champ de l'aide au séjour des étrangers. La demande de référé émane en effet d'une personne sans domicile fixe qui demande la suspension d'un arrêté municipal du 3 juillet 2018 qui interdit, de juillet à septembre 2018, puis de fin novembre à fin décembre 2018, la mendicité dans un périmètre délimité correspondant au centre ville de Besançon.
"La liberté d'aider autrui dans un but humanitaire"
En l'espèce, le juge des référés déclare recevable le moyen reposant sur l'atteinte au principe de fraternité. il précise que ce dernier n'autorise pas le demandeur à se prévaloir d'une "quelconque liberté fondamentale de mendier", mais "n'implique que la liberté fondamentale d'aider autrui dans un but humanitaire". Autrement dit, le mendiant ne dispose pas d'un droit de mendier, mais les passants disposent, quant à eux, du droit de se montrer charitables. Sur ce point, le juge des référés est dans la droite ligne de la décision du Conseil constitutionnel qui se fondait aussi sur le caractère purement désintéressé de l'action du donneur.
Si le moyen est recevable, il ne conduit cependant pas à donner satisfaction au requérant.
Certes, le juge des référés fait observer que "la liberté d'aider requiert d'avoir conscience de l'opportunité d'en faire usage". On pourrait formuler les choses plus clairement en disant que l'absence de mendiants dans le centre ville constitue, à l'évidence, une perte de revenus, aussi modestes soient-ils, pour ceux qui vivent de la charité publique. Le juge des référés reconnaît ainsi que l'interdiction contestée porte atteinte à la liberté d'aider autrui.
Mais la suite du raisonnement juridique revient au principe traditionnel du contrôle maximum sur les mesures de police, opéré dans les mêmes termes depuis l'arrêt Benjamin rendu par le Conseil d'Etat en 1933. Le juge des référés observe que l'atteinte à la liberté d'aider autrui n'est pas excessive par rapport aux nécessités d'ordre public invoquées par la mairie de Besançon. Il fait observer que "les nombreuses main-courantes de police" ainsi que les courriers adressés par les commerçants et riverains témoignent de la réalité des troubles à l'ordre public engendrés par les rassemblements, la consommation d'alcool et la mendicité dans le centre ville. Il note que l'interdiction est limitée dans l'espace, certaines rues, et dans le temps, l'été et la période précédant les fêtes de fin d'année. Par ailleurs, la liberté d'aider autrui n'est que modestement entravée, car les personnes généreuses peuvent toujours s'adresser aux associations d'aide aux plus démunis, voire faire directement un don lorsqu'elles passent "par les rues non concernées par l'arrêté".
Le mendiant. Francis Poulenc
texte : Maurice Fombeure
Holger Falk, baryton. Alessandro Zuppardo, piano
Une jurisprudence ancienne
L'analyse n'a rien d'innovant. Le juge administratif ne s'est jamais opposé aux arrêtés anti-mendicité. Dans une décision du 13 novembre 2008, la Cour administrative d'appel (CAA) de Douai reconnaissait déjà les "risques d'atteinte à l'ordre public liées à la pratique de la mendicité". Un contrôle maximum a été développé, exigeant seulement que le maire indique, dans son arrêté, les circonstances susceptibles de caractériser la restriction ainsi apportée, non pas à la liberté d'aider autrui mais à la liberté d'aller et de venir. Etaient ainsi invoquées les protestations des riverains ou les éventuelles rixes (CAA Bordeaux, 26 avril 1999, Commune de Tarbes). Dans la ligne de la jurisprudence Benjamin, le Conseil d'Etat confirme la légalité, dans un arrêt du 9 juillet 2003, d'un arrêté anti-mendicité du maire de Prades s'appliquant durant la seule période estivale dans un espace limité du centre ville. Considérée sous cet angle, l'ordonnance du 28 août 2018 reprend une jurisprudence vieille de quinze ans.
Il est probable que le requérant fera appel de cette ordonnance devant le Conseil d'Etat. Sans doute le contrôle maximum ne sera-t-il pas remis en cause et la légalité de l'arrêté anti-mendicité confirmée, conformément à la jurisprudence antérieure. En revanche, la partie innovante de l'ordonnance, celle qui fonde la liberté d'aider autrui sur le principe de fraternité semble davantage menacée, d'autant plus qu'une ordonnance de référé ne saurait, par définition, faire jurisprudence. Rien n'est certain, mais le Conseil d'Etat pourrait tout simplement revenir à son analyse traditionnelle qui se prononçait sur le fondement de la liberté de circulation des mendiants et non pas sur celui de la liberté d'aider autrui des donneurs. On sait en effet que le Conseil d'Etat pratique généralement l'économie de moyens, préférant utiliser une jurisprudence traditionnelle suffisante pour asseoir sa décision, plutôt que susciter une innovation inutile. L'enjeu est de taille, car la fraternité risquerait alors d'apparaître comme une notion accordéon, qui se gonfle lorsqu'elle est utilisée à l'appui d'une jurisprudence de combat des juges du fond, avant de se dégonfler devant la juridiction suprême.
Sur les arrêtés anti-mendicité : Chapitre 5, section 1, § 1 A du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
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