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mercredi 3 janvier 2018

Les contrôles aux frontières devant le Conseil d'Etat

Par un arrêt du 28 décembre 2017, le Conseil d'Etat confirme la légalité de la décision française réintroduisant un contrôle aux frontières intérieures de l'Espace Schengen, du 1er novembre 2017 au 30 avril 2018. Le juge administratif avait été saisi par différentes associations de soutien aux migrants, la Cimade, l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) et le Groupe d'information et de soutien aux immigrés (Gisti). Elles espéraient faire reconnaître qu'une telle mesure n'avait pas d'autre objet que de limiter la liberté de circulation des migrants au sein de l'UE et qu'elle portait donc une atteinte excessive aux droits des personnes et à la liberté de circulation. 

Le référé de novembre 2017


Les associations requérantes n'avaient sans doute que peu d'illusions sur leurs chances du succès. Dans une ordonnance du 21 novembre 2017, le juge des référés du Conseil d'Etat avait déjà écarté leur demande de suspension de l'exécution de cette même mesure. Il s'appuyait alors sur le défaut d'urgence, rappelant qu'il allait rapidement statuer sur le fond de la requête. Surtout, il avait alors déclaré que si les associations estiment que le rétablissement du contrôle aux frontières s'accompagne de violations individuelles des droits des migrants, "il leur est loisible de saisir, dans ces situations, le juge compétent pour en connaître". Une manière élégante de dire que le référé-liberté dont il était saisi n'invoquait aucune violation concrète des droits des migrants et qu'il n'y avait donc pas urgence à se prononcer. Le facteur-temps ne présente donc, en l'espèce, qu'un intérêt limité. 

Le droit de l'Union


La décision unilatérale de réintroduire un contrôle aux frontières ne repose, en aucun cas, sur l'état d'urgence et sa durée ne doit donc pas nécessairement coïncider avec celle de l'état d'urgence. L'article 77 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) énonce que "l'Union développe une politique visant à assurer l'absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures". Le principe est donc que les contrôles doivent être assurés aux frontières extérieures de l'Union et pas aux frontières intérieures. Un règlement du 9 mars 2016 met en oeuvre ces dispositions et établit "un code de l'Union relatif au franchissement des frontières". 

Ce règlement prévoit cependant une importante dérogation dans ses articles 25 à 27, dérogation qui était déjà présente dans l'article 48 § 3 du traité de Rome qui énonçait que la libre circulation s'exerce "sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique". Un Etat membre est donc autorisé à "exceptionnellement réintroduire le contrôle aux frontières", lorsqu'il est confronté à "une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure". Là encore,  la durée de la mesure est déterminée par l'Etat lui-même. S'il est vrai que le règlement prévoit une durée de droit commun "d'une durée maximal de trente jours", il ajoute aussitôt que cette durée peut être étendue à la "durée prévisible de le menace, si elle est supérieure à trente jours".  

Les deux seules contraintes imposées à l'Etat sont bien modestes. La première réside dans le fait que les contrôles aux frontières intérieures ne doivent pas excéder "ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave". La seconde fixe un terme de six mois à la durée du rétablissement des contrôles, mais rien n'interdit de prendre une nouvelle décision à l'issue de ce délai. De manière très claire, le contrôle aux frontières intérieures est défini comme une exception au principe de libre circulation, mais  cette exception est perçue comme l'expression de la souveraineté de l'Etat, qui, par hypothèse, ne saurait être limitée.


Rien à Déclarer. Dany Boon. 2010. Benoît Pelvoorde et Dany Boon


Le contrôle au fond

 

Certes, rien n'interdirait à la Cour de justice de l'Union européenne, si elle était saisie, de se prononcer sur l'interprétation qu'elle entend donner à ces dispositions. Mais précisément, le Conseil d'Etat refuse la demande des associations requérantes qui souhaitaient qu'une question préjudicielle soit posée à la CJUE. A ses yeux, elles sont parfaitement claires et il est donc en mesure d'exercer son contrôle de proportionnalité en connaissance de cause.

Sur le fond, la décision est sans surprise. Le Conseil d'Etat prend note "de l'actualité de la menace terroriste" illustrée à la fois par la réalisation d'attentats en Espagne, en Grande-Bretagne et en France, et par la crainte de voir revenir sur le territoire des personnes parties combattre en Syrie et en Irak. Cette effectivité de la menace permet d'abord au Conseil d'Etat d'écarter sèchement le détournement de pouvoir invoqué par les associations requérantes qui estimaient que le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures n'avait pas d'autre finalité que d'empêcher de malheureux migrants de venir en France. 

Elle permet aussi d'exercer le contrôle de proportionnalité, et le Conseil d'Etat juge, logiquement, que la gravité de la menace terroriste justifie que soient contrôlées l'identité et la provenance des personnes désireuses d'entrer en France. Peu importe donc que le gouvernement français ait pris neuf décisions de réintroduction ou de prorogation de ces contrôles depuis les attentats du 13 novembre 2015, dès lors qu'ils demeurent justifiés par la persistance de la menace terroriste. 

Personne ne pouvait sérieusement s'attendre à ce que la plus haute juridiction administrative annule la décision de rétablir les contrôles aux frontières. La décision ne manque pas pour autant d'intérêt car elle révèle la volonté du Conseil d'Etat d'assurer la plénitude de son rôle, sans interférences superflues de la Cour de justice de l'Union européenne. En bref, les contrôles aux frontières relèvent de la souveraineté de l'Etat et leur contrôle des juridictions internes.



Sur l'entrée sur le territoire : Chapitre 5 section 2 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.

 

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