La décision rendue le 20 octobre 2017 sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par le Conseil constitutionnel est si peu surprenante qu'elle risque de passer inaperçue. Le requérant, Jean-Marc L. conteste devant le Conseil d'Etat la décision du 14 mars 2017 par laquelle le vice-président de ce même Conseil d'Etat a adopté la charte
de déontologie de la juridiction administrative. A l'occasion de ce recours, il pose une QPC portant sur la conformité à la Constitution de l'article 131-4 du code de la justice administrative (cja). Ce dernier attribue au vice-président du Conseil d'Etat la compétence pour établir, après avis du collège de déontologie, une charte de déontologie applicable à l'exercice des fonctions des membres de la juridiction administrative.
Observons d'emblée que la situation ne manque pas de sel. Le Conseil d'Etat a en effet accepté de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC portant sur sa propre impartialité. Il est vrai que le risque d'abrogation n'était pas bien élevé. Au contraire, une déclaration de constitutionnalité apporte au Conseil d'Etat un label d'impartialité décerné par le Conseil constitutionnel.
Un chantier en construction
Les obligations déontologiques des membres de la juridiction administrative sont généralement définies par renvoi au statut de la fonction publique (art. L 131-1 cja). A ce principe général s'ajoutent quelques dispositions spécifiques interdisant à un membre de la juridiction administrative de se prévaloir de sa qualité professionnelle à l'appui d'une activité politique et de s'abstenir de toute manifestation politique incompatible avec la réserve imposée par ses fonctions. La jurisprudence elle même a apporté sa pierre à cette construction, par exemple en lui interdisant de participer au jugement d'un recours contre une décision dont ils est l'auteur.
Cette stratification de normes n'a pas disparu. A été
récemment ajouté l'article 12 de la loi du 21 avril 2016 sur la
déontologie des fonctionnaires. Il rappelle que les membres du Conseil d'Etat exercent leurs fonctions "en toute
indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité et se
comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard". De même doivent-ils prévenir ou faire cesser immédiatement les situations de conflits d'intérêts. Ils sont d'ailleurs désormais soumis à une déclaration d'intérêts. Surtout, la loi impose la rédaction d'une charte de déontologie de la juridiction administrative, mélange de "principes" et de "bonnes pratiques". Et comme le projet de loi n'avait pas prévu l'autorité susceptible de rédiger cette charte, un amendement du rapporteur a permis d'attribuer cette compétence au vice-président du Conseil d'Etat lui-même.
La vraie vie vivifiante de Sebh Le Valeureux |
La valeur constitutionnelle du principe d'impartialité
Le Conseil constitutionnel a trouvé un fondement constitutionnel au principe d'impartialité dans l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui énonce que "toute Société dans laquelle la garantie des Droits
n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point
de Constitution". Aux yeux du Conseil, les principes d'indépendance et d'impartialité sont "indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles", et donc liés à la séparation des pouvoirs. Dans une décision du 25 mars 2011, il a donc admis qu'ils puissent être invoqués lors d'une QPC.
De fait, le Conseil a souvent été invité à se prononcer sur l'organisation de telle ou telle instance disciplinaire, par exemple celle créée par l'Ordre des pharmaciens ou par celui des avocats, pour déterminer si elle respectait le principe d'impartialité.
Le Conseil d'Etat à toutes les étapes
Surtout, le Conseil constitutionnel a été saisi récemment du respect du principe d'impartialité dans une procédure intéressant le Conseil d'Etat. Certes, invoquer la séparation des pouvoirs à propos de la juridiction administrative ne manque pas de susciter des interrogations, dans le mesure où elle n'est pas un élément du pouvoir judiciaire. Mais le Conseil constitutionnel refuse d'entrer dans ce débat, préférant invoquer une "conception française de la séparation des pouvoirs", ou "séparation des autorités", formulation qui évite d'aborder la question de front.
Quoi qu'il en soit, dans une décision Soflyan I, elle aussi rendue sur QPC le le16 mars 2017, le Conseil constitutionnel abroge les dispositions organisant la prorogation
de l'assignation à résidence pendant au-delà de douze mois sur le
fondement l'état d'urgence. En effet, le ministre de l'intérieur
était invité à solliciter du juge des référés du Conseil d'Etat l'autorisation de proroger cette mesure. Cette décision ne pouvait
ensuite être contestée que devant ce même Conseil d'Etat. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette omniprésence du Conseil d'Etat, compétent à la fois pour autoriser l'assignation et pour la contrôler était excessive, au point de constituer une atteinte au principe d'impartialité.
Aux yeux du Conseil constitutionnel, la décision du 20 octobre 2017 repose sur une situation bien différente. Il commence par affirmer que la Charte de déontologie est susceptible d'être contestée ou invoquée lors d'un contentieux, par exemple dans l'hypothèse d'un recours contre une sanction disciplinaire visant un membre de la juridiction administrative. Mais dans ce cas, les articles L 131-3 et L 231-4 cja imposent au vice-président et aux membres du collège de déontologie de se déporter. Le manquement à l'impartialité serait constitué en effet s'ils étaient amenés à juger de règles de déontologie qu'ils ont pour mission de définir. C'est donc la loi qui impose un garde-fou, et le Conseil estime que cette garantie législative est suffisante pour imposer le respect du principe d'impartialité.
Sans doute est-ce suffisant, en effet. La solution est-elle pour autant satisfaisante ? Le droit positif choisit finalement d'empêcher le vice président du Conseil d'Etat de statuer dans une affaire mettant en cause la charte de déontologie qu'il a rédigée. Ne serait-il pas préférable que ces règles de déontologie soient établies par le législateur ? Une telle évolution permettrait de lutter contre une fâcheuse impression que la juridiction administrative n'accepte de se soumettre qu'à des règles qu'elle a elle-même élaborées.
Merci pour cet post juridique qui frise la loufoquerie tant le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel (au sein duquel le premier est fortement influent) dépassent les bornes de l'acceptable dans un état de droit. Quelques exemples concrets traduisent l'indépendance et l'impartialité du Conseil d'Etat dans la réalité quotidienne.
RépondreSupprimer- Comment expliquer qu'un tiers des membres du Conseil d'Etat se trouve ailleurs qu'au Palais-Royal : cabinets ministériels, directions des affaires juridiques des ministères, direction d'entreprises publiques (SNCF avec Guillaume Pépy)...? Sans parler de son vice-président qui a fait une grande partie de sa carrière hors du Conseil : Préfet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur, secrétaire général du gouvernement... Comment juger l'administration de manière indépendante et impartiale dans ces conditions ?
- Comment expliquer que la loi les qualifie de "membres du Conseil d'Etat" et non de "magistrats" ? Ce sont des fonctionnaires chargés de juger l'administration ?
- Comment expliquer que l'on puisse cumuler des fonctions de Conseil et de juge de l'administration ? C'est être juge et partie à la même cause si les mots ont encore un sens.
- Comment expliquer que ces messieurs et ces dames font "des ménages" pou arrondir leur fin de mois ? Cette pratique consiste à exercer une autre activité rémunérée pendant ses heures normales de service, enseignement dans les universités et autres IEP et ENA.
- Comment expliquer qu'un juge des référés puisse deux ans après sa décision de rejet d'un acte de l'administration puisse siéger dans une formation de jugement (section ou plénière) après avoir occupé, entre temps, les fonctions de directeur de cabinet du Garde des Sceaux ? C'est ce que l'on appelle la confusion des genres.
Dans ces conditions, parler d'indépendance, d'impartialité, de déontologie... relève d'une farce de mauvais goût. Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais !
En complément à mon précédent commentaire, deux informations pratiques :
RépondreSupprimer- l'excellente analyse de votre collègue, Paul Cassia intitulée : "L'impartialité du Conseil d'Etat et la charte de déontologie des juges administratifs" que l'on peut retrouver sur le Blog de Paul Cassia, rubrique "Le Club, notre sélection" (accès libre) sur www.mediapart.fr , 23 octobre 2017. Les grands esprits se rencontrent !
- Toutes nos sincères félicitations au vice-président du Conseil d'Etat qui vient d'être désigné "Président de la fondation cité internationale universitaire de Paris" en sus de toutes les prestigieuses autres fonctions qu'il occupe dans différentes associations nationales et internationales dont la présidence du conseil d'administration de l'ENA. A découvrir sur le site très officiel du Conseil d'Etat ! La liste est impressionnante...