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samedi 16 septembre 2017

Le droit d'accès aux archives publiques

L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 affirme que "la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration". Il présente la particularité de n'être pratiquement jamais invoqué devant le Conseil constitutionnel. La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 15 septembre 2017 mérite donc une attention particulière.

L'accès dérogatoire


Le requérant, François G., demande une autorisation d'accès à des documents conservés dans la archives de la Présidence de la République concernant l'intervention de la France au Rwanda, entre 1990 et 1995. Observons d'emblée que ces pièces ne sont pas librement communicables. L'article 213-2 du code du patrimoine repousse à l'issue d'une période de 25 ans l'accès "des documents dont la communication porte atteinte au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif". Le Conseil d'Etat applique rigoureusement ces dispositions. Dans un arrêt du 10 mai 1996, il estime ainsi couvert par ce secret un rapport préparatoire commandé par le ministre de la santé sur la vente des seringues en pharmacie. 

Il existe cependant une procédure dérogatoire d'accès aux archives qui peut être exercée durant cette période de 25 années. Dans ce cas, le demandeur s'adresse à la direction des archives de France, qui statue , après l'avis de l'autorité dont émane la pièce demandée et avis de la CADA, « dans la mesure où l’intérêt qui s’attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ». In fine, c'est une décision du ministre de la culture qui accorde ou refuse l'autorisation dérogatoire. Dans la pratique, on observe que les accès dérogatoires sont souvent accordés, en particulier lorsque l'objet est une recherche académique développée sous l'autorité d'un centre de recherches universitaire.

En l'espèce, M. G. s'est heurté à un refus. Il ne pouvait d'ailleurs en être autrement car le ministre de la culture avait compétence liée. Il était tenu de refuser l'accès sur le fondement de l'article 213-4 du code du patrimoine qui prévoit un régime particulier d'accès aux archives émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du gouvernement. Dans ce cas précis, le versement aux archives peut s'accompagner de la signature d'un protocole de remise entre l'autorité qui opère ce versement et l'administration des archives. Ce texte précise les conditions de traitement, de conservation, de valorisation et surtout de communication de ces documents. Il va s'appliquer durant une période de 25 ans, période durant laquelle l'autorité déposante, Président de la République ou membre du gouvernement conserve donc la possibilité de s'opposer à toute communication, dès lors qu'un tel refus est rendu possibilité par une stipulation du protocole. Pour les pièces versées avant l'entrée en vigueur de la loi de 2008, il était même possible de prévoir un mandataire chargé de gérer les demandes de communication après le décès de l'autorité. 

En l'espèce, le mandataire du Président Mitterrand s'est opposé à la communication. La CADA a donc constaté qu'elle "ne pouvait qu'émettre  un avis défavorable à la communication" et le ministre de la culture a a également été contraint d'opposer une décision de refus à François G. C'est précisément cet article L 213-4 qui est l'objet de la QPC.  

Gaston Lagaffe. Franquin


Consécration du droit d'accès


Pour la première fois, le Conseil constitutionnel fait une application positive de l'article 15 de la Déclaration de 1789. Il affirme en effet qu'"est garanti par cette disposition le droit d'accès aux documents d'archives publiques". Ce droit était certes garanti par la loi mais il a désormais un fondement constitutionnel. Par cette formulation inédite, le Conseil ouvre la voie à des décisions ultérieures. On peut ainsi espérer que la liberté d'accès aux documents administratifs, garantie par la seule loi du 17 juillet 1978, fera bientôt l'objet de la même consécration. Cela serait fort utile dans la mesure où un certain nombre d'avis de la CADA favorables à la communication demeurent sans effet, l'administration refusant purement et simplement de s'y plier. 

En appuyant ce droit d'accès sur l'article 15 de la Déclaration, le Conseil écarte définitivement l'argument essentiel opposé par les autorités publiques selon lequel "le droit de demander des comptes à l'administration" ne saurait s'appliquer aux archives, dès lors que, par hypothèse, celui qui dépose ses archives ne participe plus de  "l'administration". Un tel argument relevait du sophisme et on ne voit pas pourquoi l'exigence de rendre des comptes s'éteindrait lorsque l'intéressé quitte ses fonctions. 

Des limitation prévues par la loi


Après ce considérant de principe, le Conseil constitutionnel affirme cependant que ce droit d'accès aux archives n'a rien d'absolu. Il peut au contraire faire l'objet de "limitations" définies par la loi. Le régime particulier des archives du Président de la République, du Premier ministre et des membres du gouvernement constitue l'une de ces limitations. En l'espèce, le Conseil observe qu'elle est définie par la partie législative du code du patrimoine. Il estime qu'elle répond à un but d'intérêt général, car il est nécessaire d'accorder une protection particulière à des pièces qui sont, pour la plupart, couvertes par le secret des délibérations du gouvernement. Enfin, elle est limitée dans le temps, même si cette durée de 25 années peut sembler très longue au requérant. De tous ces éléments, le Conseil déduit que l'article L 213-2 du code du patrimoine est conforme à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Derrière cette décision apparaît une conception du temps long, celui des historiens. En effet, si les membres du pouvoir exécutif ne pourront plus rendre compte de leur administration devant leurs électeurs, ils rendront compte devant l'histoire car leur archives demeureront préservées durant 25 ans. Elles pourront ensuite être dépouillées et étudiées. Cette solution n'est sans doute pas parfaite. Elle présente néanmoins l'avantage immense de garantir la remise et la conservation de ces archives particulièrement sensibles. Les dispositions contestées n'ont pas d'autre objet que d'empêcher la destruction d'archives, trop fréquente au moment où les politiques quittaient leur poste. Ces documents précieux ne partent plus en fumée et seront, un quart de siècle plus tard, à la disposition des historiens.

1 commentaire:

  1. Excellente synthèse de la problématique juridique de la communication d'archives sensibles à des chercheurs ou à des historiens alors que certains des protagonistes de l'affaire du Rwanda (militaires ou diplomates) sont encore en vie et pourraient, le cas échéant être traînés devant la justice pénale internationale. L'enjeu de cette éventuelle consultation n'est donc pas anodin. Le problème peut et doit être abordé selon plusieurs angles.

    UN ANGLE JURIDIQUE

    Fortement imprégné de la culture du Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel procède de manière jésuitique. Il pose un principe absolu généreux en apparence (la communication des archives) qu'il tempère aussitôt par quelques exceptions qui le transforment en principe relatif (la non-communication des archives).

    UN ANGLE SECURITAIRE

    A partir de quel stade, doit-on considérer objectivement que des documents sont suffisamment sensibles en termes de protection de la sécurité du pays pour écarter le principe de la communication ? Petit à petit, nous évoluons du droit à l'opportunité surtout si les chercheurs demandeurs sont animés ab initio de quelques intentions malveillantes à l'égard de nos militaires qui ne font qu'appliquer des ordres politiques. Ce qui est souvent le cas dans l'affaire du Rwanda.

    UN ANGLE ARCHIVISTIQUE

    Plusieurs questions méritent d'être posées pour mieux comprendre le problème dans toute sa diversité et sa complexité.

    - Sommes-nous certains que tous les documents ont été archivés, numérotés par ordre chronologique pour prévenir les destructions et conservés dans leur intégralité par la présidence de la République entre 1990 et 1990 ? La déchiqueteuse ou le classement vertical sont bien connus des fonctionnaires.

    - Sommes-nous certains que certains ordres sensibles (d'intervenir ou de ne pas intervenir) aient fait l'objet d'instructions écrites sous forme de notes enregistrées avec un numéro, une date, un nom de rédacteur et un nom de signataire ?

    - Sommes-nous certains que les compte-rendus de certaines opérations délicates aient été rédigés de façon objective, s'en tenant qu'à la seule vérité des faits chère à Hannah Arendt ? Un ambassadeur de France dignitaire à la retraite, dont les télégrammes de compte-rendus de réunions internationales difficiles pour la France étaient qualifiés de nord-coréens, avait pour habitude de toujours débuter ses rapports chiffrés par la formule "tous nos objectifs ont été atteints". Il omettait de préciser quels étaient ces objectifs et dans quels mesures ils avaient été atteint tant ils étaient évolutifs au gré des circonstances. La ficelle est connue, usée mais elle marche toujours très bien.

    "L'historien est bien obligé d'avoir recours à l'écrit, aux archives, mais l'écrit est trompeur. Il ne reflète pas la réalité" (Emmanuel Le Roy-Ladurie).

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