Un licenciement fondé sur le contrôle des courriels d'un salarié emporte, sous certaines conditions, une atteinte excessive au droit à sa vie privée. Ainsi en a décidé la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans son arrêt de Grande Chambre Barbulescu c. Roumanie du 5 septembre 2017. La Cour n'entend pourtant pas interdire tout licenciement sanctionnant l'utilisation, par le salarié, de sa messagerie professionnelle à des fins personnelles. Elle veut seulement, mais c'est déjà beaucoup, imposer au droit de l'Etat le respect de certaines garanties dans ce domaine.
M. Barbulescu avait créé, à la demande de son entreprise, une adresse courriel professionnelle sur Yahoo Messenger. Il l'utilisait certes pour entrer en contact avec des clients, mais aussi pour échanger des propos purement personnels avec sa fiancée et son frère. Lors de la procédure préalable à son licenciement, son employeur a ainsi produit un document de 45 pages, transcription de ses communications personnelles durant la seule semaine du 5 au 12 juillet 2007. L'intéressé a ensuite été licencié le 1er août suivant.
Peu importe cependant le caractère massif des communications personnelles de M. Barbulescu. La CEDH n'est pas saisie pour porter une nouvelle appréciation sur les faits de l'espèce mais pour examiner l'affaire au regard des obligations positives de l'Etat. Par le droit applicable et par le jugement de l'affaire, les autorités roumaines ont-elle mis convenablement en balance le droit à la vie privée du requérant et l'intérêt de son employeur ? La réponse à cette question est négative.
Applicabilité de l'article 8
Le premier moyen articulé par le gouvernement roumain, selon lequel l'article 8 de la Convention ne serait pas susceptible d'être invoqué en l'espèce est rapidement écarté. Déjà dans l'arrêt Copland c. Royaume-Uni de 2007, la CEDH avait précisé que la vie privée ne se déroule pas uniquement dans ce sanctuaire que constitue le domicile. Elle peut aussi être protégée sur le lieu de travail. Dans l'affaire Copland, elle avait ainsi sanctionné la surveillance des communications téléphoniques de l'employée d'une Université galloise, soupçonnée par son supérieur hiérarchique d'entretenir une liaison avec le directeur de l'un des collèges de l'établissement. L'article 8 de la Convention européenne peut donc être invoqué pour contester des mesures attentatoires à la vie privée prises sur le lieu de travail.
Une liste de garanties
En l'absence de consensus des Etats membres du Conseil de l'Europe, la CEDH admet qu'ils disposent d'une large autonomie pour définir le droit applicable à l'éventuelle surveillance des communication au sein des entreprises. Encore faut-il qu'il respectent un certain nombre de principes, que l'arrêt Barbulescu se propose de définir. Ils reposent sur l'idée, déjà formulée dans la décision du 12 septembre 2011Palomo Sanchez c. Espagne, que les relations de travail doivent reposer sur une confiance réciproque.
Vous avez un mess@ge. Nora Ephron. 1998
La Cour dresse donc une véritable liste de garanties que doit prévoir par le système juridique. Les juges internes doivent ainsi apprécier la légitimité des motifs invoqués par l'employeur à l'appui des mesures de surveillance et la pertinence des moyens utilisés : aurait-il été possible d'utiliser des techniques moins intrusives ? Cette question conduit à une distinction entre les flux de communication et leur contenu. En l'espèce, l'employeur ne s'est pas borné à constater que M. Barbulescu échangeait de nombreux courriels avec ses proches, ce qui aurait été largement suffisant pour constater la violation du règlement intérieur interdisant d'utiliser les équipements à des fins personnelles. L'entreprise conservait en effet le contenu des messages, ainsi que le démontre la production des 45 pages d'échanges entre le requérant, son frère et sa fiancée. Or les juges roumains ne se sont pas posés cette question et se sont limités à sanctionner le non-respect du règlement intérieur.
Une autre série de garanties réside dans l'importance et la pertinence des informations données au salarié. Il est vrai que M. Barbulescu avait lui-même signé le règlement intérieur et montré ainsi qu'il était informé de l'interdiction d'utiliser les équipements de l'entreprise à des fins personnelles. Mais il n'était pas informé en revanche de l'existence de la surveillance permanente et du téléchargement de ses communications électroniques. C'est précisément ce que sanctionne le Cour, allant ainsi à l'encontre de l'arrêt du 12 janvier 2016 qui avait estimé que l'existence d'un règlement intérieur interdisant l'utilisation des ressources de l'entreprise suffisait à justifier la sanction. La CEDH précise ainsi que le salarié doit non seulement connaître l'interdiction formulée par le règlement mais aussi être informé de la surveillance exercée sur l'utilisation de sa messagerie.
Le droit français
Le droit roumain est donc sanctionné, non pas parce qu'il permet au chef d'entreprise de surveiller les salariés, mais qu'il n'offre pas à ces derniers des garanties suffisantes. La CEDH définit en même temps les principes qui doivent guider les Etats dans l'élaboration des règles relatives à la vie privée dans l'entreprise. Elle n'impose pas cependant une uniformisation européenne dans ce domaine. En schématisant quelque peu, on peut distinguer sur ce point deux politiques juridiques bien distinctes. Certains Etats comme l'Autriche, les pays de l'ex-Yougoslavie, la Grèce, la Pologne ou la Slovaquie autorisent une surveillance du contenu des communications des employés, à la condition qu'ils en soient clairement informés. D'autres comme le Danemark ou l'Italie ne permettent une surveillance, à l'exception du contenu des courriels clairement identifiés comme personnels par l'employé.
C'est clairement la position de la France. Certes, il n'existe pas de législation sur cette question, mais la Cour de cassation estime dans une jurisprudence constante, par exemple dans un arrêt de la Chambre commerciale du 10 février 2015, que les données traitées par messagerie dans une entreprise sont présumées avoir un caractère professionnel, sauf si l'employé les désigne formellement comme personnelles. Un tel dispositif serait-il considéré comme une atteinte à la vie privée ? Certains semblent le croire, à commencer par les autorités françaises elles-mêmes qui ont cru bon de faire une tierce intervention dans l'affaire Barbulescu. Rien n'est moins certain cependant, dès lors que la CEDH reconnaît laisser aux Etats une grande latitude dans ce domaine. Quoi qu'il en soit, la refonte du code du travail permettra peut-être de définir dans la loi les principes gouvernant le respect de la vie privée dans l'entreprise.
Analyse lumineuse d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg qui brille par son raisonnement obscur. Mais comment pourrait-il en être autrement tant les paramètres sur lesquels elle se fonde sont d'une nature plus que subjective pour apprécier le contexte du droit du travail et sa mise en oeuvre ? Deux remarques peuvent être formulées.
RépondreSupprimer1. L'ANALYSE DE L'ARRÊT DE LA CEDH
Où se situe le point d'équilibre idéal entre respect du droit à la vie privée et intérêt de l'employeur ? Comment définir le minimum de confiance entre l'employeur et son employé ? Comment un employeur peut-il apporter des preuves irréfragables (donc écrites) qu'un de ses subordonnés ne passe pas le plus clair de son temps à traiter de ses affaires personnelles alors qu'il n'est pas rétribué pour ce faire ? C'est la quadrature du cercle sur le plan de la preuve. Soit vous prouvez en étant intrusif, soit vous ne prouvez rien en respectant la règle au pied de la lettre. A méditer par les juristes méticuleux !
2. L'INTERVENTION INTEMPESTIVE DE LA FRANCE
Quant à la tierce intervention de la France, elle ne manque pas de sel au moment où elle modifie le droit du travail dans un sens général plus favorable à l'employeur pour favoriser la reprise économique et donc l'emploi et où notre président jupitérien stigmatise les "fainéants" ! Par ailleurs, la France ferait mieux de mettre en route le plus vite possible son projet de réforme constitutionnelle portant sur l'indépendance du parquet comme ceci lui a été demandé par la CEDH dans deux célèbres arrêts structurels datant déjà de 2010. C'est ce que l'on appelle dans le langage non juridique, commencer par balayer devant sa porte avant d'aller le faire devant celle des autres. Un nouvel exemple d'arrogance à la française.
"Internet, mais c'est une poudrière juridique". On ne saurait mieux dire que Richard Haas dans son "Internet et la protection des données