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jeudi 15 juin 2017

Nadine Y. c. Guy Z. : les fondements juridiques de l'injure

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 7 juin 2017 une décision qui devrait faire réfléchir celles-ci et ceux qui s'estiment injuriés. Avant de porter plainte formellement, il convient en effet de s'interroger sur le fondement juridique de cette plainte. C'est précisément ce que n'a pas sérieusement fait Nadine Y. , et c'est ce qui explique l'échec de son pourvoi.

Le 11 octobre 2013, alors que Nadine Y.  est conseillère municipale de Toul et conseillère régionale, Guy Z. donne un spectacle à la salle de l'Arsenal de cette ville. Il s'y exprime en des termes pour le moins directs : "  Ah Nadine Y... a été élue ici à Toul ? Vous l'avez échappé belle ! On m'avait promis qu'elle serait là... Quelle conne ! Ah la salope... Qu'elle est vulgaire, mais qu'elle est conne celle-là ! Je l'emmerde ! Il y en a qui applaudissent, il y en a qui huent, c'est bien. C'est la démocratie. Elle est de droite et lâche. C'est un pléonasme. Y..., Y... Elle répète sans arrêt, le peuple, je connais, j'en viens.. Bah retournes y connasse". 

Le caractère injurieux


Ces propos, d'une rare élégance, relèvent à l'évidence de l'invective. L'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse définit l'injure comme "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure." L'appréciation du caractère injurieux des propos tenus donne lieu cependant à une jurisprudence impressionniste. 

Est d'abord envisagé le caractère privé ou public ou des propos. Cette appréciation est importante car l'injure privée est punie d'une simple contravention, alors que l'injure publique est un délit qui relève du tribunal correctionnel et qui est punissable d'une amende de 12 000 €. En l'espèce, le caractère public ne fait aucun doute, dès lors que quelques milliers de personnes ont assisté au spectacle de Guy Z. et que ses propos ont été largement repris dans les médias.

Au regard de leur contenu, les propos injurieux ne reposent sur aucun fait précis. Dans une décision du 7 décembre 2010, la Cour de cassation fait ainsi observer qu'un tract distribué par un mouvement de soutien aux étrangers sans papiers est injurieux dans la mesure où il qualifie les agents de police d'être "familiers des idées racistes", sans apporter aucun élément factuel de nature à étayer cette accusation. 

Enfin, le juge prend en considération les éléments susceptibles d'atténuer la responsabilité de l'auteur des propos injurieux. L'excuse de provocation peut ainsi être admise lorsque l'injure a été proférée comme une "réaction immédiate et irréfléchie aux propos de la victime". En l'espèce, l'excuse de provocation ne peut cependant pas être invoquée lorsque le plaignant s'appuie sur les dispositions visant l'injure proférée à l'encontre d'une personne dépositaire d'un mandat public, ce qui est le cas en l'espèce. De toute évidence, cette impossibilité a inquiété les défenseurs de Guy Z., qui ont déposé une QPC. Ils estimaient en effet qu'une telle règle portait atteinte au principe d'égalité devant la loi. Si les juges du fond, peut-être impressionnés par la médiatisation de l'affaire, ont transmis la QPC, la Cour de cassation, quant à elle, a refusé le renvoi au Conseil constitutionnel dans un arrêt du 15 mars 2016. 

La qualité de l'auteur de propos est également un élément pris en considération. De manière traditionnelle, les juges sont plus indulgents envers les journalistes et les hommes politiques, estimant que, dans le feu du débat, les propos peuvent parfois dépasser la pensée. La Cour européenne des droits de l'homme elle-même a ainsi reconnu , dans un arrêt du 26 avril 1995 Prager et Oberschlick c. Autriche qu'un article traitant le responsable d'un parti politique d'"imbécile" n'était pas nécessairement constitutif d'une injure. Aux yeux de la Cour, le débat politique peut en effet comporter "une certaine dose d'exagération, voire de provocation".  Cette jurisprudence aurait sans doute pu être invoquée par les avocats de Guy Z., d'autant qu'elle a été étendue aux paroles proférées par un groupe de rap qui appelait à "mettre un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d'Eric Z.". Il est vrai que cette décision, critiquée par la doctrine, n'a pas fait l'objet d'un pourvoi et n'a pas été confirmée par la jurisprudence ultérieure.

Guy Bedos. Toutes des salopes. 1975. Archives INA (avec carré blanc)

Une erreur de fondement juridique


Quoi qu'il en soit, les défenseurs de Guy Z. n'ont pas eu besoin de se pencher sur la question. Ceux de Nadine Y. ont en effet choisi un fondement juridique qui n'avait pas beaucoup de chances de la conduire au succès. Au lieu de se fonder sur l'article 29 de la loi de 1881, ils se sont appuyés sur l'article 33 de ce même texte. Il punit l'injure proférée "à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers (...) un dépositaire ou agent de l'autorité publique, (...) un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, etc". En l'occurrence, Nadine Y.  exerce effectivement un mandat au conseil régional et elle est également membre du conseil municipal de Toul. Le choix de l'article 33 lui permet d'envisager une sanction plus lourde puisque l'amende encourue est cette fois de 45 000 €. 

Hélas, la jurisprudence considère depuis bien longtemps que l'injure doit, dans ce cas, "caractériser des actes se rattachant à la fonction de ces personnes ou à la qualité dont elles sont revêtues". Dans un arrêt du 22 juin 1944, la Cour de cassation avait déjà écarté le fondement de l'article 33 pour des injures proférées contre un huissier qui n'était pas dans l'exercice de ses fonctions. A contrario, relèvent de l'article 33 les propos du maire d'une commune qui, lors d'une manifestation contre l'implantation d'un centre d'enfouissement d'ordures ménagères dans sa commune, donne une interview dans laquelle il engage les autorités de la Polynésie française à "nettoyer les ordures qui dirigent ce pays". (Crim., 19 février 2002). 

En l'espèce, les propos de Guy Z. ne visaient en aucun cas la manière dont Nadine Y. exerçait ses mandats. La seule référence à son activité politique réside dans la mention selon laquelle elle était "de droite", propos dont on ne sait s'il doit être, en tant que tel, qualifié d'injure. La Cour de cassation en déduit que les propos ne se rattachent pas à la fonction exercée par Nadine Y. mais plutôt à sa personne privée. Son pourvoi est donc rejeté et Guy Z. échappe ainsi à la condamnation pour injure. Nadine Y.  a "perdu son procès", selon les termes figurant dans la presse, parce qu'elle a choisi le mauvais fondement juridique, soit parce qu'elle était mal conseillée, soit parce que son ego lui dictait de se présenter comme une élue et non pas comme une simple citoyenne, soit parce qu'elle souhaitait que l'auteur des propos outrageants soit plus lourdement condamné. Dans tous les cas, elle a quelques jours pour maudire ses juges... en termes bien sentis.

Sur l'état d'urgence   : Chapitre 9 § 1 A  du manuel de libertés publiques sur internet.




1 commentaire:

  1. La problématique de l'injure se trouve au coeur du débat sur la liberté d'expression, concept à géométrie variable, sorte d'objet juridique non identifié (OJNI) évoluant dans une société sans mesure et sans recul. En dépit de la lumière utile que vous apportez, les motivations de cet arrêt de la Cour de cassation demeurent relativement obscures pour l'esprit simple, voire simpliste que nous sommes. Le traitement juridique de l'injure se situe au confluent de quatre maux de notre société.

    1. La médiocrité affligeante d'une majorité de femmes et d'hommes politiques dans notre pays. Ils confondent politique et jeux du cirque en se prêtant à des exercices médiatiques indignes. Ils n'ont pas compris que la crédibilité de la parole politique dépend de sa rareté et de son calibrage. Faute de s'en tenir à cette simple règle de conduites, elles et ils prêtent le flanc à la critique.

    2. La vulgarité croissante d'une majorité d'humoristes qui confondent allègrement humour et vulgarité, satire et injure. Le spectacle attristant que nous livrent certains d'entre eux sur les chaînes de télévision devraient leur valoir exclusion. Nous sommes loin de la finesse, des jeux de mots des Raymond Devos et autres grands de la profession ...

    3. L'irresponsabilité de bon nombre de médias qui se livrent à une course sans fin à la vulgarité qui semble satisfaire le citoyen moyen. Elle est plus pernicieuse encore que l'information bidon ("fake news") venant d'Outre-Atlantique. Elle est le signe d'un affaissement moral constant, d'une étrange défaite à la Marc Bloch revue et corrigée par nos animateurs préférés.

    4. Une pusillanimité grandissante de nos magistrats qui ne parviennent pas à poser quelques critères indiscutables, se contentant d'en multiplier le nombre pour se couvrir. C'est la technique bien connue de l'enfumage qui masque parfois une approche idéologique et dogmatique des règles de vie en société. Sévérité pour les uns, laxisme pour les autres en fonction du temps, du lieu, de la pression médiatique.

    Une société qui ne trouve qu'une réponse normative à ses maux est une société fragilisée qui se prépare à d'autres crises autrement plus graves. Nous en avons un exemple éloquent avec le débat sur la moralisation de la vie publique. Comme le dit le proverbe portugais :

    "Dieu écrit droit avec des lignes courbes".

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