Le maire de Mandelieu La Napoule, Henri Leroy (Les Républicains), a envoyé une lettre aux gérants du magasin H&M situé dans sa ville, leur demandant d'agir "pour qu'à Mandelieu La Napoule le port de signes religieux soit proscrit". Dans sa lettre publiée dans le journal de la commune, il justifie sa démarche par "de nombreuses plaintes d'administrés et de clients, gênés par la tenue vestimentaire à caractère religieux de vos salariées".
Sur le plan juridique, il invoque la décision rendue par la Cour de
justice de l'Union européenne le 14 mars 2017 qui autorise une
entreprise privée à adopter un règlement intérieur imposant la
neutralité religieuse à ses employés. Il demande donc aux gérants du
magasin d'appliquer cette jurisprudence.
La
démarche du maire est d'abord une posture politique. En rendant
publique une lettre datée du mois d'avril dans le journal municipal de
juin, le maire adresse un message à son électorat. Rien ne dit
qu'il espère réellement obtenir de H&M l'interdiction du port de
signes religieux dans son magasin. L'entreprise suédoise lui a d'ailleurs sèchement répondu que "notre règlement intérieur permet à chacun de nos collaborateurs de
s'habiller comme ils le souhaitent dans les limites fixées par la loi». Il est bien probable que l'affaire va prendre fin avec cet échange dépourvu d'aménité, d'autant que la période électorale prend fin. Elle présente pourtant l'intérêt de montrer que les élus locaux ne disposent d'aucun fondement juridique de nature à justifier une telle intervention.
Le pouvoir de police générale
Comme
on le sait, le maire d'une commune est doté d'un pouvoir de police
générale qui ne peut être employé qu'en cas de menace effective pour
l'ordre public. Rappelons que le juge des référés du Conseil d'Etat a
ainsi suscité une jurisprudence nuancée à propos des arrêtés pris par
les élus pour interdire le port du burkini sur les plages de leur
commune. Il a en effet accepté de suspendre une telle mesure dans la
seule hypothèse où le port d'un tel vêtement avait provoqué des
atteintes à l'ordre public, rixes ou manifestations diverses. Cette
jurisprudence permettait au Conseil d'Etat de ne pas prendre une
position de principe sur cette question. L'interdiction prononcée par les élus a ainsi été suspendue à Villeneuve-Loubet et maintenue à Sisco, où une bagarre avait opposé les partisans aux opposants du burkini.
En l'espèce, aucune menace d'atteinte à l'ordre public n'est mentionnée à Mandelieu La Napoule, l'élu lui-même se bornant à évoquer "de nombreuses plaintes d'administrés et de clients", c'est-à-dire un nombre non précisé de démarches individuelles qui ne sauraient constituer un mouvement collectif et organisé.
Le pouvoir de police du maire doit, d'une manière générale, se concilier avec la liberté d'entreprendre. Le Conseil d'Etat en avait déjà jugé ainsi dans l'arrêt Daudignac de 1951, rendu à propos d'un arrêté du maire de Montauban soumettant à autorisation l'exercice de la profession de photographe-filmeur sur le territoire de la commune. Le juge avait alors considéré qu'une interdiction générale et absolue d'exercer une profession portait une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Or, dans l'affaire Daudignac, il s'agissait d'autoriser l'occupation du domaine public, ce qui justifiait la compétence de l'élu, même si, en l'espèce, elle s'était exercée avec une rigueur excessive. Dans le cas du port de signes religieux chez H&M, le caractère proportionné de l'exercice du pouvoir de police doit être envisagé de manière encore plus rigoureuse dès lors qu'il porterait atteinte à la fois à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété. Il s'analyserait comme une intervention intempestive du maire dans une relation de travail qui n'entre pas réellement dans le champ de sa compétence, sauf troubles violents qui n'existent pas en l'espèce.
Le maire de Mandelieu est sans doute conscient des limites de son pouvoir de police, et il invoque la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Il affirme ainsi que, "le 14 mars dernier", elle a "estimé que le règlement interne d'une entreprise peut, sous certaines conditions, prévoir l'interdiction du port visible de signes religieux ou politiques, comme le foulard islamique". Ce n'est pas faux. Dans deux décisions du 14 mars 2017, Samira Achbita et autres c. G4S Secure Solutions N.V.), et Asma Bougnaoui et Association de défense des droits de l'homme c. Micropole S.A. la CJUE a effectivement constaté que l'interdiction du port de signes religieux en entreprise n'est pas, en soi, discriminatoire, à la condition que le règlement intérieur qui l'impose "traite de manière identique tous les travailleurs (...) en leur imposant, de manière générale et indifférenciée, le respect de la neutralité vestimentaire".
D'une manière générale, la CJUE admet ainsi une politique de neutralité "objectivement justifiée par un objectif légitime". Ce dernier peut résider dans des nécessités de sécurité, par exemple lorsque le port du voile se révèle dangereux pour certaines activités professionnelles, ou dans une volonté d'imposer la neutralité "politique, philosophique, et religieuse" dans les "relations avec les clients". Cette jurisprudence n'est guère éloignée du code du travail français, qui énonce dans son article L1321-2-1, que "Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.»
Contrairement à ce qu'affirme Libération dans son analyse de la lettre du maire de Mandelieu, ces deux conditions ne sont pas cumulatives mais alternatives. H&M pourrait donc parfaitement mettre en oeuvre une politique de neutralité en invoquant "les nécessités du fonctionnement de l'entreprise" dans sa relations avec les clients. Elle ne le souhaite pas, ce qui est son droit et ce qui n'est pas surprenant si l'on considère qu'il s'agit d'une entreprise suédoise, pays traditionnellement attaché à une certaine forme de communautarisme. On se souvient d'ailleurs que les magasins H&M avaient été parmi les premiers à commercialiser le burkini, s'appuyant sur le multiculturalisme pour pénétrer un marché nouveau. En tout état de cause, la décision d'accepter ou non le porte de signes religieux par son personnel appartient à H&M, et pas au maire de Mandelieu La Napoule. N'oublions pas cependant qu'elle appartient aussi et surtout au consommateur, libre d'aller acheter ses vêtements chez H&M... ou ailleurs.
Sur le port du voile en entreprise : Chapitre 10 section 1 du manuel de libertés publiques sur internet
En l'espèce, aucune menace d'atteinte à l'ordre public n'est mentionnée à Mandelieu La Napoule, l'élu lui-même se bornant à évoquer "de nombreuses plaintes d'administrés et de clients", c'est-à-dire un nombre non précisé de démarches individuelles qui ne sauraient constituer un mouvement collectif et organisé.
Le pouvoir de police du maire doit, d'une manière générale, se concilier avec la liberté d'entreprendre. Le Conseil d'Etat en avait déjà jugé ainsi dans l'arrêt Daudignac de 1951, rendu à propos d'un arrêté du maire de Montauban soumettant à autorisation l'exercice de la profession de photographe-filmeur sur le territoire de la commune. Le juge avait alors considéré qu'une interdiction générale et absolue d'exercer une profession portait une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Or, dans l'affaire Daudignac, il s'agissait d'autoriser l'occupation du domaine public, ce qui justifiait la compétence de l'élu, même si, en l'espèce, elle s'était exercée avec une rigueur excessive. Dans le cas du port de signes religieux chez H&M, le caractère proportionné de l'exercice du pouvoir de police doit être envisagé de manière encore plus rigoureuse dès lors qu'il porterait atteinte à la fois à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété. Il s'analyserait comme une intervention intempestive du maire dans une relation de travail qui n'entre pas réellement dans le champ de sa compétence, sauf troubles violents qui n'existent pas en l'espèce.
Deux femmes assises. Henri Hourtal 1877-1944 |
La jurisprudence de la Cour de Justice
Le maire de Mandelieu est sans doute conscient des limites de son pouvoir de police, et il invoque la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Il affirme ainsi que, "le 14 mars dernier", elle a "estimé que le règlement interne d'une entreprise peut, sous certaines conditions, prévoir l'interdiction du port visible de signes religieux ou politiques, comme le foulard islamique". Ce n'est pas faux. Dans deux décisions du 14 mars 2017, Samira Achbita et autres c. G4S Secure Solutions N.V.), et Asma Bougnaoui et Association de défense des droits de l'homme c. Micropole S.A. la CJUE a effectivement constaté que l'interdiction du port de signes religieux en entreprise n'est pas, en soi, discriminatoire, à la condition que le règlement intérieur qui l'impose "traite de manière identique tous les travailleurs (...) en leur imposant, de manière générale et indifférenciée, le respect de la neutralité vestimentaire".
D'une manière générale, la CJUE admet ainsi une politique de neutralité "objectivement justifiée par un objectif légitime". Ce dernier peut résider dans des nécessités de sécurité, par exemple lorsque le port du voile se révèle dangereux pour certaines activités professionnelles, ou dans une volonté d'imposer la neutralité "politique, philosophique, et religieuse" dans les "relations avec les clients". Cette jurisprudence n'est guère éloignée du code du travail français, qui énonce dans son article L1321-2-1, que "Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.»
Contrairement à ce qu'affirme Libération dans son analyse de la lettre du maire de Mandelieu, ces deux conditions ne sont pas cumulatives mais alternatives. H&M pourrait donc parfaitement mettre en oeuvre une politique de neutralité en invoquant "les nécessités du fonctionnement de l'entreprise" dans sa relations avec les clients. Elle ne le souhaite pas, ce qui est son droit et ce qui n'est pas surprenant si l'on considère qu'il s'agit d'une entreprise suédoise, pays traditionnellement attaché à une certaine forme de communautarisme. On se souvient d'ailleurs que les magasins H&M avaient été parmi les premiers à commercialiser le burkini, s'appuyant sur le multiculturalisme pour pénétrer un marché nouveau. En tout état de cause, la décision d'accepter ou non le porte de signes religieux par son personnel appartient à H&M, et pas au maire de Mandelieu La Napoule. N'oublions pas cependant qu'elle appartient aussi et surtout au consommateur, libre d'aller acheter ses vêtements chez H&M... ou ailleurs.
Sur le port du voile en entreprise : Chapitre 10 section 1 du manuel de libertés publiques sur internet
Pour folklorique qu'elle soit, la décision du Maire de Mandelieu La Napoule n'en soulève pas moins plusieurs questions importantes sur la l'application de la laïcité dans notre pays au moment même où nos voisins britanniques s'interrogent sur les limites du communautarisme à la lumière de quelques évènements douloureux. Elles peuvent se résumer à deux propositions simples.
RépondreSupprimer- Le flou de la loi
Trop de normes tue la norme. La France étouffe de l'inflation de lois souvent prises dans la précipitation, dans l'émotion et sans hauteur. Résultats le plus souvent de compromis, pour ne pas dire de compromissions, elles ne règlent pas le problème auquel elles étaient censées apporter une solution robuste. Les Français ont une fâcheuse tendance à ne raisonner que sur le mode binaire : ce qui est interdit et ce qui ne l'est pas. On connait la suite dans le domaine de la laïcité.
La versatilité de la jurisprudence
Il est nul besoin de s'étendre sur les jurisprudences contradictoires du Conseil d'état sur la question du burkini que vous évoquez dans votre post très clair. Un coup à droite, un coup à gauche. En faisant plaisir à tout le monde, on ne fait plaisir à personne. Tout ceci souligne l'urgence qui s'attacherait à trouver une solution raisonnable au problème de la dualité de fonctions de la plus haute juridiction administrative dans le cadre de la prochaine réforme de la Constitution ! Le principe de la séparation des pouvoirs devrait inspirer les constituants...
Comment mieux résumer cette problématique qu'en faisant appel à deux citations, l'une sur la clarté et l'autre sur le courage (en relation avec la première) ? :
- Boileau : "ce qui se conçoit clairement, s'énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément".
- François Mitterrand : "la clarté est la forme la plus difficile du courage".
Au moment où le nouveau président de la République dispose d'une forte majorité à l'Assemblée nationale et le premier ministre va former son second gouvernement, formons le voeu qu'ils mettent véritablement la République en marche pour ce qui est de la laïcité.
La Suède, "pays traditionnellement attaché à une certaine forme de communautarisme", adepte du "multiculturalisme". Ou simplement soucieuse de tolérance ?
RépondreSupprimerAu fond, la laïcité, réduite à la liberté d'expression (ou de non expression) de ses choix religieux, n'est-elle pas en faveur d'une telle tolérance ?
Curieuse conclusion : les citoyens sont libres de ne pas aller là où il y a des musulmans.
Le caractère tendancieux de l'article (pour ce qui est de la conclusion) est bien noté. L'auteur ne souhaite pas etre servi(e) par des femmes portant le voile. Dans ma jeunesse (j'ai 60 ans) la majorite des femmes portaient un fichu (c'est d'ailleurs aussi pour des raisons d'hygiene). Personne n'avait de probleme avec ca. Je ne me pose pas la question de la religion d'une personne a visage decouvert qui porte le fichu, le voile, un chapeau, un bonnet, une kippa , un turban sikh ou un bonnet rasta - merci
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